Mister Flow/Chapitre 09

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Librairie Baudinière (p. 169-193).

IX

Le lendemain, Spad passait le premier le poteau d’une courte tête. En vérité, si je fais la somme de toutes les émotions par lesquelles je suis passé depuis ma seconde visite à Durin, je dois avouer qu’elle n’atteint pas, de loin, l’émoi indescriptible où me jeta cette fin de course. J’avais perdu toute direction de moi-même. Je n’avais plus rien d’un homme, c’est-à-dire d’un être héritier de plusieurs civilisations. J’étais devenu un animal, exactement un chien. Je mordais les jarrets d’une autre bête au galop et je jappais, j’aboyais. J’aboyais : « Spad !… Spad !… Spad !… » Autour de moi, d’autres animaux, mes semblables, étaient pris du même délire et lady Helena aussi aboyait : « Spad ! Spad ! » avec une voix de cuisinière. J’avais assisté plusieurs fois à ce genre de convulsions et cela m’avait incité à une grande pitié. Mais je sais aujourd’hui que, dans cette crise, il ne faut pas plaindre tout le monde. Pour notre part, Helena et moi, nous ramassions cent cinquante mille francs chacun.

Nous avions bien travaillé pour les books ; malheureusement, notre gain eût été autrement considérable si Helena n’avait oublié qu’elle devait 10.000 louis à Jack, qui les lui retint.

J’aurais consenti assez facilement à mettre, en ce qui me concerne, la petite somme qui me revenait de côté, mais Helena me regardait d’un tel air que je mis tout dans son sac.

— Je veux, me dit-elle, vous apprendre à mépriser l’argent ! Et, comme il faisait très chaud, nous nous dirigeâmes vers le buffet. À ce moment, nous nous trouvâmes pris dans une forte bousculade, autour d’un gros homme qui venait de s’affaisser. Et nous reconnûmes dans le corps que l’on emportait « Monsieur Jacob » lui-même. Près de lui, Abraham Moritz expliquait que l’on venait d’apporter à M. Jacob un télégramme lui annonçant le cambriolage de son hôtel et la disparition de ses Rubens :

— Vous gombrenez, ça lui a bordé un goup, au pauv’vieux, avec une chaleur bareille !

Nous invitâmes Abraham Moritz à se désaltérer avec nous, ce qu’il ne refusa point, et nous nous attendrîmes de compagnie sur les malheurs de M. Jacob :

— Moi, expliqua-t-il, je ne serais jamais tranquille si j’avais des tableaux !… des tableaux, ça ne peut pas se mettre dans un goffre-fort !

Il nous quitta pour aller chercher des nouvelles de M. Jacob. Quand il revint, il était tout pâle :

— Il est mort, nous dit-il. Il n’avait pas le gœur bien solide !… C’est malheureux, un homme si riche !… Les gambrioleurs l’ont assassiné !…

La cloche du Grand Prix se faisait entendre. Nous quittâmes le buffet et Abraham nous laissa « pour chouer au mutuel le tuyau que ce bauvre Jacob lui avait donné avant de mourir ». C’était un tuyau crevé. Quand nous revîmes Abraham, il injuriait le mort. Quant à moi l’événement ne m’avait pas autrement bouleversé. Ce Jacob était si antipathique ! Tout de même quand je pensais la veille à la figure qu’il ferait, je ne pensais pas, certes, à celle d’un macchabée. Honnêtement, j’aurais renoncé à la partie où Helena me conviait, j’en étais sûr, et ma conscience s’en trouvait bien consolée.

Helena me dit :

— Vous supportez bien l’accident, Rudy ! Il faut ! Le bon Dieu l’a puni ! C’était un malhonnête homme !

Quand je pense encore à la facilité avec laquelle j’acceptais alors la mort de M. Jacob, je suis tout étourdi de cette rapidité avec laquelle je descendais l’escalier obscur conduisant à l’abîme où se confondent le bien et le mal. Mais il n’est point rare que les plus vertueux, après la première faute, étonnent les vieux chevaux de retour par la hâte qu’ils mettent à rattraper le temps perdu. Ils ne connaissent point de mesure dans le mal. Non ! non ! je ne pleurai point la mort de M. Jacob, ni Mme Jacob non plus, du reste, ni les petits Jacob, ni personne. Il me semblait que nous avions rendu service à tout le monde !

Excellent état d’esprit pour jouir des bienfaits de la fortune. Nous étions bourrés de billets de banque, Helena et moi. Et, le soir, nous jouâmes un jeu d’enfer. La toilette d’Helena, aux Ambassadeurs, avait causé un scandale. Elle inaugurait « les seins nus ». Certes, une gaze légère. Tout compte fait, on ne pouvait rien lui reprocher, mais la double fleur, trop soulignée par un fard insolent, perçait sous le voile avec la plus outrageante provocation. Tous ses amis étaient là et les murmures cessèrent. Toutefois, une ardente curiosité n’avait cessé de rôder autour de la table, ce dont Helena s’amusait, en buvant son extra-dry avec un geste qui conviait les dieux.

Cette fois, ce n’était plus son soulier d’argent que je touchais timidement sous la table, mais sa jambe de bacchante que je ramenai prisonnière et brûlante… « Écoutez, Rudy, ce soir, ce sera encore tout ou rien avec nos pauvres petites bank-notes en attendant que nous trouvions un autre « truc » pour reprendre mes bijoux à Fathi. Amusez-vous, chéri !… Prenez tout cela, vous irez au « Privé » ! Il restera toujours le chèque de Démétrius pour nos petits pique-niques !…

Et j’entrai au « Privé » avec le produit du vol et le gain des courses. Elle n’avait gardé que cent billets pour elle. Moi, j’avais presque un demi-million ! … À ce moment, l’idée que j’avais eue, un instant, de mettre cent cinquante mille francs de côté, me paraissait d’un « louis-philippard » extravagant ! Et comme je comprenais le regard d’Helena ! Ah ! ce n’est pas avec un bas de laine qu’elles viennent à Deauville, ces déesses !…

Étaient-ce la chaleur de l’après-midi, l’émotion des courses, le champagne du soir, la jambe d’Helena, ses seins nus, le scandale, la mort de Jacob, la sensation que j’étais devenu depuis vingt-huit heures un vrai cambrioleur, mieux que cela : Mister Flow lui-même ! (Car pendant que mon client était toujours en prison, moi j’exécutais les coups préparés par lui !…) tant est qu’aucun geste ne me paraissait impossible. Et ce fut le plus naturellement du monde que je mis mes quatre cents billets en banque.

Et ce sang-froid ! Ah ! que j’étais beau ! Je sentais que j’étais beau ! J’aurais voulu que lady Skarlett me vît en ce moment-là. Elle aurait été fière de Mr. Prim ! fière de son Lawrence, et elle l’eût aimé, en dépit de sa haute figure de beefsteack trop cuit, au moins autant que son Rudy !…

— Cigares !…

Je jouis pleinement de cette trop rare minute.

— Bigre ! la partie est chaude. Tout est fait au premier coup !

Je distribue, je tourne cinq. On me demande des cartes aux deux tableaux : si je leur flanque des bûches, leur compte est bon !…

Je regarde le joueur qui a la main. Jamais je n’ai vu une figure aussi antipathique. C’est le gros Zell, Thomas Zell, de l’affaire des renards du Canada, une belle fripouille qui devrait être en cour d’assises. Où a-t-il volé les quatre plaques de dix mille francs qu’il vient de pousser devant lui ? Encore un pour qui je devrai plaider un jour peut-être ! En attendant, je lui donne un cinq ! « Salaud, va !… »

Eh bien ! et celui de gauche, dont le plastron fait ballon sur son ventre flasque de vautour de la Sierra ? Connu aussi, celui-là, c’est Ramon, Ramon, du guano péruvien ! Quelque chose de propre ! qui a ramassé sa fortune dans la fiente des oiseaux, en faisant crever à la tâche ses coolies chinois. Ils auraient dû l’assassiner ! Toi aussi, il te faut une carte ! Une bûche pour le vautour de la Sierra !… Ouais !… Je lui lance un sept… Le guano, ça porte bonheur !…

Et qu’est-ce que je vais tirer, moi ? Car me voilà bien mal en point… Un six !… Maintenant, je n’ai plus qu’un !… Envolé, le demi-million ! Hein ? Quoi ?… baccara partout ? Ils ont fait baccara ! Ils ont fait baccara !… Je gagne avec un !…

J’ai un million devant moi !…

Eh ! eh ! Me Antonin Rose, comment vous trouvez-vous, mon cher maître ? Vous ne le regrettez pas, votre petit voyage à Deauville ? Il est de votre goût ? Vous voilà millionnaire, maintenant !…

Au coup suivant, le million est tenu !…

Ah ! non, par exemple, je ne vais pas risquer « mon million » d’un coup ! Et je lève la banque, ce qui fait sourire la petite Valentino et quelques-uns de ces messieurs qui savaient bien que « ça ne durerait pas ! » Celui qu’ils attendent, c’est l’inépuisable Z…, le Grec milliardaire, ou Benito Sandrez, le concessionnaire de tous les jeux en Argentine et au Chili et qui vient perdre pendant six mois en Europe, de Monte-Carlo à Ostende, en passant par Nice, Cannes, Biarritz, Deauville et Paris-Plage, tout l’or ramassé dans la poche des joueurs pendant les six autres mois en Amérique latine !

Je dois dire que, dans le moment, ce chiffre d’un million — le million que j’avais dans les mains — agissait sur moi avec activité. On fait quelque chose avec un million. On peut aller courir sa chance ailleurs et autrement qu’au jeu ! À mon âge, on peut recommencer une belle vie, on peut rompre avec les fils qui vous retiennent à une aventure dont l’issue menace d’être assez redoutable, on peut oublier Durin, et même lady Helena et filer loin, bien loin, vers d’autres cieux !

Seulement, il fallait partir tout de suite, ne pas avoir la curiosité de savoir ce qu’il y avait encore dans le paquet de cartes que je laissais derrière moi, ne pas attendre que Z…, qui prenait ma suite, eût abattu trois fois. Alors mon million ne compta plus au regard de ce que j’aurais pu emporter si je n’avais pas lâchement fini après le premier coup de cartes. Encore une fois, j’avais manqué d’estomac ! Helena avait raison ! Je n’étais pas digne de ma chance !

Ne m’avait-elle pas dit : « Tout ou rien » ? Ce Z…, je l’eusse volontiers étranglé ! Il me volait ! Les monceaux de plaques de dix mille qu’il entassait devant lui, elles m’appartenaient !…

Et ce fut plus fort que tout, que tout ce que j’aurais pu me dire et que je ne me disais pas. Je n’étais plus qu’une bête brute acharnée à reprendre le morceau qu’on lui avait arraché de la bouche. Je jetai dix plaques sur le tapis. La banque avait passé quatre fois. C’était bien le tour des pontes ! Z… gagna encore et mes cent mille francs allèrent grossir son tas.

Je ne me connaissais plus. Je plongeai ma main dans la sébile où l’on avait jeté tout ce qui m’appartenait quand je m’étais levé de table et je mis vingt plaques sur le tableau de gauche. Je me trouvais devant le tableau de droite, mais j’avais eu l’occasion de remarquer que Soulak — des Mines de Transylvanie — avait généralement la main heureuse. Le tableau de droite gagna, celui de gauche perdit !

Alors, tout tourna. Mes plaques allaient d’un tableau à l’autre sans qu’il semblât que j’y fusse pour rien. Et toujours je pontais sur le tableau perdant avec une régularité stupéfiante. Vingt minutes après, mon million avait disparu et ma sébile était vide.

J’étais devenu la risée de la galerie qui regardait la partie, debout, autour de la table. Quelqu’un murmura : « Ça lui apprendra à jouer contre sa banque ».

Je faisais un effort surhumain pour ne pas m’écrouler sur un fauteuil, pour faire encore figure. Mais, c’est légèrement titubant et avec des jambes de laine que je sortis de cet antre. J’allai m’achever au buffet. Mon barman accourut aussitôt ne dissimulant pas le plaisir qu’il prenait à me revoir.

— Monsieur désire ?

— Champagne !…

Mon malheur était écrit sur mon visage, enfin sur celui de Mr. Prim ! Mon homme n’eut point de peine à le lire, aussi me servit-il sa petite note, qui était toute prête. Je la considérai d’un œil tout à fait indifférent. Elle n’avait pas augmenté depuis l’autre jour. C’était un miracle et c’était toujours quatre-vingts louis. Je la fourrai dans ma poche : « Ça va, Teddy !… j’avais complètement oublié !… »

Et je fis celui qui pensait à autre chose, mais je ne pensais à rien ! Ah ! je vous jure qu’ils ne me préoccupaient pas les quatre-vingts louis de Teddy ! Je vidai ma bouteille sans être dérangé par Harry ou quelque autre petite mouche bleue. C’était appréciable, car j’étais dans des dispositions à me faire une bonne querelle ; or ces gaillards-là ont appris dans la fréquentation du ring des coups que j’ignore absolument…

Ce fut Helena qui me rejoignit. Elle était radieuse. Elle gagnait trois cent mille et je n’eus besoin de rien lui expliquer.

Baby, m’écouterez-vous, une autre fois ?…

— Je dois quatre-vingts louis à Teddy, Helena. Je vous dis cela parce que j’ai assez vu sa figure !

All right ! darling !

Elle paya Teddy malgré toutes les protestations du barman et lui jeta mille francs de pourboire.

— Allons-nous-en ! fis-je. Je ne vois autour de moi que des têtes à claques.

Elle m’emmena en riant, heureuse de céder à un enfant capricieux.

La nuit ne nous apporta pas de joie. Ma maîtresse, ai-je besoin de le dire ? n’y était pour rien, ni la mort de Jacob (à ce propos, j’avoue qu’il ne m’est jamais apparu dans un rêve ni que son fantôme ne m’a jamais tiré les pieds), mais je ne cessais de penser à mon million et cette idée fixe nuisit beaucoup à nos transports.

— Deauville ne vous vaut rien pour le moment, me dit Helena, dès le lendemain. Je viens d’écrire à sir Archibald que Mr. Prim m’emmenait faire un petit tour sur la côte. Nous serons plusieurs jours absents. J’ai de l’argent. La vie est belle ! Hurray !

Ah ! cette semaine avec Helena ! Tous les deux, tous les deux ! L’abominable Fathi, du moment qu’on lui abandonnait les bijoux, nous laissait parfaitement tranquilles. Mr. et Mrs. Prim… Jamais la Normandie n’avait été aussi belle ! Les plants de pommiers !… Les herbages !… Les petits coteaux verdoyants… Les petites plages… Les vieilles cités… et les repas dans les auberges, arrosés de vrai cidre, du cidre que nous allions nous-mêmes tirer à la barrique dans le cellier. Les amours au clair de lune, dans les bois, nos siestes dans l’herbe, les fleurs des champs dont nous chargions l’auto !…

Et Helena m’apprenait à conduire ! Maintenant, je pouvais gagner ma vie ! Je connaissais un vrai métier : chauffeur !… Ça doit être beaucoup plus drôle que de faire les couloirs au Palais ! Vision rapide d’une vie honnête et modeste !…

À Dieppe, nous retombions dans les palaces, les courses, le jeu. Moi, une déveine folle ! Helena, qui était redevenue lady Skarlett, ramassait ce qu’elle voulait. Je finis par la laisser jouer, c’était beaucoup plus raisonnable, j’étais traité en grand seigneur, les larbins à mes pieds, et j’avais l’admiration des foules quand je passais avec cette femme à mon côté.

Au « Royal », à Dieppe, je reconnus, à une table voisine, un confrère qui a le respect de tous chez Thémis parce qu’il gagne cent mille francs par an. Je lui pouffai de rire au nez. Il ne saura jamais pourquoi. Le principal est qu’il ne m’ait pas reconnu, lui non plus ! Et cela me donne de l’assurance !… Je suis heureux, je suis pleinement heureux ! Voilà la seule vie qui mérite d’être vécue. Je sens que je ne pourrais plus m’en passer.

Ah ! si on se doutait combien cela est facile quand on veut. Mais il faut vouloir ! il faut se dire : « On ne vit qu’une fois » et courir son risque sans peur ! Moi j’ai couru le mien ! et j’avoue que j’ai eu peur, mais c’est fini !…

Notre randonnée s’acheva à Paris-Plage. On ne doit jamais jouer contre une main ! Il vaut mieux la prendre, quand elle est bonne ! Helena s’obstina à jouer contre la main et nous rentrâmes à l’hôtel complètement nettoyés. « Sans importance ! me fit-elle, quand nous fûmes enfermés dans son appartement. J’ai apporté le sac aux outils à tout hasard et Abraham Moritz est là pour un coup, petit chéri !… »

En vérité, Helena me croyait beaucoup plus avancé sur le chemin où elle m’avait lancé d’une main sûre, sans quoi elle eût pris plus de précaution. Elle ne m’eût point mis tout de suite, sans crier gare, en face d’une situation dont j’avais pu me tirer une première fois à mon honneur, mais que j’avais proclamée, par forfanterie, beaucoup plus drôle qu’elle ne l’était en réalité. Ayant reçu ce coup dans l’estomac, je pris le temps de respirer et je prononçai, d’une voix sans éclat :

— Abraham Moritz !… que vient faire Abraham Moritz dans tout ceci ?…

— Il vient nous tirer d’embarras, petit chéri !…

— Il vous a annoncé son arrivée ?…

— Je ne pense pas que son dévouement aille jusque-là. C’est nous qui lui devons une petite visite, comprends-tu ?

Je n’osais comprendre : « Nous retournons à Deauville. »

— Oui, par le chemin des amoureux. Nous passerons par Paris. Abraham habite au coin de la cité Rougemont, en face le Comptoir d’Escompte.

— Ah !

— Je n’aime pas ton « ah ! » Dis-moi, cet homme, cet Abraham, veux-tu m’aider à me venger de lui comme nous nous sommes vengés de Jacob ?

— Trop vengés ! chère Helena ! Songez-y !

Et je frissonnai, c’était une nouvelle affaire qu’elle me proposait. Accablé, je la laissai parler. Elle me démontrait que Durin avait préparé ce coup-là aussi soigneusement que l’autre.

— Si tu aimes mieux rentrer à Deauville, tout seul ?

Je fis un geste de protestation. Ma lâcheté n’allait pas jusque-là. Je devais à cette femme la plus belle semaine de ma vie. Et c’était elle qui l’avait payée ! Je ne pouvais la lâcher dans un moment d’ennui. Et puis, Helena m’avait fait un nouvel état d’âme et aussi l’étrange existence que je menais depuis mon départ de Paris. Il me fallait de l’argent à tout prix. L’humanité m’apparaissait sous un jour nouveau. Le monde se livre un combat sans merci. Aux plus malins à se débrouiller et aux plus forts. Enfin, j’avais l’expérience passée. Je n’en étais plus à mon coup d’essai. Je savais combien le travail était simple. Et la tête d’Abraham serait peut-être moins funèbre à contempler, le coup fait, que celle de ce pauvre M. Jacob. Toutes ces crapules assises sur leur tas d’or méritaient une bonne leçon !

— Helena, lui dis-je, vos yeux sont de véritables yeux de chat, tantôt doux et pleins d’une volupté intime qui m’affole, tantôt brûlant des feux les plus cyniques, tantôt d’une fierté royale. Comment voulez-vous que je me passe de vos yeux ? Je les suivrai partout !

— Tu as une âme naïve et bonne et tu parles comme un livre, mais tu es plus intelligent que tu n’en as l’air. Ne perdons pas de temps en vains discours. Nous nous sommes compris. Un conseil : ne me renouvelle plus jamais ta petite comédie et nous serons tout à fait d’accord. Tu as hésité tout juste ce qu’il fallait. J’admets une dernière fois que c’était pour la forme !

Raillait-elle ? Parlait-elle sérieusement ? Et moi étais-je tout à fait devenu sa chose, son esclave ? Il y a eu des moments où je l’aurais bien étranglée. Oui, il me semble que j’y aurais pris un certain plaisir. Ceci se passait dans les heures où je me révoltais contre ma propre impuissance. Mais son indifférence, ou plutôt le peu d’importance qu’elle affectait alors d’attacher à ce qui pouvait se passer en moi, me réduisait en poussière. Elle sait que je suis plein d’impossibilité vis-à-vis d’elle. Cela lui suffit. Et elle a raison puisque finalement elle a toujours raison. Aussi maintenant, je ne résiste plus. Il nous faut de l’argent. Prenons-en où il y en a !

Voyons le plan de l’appartement. Il est au premier étage. Les fenêtres des grandes pièces donnent en face du Comptoir d’Escompte. Le grand escalier donne sur la rue ; l’escalier de service donne sur la cité Rougemont. La cité Rougemont ferme d’un côté par une grande grille à double porte qui reste ouverte une grande partie de la nuit sur la rue. Cette cité se continue par la cité Bergère qu’elle coupe à angle droit et qui ferme par deux portes, l’une donnant sur la rue où se trouve le Comptoir d’Escompte, l’autre sur la rue du Faubourg-Montmartre. Détails qui nous seront sans doute inutiles. L’appartement est inhabité. Une petite boutique en bas, une espèce de comptoir, où, dans la journée, se tient un commis. Par un petit escalier en tire-bouchon, construit ad hoc, on pénètre directement dans l’appartement du premier. Durin avait préparé la clef qui ouvre la porte de la boutique. Cette clef, la voici.

À deux pas, en face dans la rue, un hôtel. Nous descendrons là. De la fenêtre de la chambre, nous guetterons le moment d’opérer. Alors, nous filerons et nous nous glisserons dans la boutique. Rien à faire dans cette boutique. Abraham ne vend pas à l’étalage. Les pièces fameuses dont il dispose sont enfermées dans un coffre-fort au premier : « En vingt minutes, nous l’aurons nettoyé », affirma Helena. Et elle rejeta le dossier et la clef dans le sac.

— Une chose que je ne comprends pas, émet-elle, c’est que Durin (tantôt elle l’appelle Doug, tantôt Durin, pour me faire plaisir, car je n’oublie pas que Doug, diminutif de Douglas, fut le nom de son premier amour), c’est qu’il ait mis sur le dossier « opérer entre midi et deux heures ». Pourquoi en plein jour ? Parce que l’employé est allé déjeuner ? Mais l’employé ne couche pas là ! Nous serons bien plus tranquilles la nuit !

— C’est mon avis ! fis-je. Je me refuse absolument à vous laisser opérer en plein jour !…

— Descendons toujours à l’hôtel ! Nous verrons bien ! Maintenant, Rudy, il s’agit de « la battre » élégamment, oui, de s’en aller sans payer. Je n’ai plus qu’un billet de vingt-cinq louis, j’y tiens ! Tu vas voir comme c’est simple ! (Oh ! la simplicité de cette existence !) Occupe-toi de l’auto et descends avec le sac et la valise. Si on ne te demande rien, tu passes, mais n’y compte pas. Alors, tu diras : « Montez la note à Madame qui attend dans sa chambre ! » Moi, je file par la salle de bains, après avoir laissé traîner sur la table mon sac à main vide et mes gants, une boîte à poudre de riz, etc. Je te rejoins tandis que tu as mis en marche… En haut, le maître d’hôtel attend toujours devant mes petits accessoires. S’il survient quelque anicroche, ne fais pas le bêta, petit chéri darling ! Je dirai : « Je croyais que Monsieur avait payé !… » et nous trouverons autre chose… Mais ça réussit toujours ! Il se peut qu’à Deauville tu sois l’objet de quelque réclamation… Mr. Prim répondra : « Je croyais que Madame avait payé !… » et tu paieras avec l’argent d’Abraham ! Enfin, darling, ne te préoccupe jamais d’une note d’hôtel, ni d’une facture, ça s’arrange toujours. Je t’apprendrai une autre fois comment on « tape » le directeur. Il y a dix façons. Durin avait un petit catéchisme que je devais apprendre par cœur, quand j’étais jeune fille, au temps où il me faisait la cour. Maintenant, c’est moi qui te fais la cour et qui t’apprends le catéchisme. C’est drôle aussi, en vérité !…

Ce qui fut moins drôle, ce fut notre aventure de la nuit suivante. Quand j’y pense, j’en ai encore chaud. Et je n’admets pas qu’Helena puisse en rire. Elle m’exaspère. Son jeu est cruel. Elle me jette à l’eau tout le temps pour m’apprendre à nager et elle assiste, ravie, à mes ébats ! Plus je patauge, plus elle semble heureuse, ce qui ne l’empêche pas de m’octroyer quelque caresse quand j’aborde la rive. Alors elle me félicite. Mais je la hais, car j’en suis à me demander si mon naufrage ne mettrait pas le comble à sa joie sadique. C’est une femme que je connais de moins en moins. Elle a l’air de s’abandonner et de ne pouvoir rien me cacher de son étrange personne, mais ses confidences, je le sens, ne sont jamais complètes. Et puis, elle doit mentir avec bonheur.

M’aime-t-elle ? Ne m’aime-t-elle pas ? Certes elle ne me hait pas, comme moi, par exemple, quand je cesse de l’aimer cinq minutes. Elle ne me ferait pas cet honneur ! Mais son grand amour n’est peut-être qu’une amusette, surtout à cause de mes angoisses. Plus d’une fois, quand je faisais le cynique, en beauté, pour qu’elle fût satisfaite de son œuvre, j’ai surpris son sourire. On a ce sourire-là en face des extravagances d’un homme qui vient de découvrir un monde nouveau au fond de son verre.

Mais revenons à notre affaire. Nous avons quitté le palace de Paris-Plage avec tous les saluts de la valetaille qui doit toujours attendre ses pourboires.

La nuit, dans un hôtel de second ordre, à deux pas de la cité Rougemont. Pourquoi ne pas être descendus dans un hôtel à l’intérieur de la cité ? Parce que le concierge couche dans une chambre donnant sur l’escalier de service d’Abraham. Dès dix heures. Nous sommes prêts. J’ai été ranger l’auto sur le boulevard, devant le théâtre des Nouveautés. C’est là que nous la retrouverons. Et nous sommes remontés dans notre chambre. La rue est absolument déserte. Elle ne le sera pas plus à deux heures du matin : « Finissons-en tout de suite ! » dit Helena, et nous voici descendus. Dans la grande poche de son vêtement d’auto, elle porte nos outils.

Je m’avance jusqu’au coin de la rue Rougemont, et je surveille. Pendant ce temps, Helena ouvre la porte de la boutique, sans difficulté aucune. Personne, pas un agent. Je la rejoins. Des taxis passent à toute allure et ne s’occupent guère de nous. Et puis nous avons l’air de rentrer chez nous. La porte de l’immeuble donnant sur le grand escalier est fermée. Quelle sécurité ! Et je pense une fois de plus que l’on se fait vraiment des idées sur ce métier-là. Il n’y a pas de quoi faire cent mètres de film, dans tout cela. Lanterne sourde. Pièce vide. Ça ne change pas. Ça a pu m’amuser dans les débuts, mais cela devient vraiment d’une monotonie !… Nous grimpons au premier étage. Nous sommes dans l’appartement. Nous voici dans la chambre au coffre-fort…

Et tout de suite, nous nous arrêtons, les pieds enchaînés. Nous sentons qu’il y a quelqu’un ici ! Le bruit d’une respiration ? Peut-être ! Peut-être rien !… Il n’est point nécessaire qu’il y ait du bruit, le moindre bruit, pour savoir, la nuit, qu’une pièce est habitée. J’ai appris cela du premier coup. J’en sais, tout de suite, là-dessus, autant qu’Helena. Je suis aussi averti qu’elle… et, comme elle, j’ai ma pince-monseigneur à la main.

Nous avions éteint le feu de nos lanternes. Subitement, la sienne se rallume. Mais avec ces lanternes-là, nous ne craignons pas d’être reconnus. On ne nous voit pas, et le faisceau de lumière inspecte. Voici un lit ! Ah ! le lit est habité !… Bravement, Helena va au lit, rejette la couverture et nous découvrons là-dessous un petit tas de peur ! Ça n’a plus rien de vivant. Un petit tas de chair qui se décompose, empoisonné d’épouvante. Ah ! le pauvre garçon ! Nous avons pitié de lui ! Nous essayons de le réconforter ! Pour peu, on le frictionnerait pour rétablir sa circulation. On lui taperait dans les mains !… Nous lui jurons qu’on ne lui fera pas de mal, qu’il n’a qu’à ne pas bouger. Il retrouve sa respiration. Il promet d’être bien sage, et il tremble, il claque des dents.

Devant lui, nous nous attaquons au coffre-fort. C’est un ouvrage plus important que nous ne l’avions cru. Le coffre d’Abraham est un coffre sérieux. Derrière nous, le gardien, au fond de ses couvertures, gémit assez drôlement : « Qu’est-ce que va dire le patron ? Qu’est-ce que va dire le patron ? »

Tout en travaillant (j’éclaire les mains opérantes d’Helena), ma maîtresse interroge le malheureux employé : « C’est de ma faute, gémit-il. J’irai sûrement en prison… J’aurais dû, comme tous les soirs, déposer les bijoux dans le coffre du Comptoir d’Escompte ! »

Ainsi, nous apprenons pour quelle raison Durin, bien renseigné, avait noté : « Opérer entre midi et deux heures », parce qu’entre midi et deux heures les bijoux restaient dans le coffre de l’appartement. La nuit, il n’y avait rien dedans ! Tous les soirs, avant la fermeture de la banque, l’employé (un parent d’Abraham) traversait la rue et se défaisait des pierres précieuses dans les caves du grand établissement. Mais l’employé a été retardé, ce soir, par une affaire. Alors, il a résolu de coucher dans l’appartement avec les bijoux.

Nous le réconfortons de quelques bonnes plaisanteries. Nous sommes gais. Au moins, nous sommes sûrs de ne pas faire chou blanc ! Et puis, nous oublions notre homme, absorbés par les difficultés de la tâche.

Tout de même, nous allions en voir la fin, quand nous entendîmes, en bas, des cris qui réveillent toute la rue : « Au voleur ! Au voleur ! »

Helena bondit à la fenêtre. Des agents venus de la rue du Faubourg-Poissonnière accourent. Il n’y a plus personne dans le lit. Notre homme était moins mort de peur que nous ne le croyions ! Moi, je tourne dans la pièce, hagard, proférant des mots sans suite. Helena a pris vite sa résolution. La retraite est coupée par la rue. Elle court à l’escalier de service en me criant de la suivre. Nous perdons un temps précieux à chercher la porte de cet escalier qui n’est pas dans la cuisine. Enfin le voici ! Nous nous y jetons !…

Helena est toujours devant moi. Soudain, la lumière et une ombre ! C’est le concierge qui monte quatre à quatre. Bousculade. L’homme s’écroule. Helena saute par-dessus. J’enjambe à mon tour. Derrière nous, l’homme se relève, puis retombe. Une entorse qui nous sauve. Mais il se met à crier lui aussi : « Au voleur ! au voleur ! »

Heureusement, nous n’avons qu’à pousser la porte de service qui donne sur la cité Rougemont. Nous sommes dans la cité. Elle commence à se remplir de rumeurs. Des gens courent.

« Surtout, ne cours pas », me souffle Helena. Et elle me prend le bras, me maîtrise. Un gardien de la paix court devant nous, nous le suivons sans hâte. Voici d’autres agents en face. Ils se dirigent sur nous. Nous avons brusquement tourné sur la droite et, passé une voûte, nous voici tout proches de la porte des artistes du théâtre des Nouveautés. Un groupe devant cette porte. Des artistes, des figurants. Tranquillement Helena me pousse au milieu d’eux. Et nul ne s’occupe de nous. Nous gravissons cet escalier, nous voici sur le plateau. C’est l’entr’acte. Helena se fait ouvrir par le pompier de service la porte qui communique avec la salle, me dit de l’attendre, revient avec deux billets et nous fait placer au quatrième rang : « Tu m’excuseras, petit chéri, je n’ai trouvé pour toi qu’un strapontin ! » Elle demande le programme et donne une pièce de deux francs à l’ouvreuse. C’est ainsi que nous avons assisté aux deux derniers actes de « Pas sur la bouche ! » et que j’ai revu une dernière fois cette pauvre Régine Flory ! Je dois dire que, ce soir-là, je n’étais pas en état d’apprécier le jeu de cette admirable artiste. Il n’en était pas de même pour Helena, qui ne perdit pas une occasion de l’applaudir.

Au second entr’acte, nous restâmes à nos places. Je demandai, encore tout frissonnant, ce qu’il serait advenu de nous si la porte de service donnant sur la cité Rougemont avait été fermée, elle me répondit : « Rudy ! ne pensez plus à cela ! Nous serions remontés et sortis par les toits comme le « cat burglar », le cambrioleur-chat. Vous ne pouvez imaginer, je vous assure, comme c’est amusant, les toits !… »

— Bien ! Bien !…

J’osai lui demander encore ce que nous faisions là, et s’il ne convenait pas de nous éloigner au plus tôt de ce dangereux quartier. Elle me fit comprendre que je raisonnais comme un imbécile, et que c’était justement parce que le quartier était dangereux qu’il était prudent de ne s’y point montrer en ce moment. Enfin, que tout était pour le mieux puisque n’ayant pas réussi notre coup, nous avions la consolation d’applaudir Régine Flory. Elle ajouta encore : « Nous sortirons avec tout le monde, mais nous serons séparés. On recherche, en ce moment, un homme et une femme. Cet homme et cette femme ne se retrouveront qu’à Deauville. Moi je rentre en auto. Ne vous occupez pas de moi et prenez le train du Havre. Je vous attendrai demain soir. Maintenant, laissez-moi écouter la pièce, petit chéri ! »

Ainsi fut fait, et il ne nous arriva point d’autre désagrément ce jour-là.

Quand je me trouvai seul dans le train du Havre, un train de nuit omnibus, j’étais tout désemparé, tel un enfant qui a perdu sa mère. Non, ce n’était pas ma maîtresse que je regrettais, c’était la femme d’expérience qui me guidait dans le nouveau chemin de ma vie. Je pensais que j’étais incapable de faire un pas sans elle, et que j’allais choir à mon premier mouvement. Je m’étais si bien habitué à ce qu’elle prît l’initiative de mes faits et gestes que j’étais prêt à m’attendrir sur un isolement qui m’anéantissait. Mais c’était encore là des idées, et j’étais beaucoup moins sot que je ne le croyais, et qu’elle le croyait peut-être elle-même. J’allais m’en donner la preuve, et je ne puis me rappeler les événements qui suivirent sans une sorte de fierté, car, enfin, je ne suis très bien tiré d’affaires et tout seul, là où d’autres auraient infailliblement péri.

Il se peut, après tout, que je sois naturellement doué pour me débrouiller dans les difficultés inhérentes à un métier dont les circonstances m’avaient éloigné jusqu’à ce jour. Ceci expliquerait bien des choses. Par exemple, le peu de succès qui avait accompagné mes efforts d’honnête homme et la chance exceptionnelle qui accompagnait mes inavouables entreprises. En ce sens, Helena m’avait peut-être révélé à moi-même. En tout cas, je dois avouer que c’est sans amertume que j’évoque cette période mouvementée de mes vacances d’avocat, et même les souvenirs de cette journée au Havre, qui ne fut pas indigne — loin de là — de l’illustre Mister Flow lui-même.

À propos de Mister Flow, voilà ce que je lus dans les premières gazettes du jour en débarquant sur le quai de la gare : « L’Illustre Mister Flow n’est pas mort ! Sa disparition lors du naufrage du Britannic n’était qu’un dernier tour de sa façon. S’il a cessé, pendant quelque temps, de faire parler de lui en Europe, c’est qu’il était en tournée dans les Amériques et autres continents. Il aurait laissé des traces de son passage même aux Indes. Enfin, nous pouvons affirmer qu’il est revenu parmi nous et que, sans nous en douter, nous le croisons tous les jours. Il navigue, pour le moment, entre Paris et Deauville. S’il faut en croire l’inspecteur de la Sûreté Petit-Jean, c’est lui qui aurait opéré récemment à la villa des « Charmilles », louée pour la saison par sir Archibald Skarlett. C’est également lui qui aurait essayé de cambrioler les bijoux de lady Skarlett, au « Royal ». On ne saurait, paraît-il, s’y tromper. L’inspecteur Petit-Jean a reconnu sa façon de découper les coffres-forts, telle qu’on peut la réussir seulement avec un engin de l’invention de Mister Flow. Cet outil lui a déjà beaucoup servi, mais pourrait bien finir par le perdre. Comme il y a quelques années, Mister Flow opère avec une femme. A-t-il retrouvé son ancienne amie ? A-t-il fait une nouvelle recrue ? Voilà ce que nous saurions sans doute bientôt, s’il s’agissait de tout autre que de Mister Flow, l’insaisissable ! Nous Voici avertis ! Faisons-en notre profit ! Les palaces, les casinos et les salons de jeu n’ont qu’à bien se garder !… »

Suivait une colonne et demie résumant les hauts faits de Mister Flow, ses incroyables évasions, les fameux tours qu’il avait joués à la police. Enfin, en dernière heure, cette dépêche de Paris : « Encore Mister Flow ».

« L’illustre Mister Flow et sa compagne ont tenté, cette nuit, un gros coup qui a failli réussir. Ils avaient commencé à découper avec leur fameux levier le coffre-fort de M. Abraham Moritz, dans son appartement de la cité Rougemont. Mais l’alarme a été donnée par un gardien et les deux bandits se sont esquivés par l’escalier de service. Les grilles de la cité Rougemont et de la cité Bergère furent aussitôt fermées. Ils semblaient être pris comme dans une souricière. Les agents et les inspecteurs de la Sûreté les ont recherchés toute la nuit. Il a été établi, d’après leur signalement, que pendant ce temps-là, le couple assistait tranquillement à une opérette à la mode, au quatrième rang des fauteuils d’orchestre, au théâtre des Nouveautés. Ils avaient pénétré dans le théâtre par l’escalier des artistes. On est sur les traces de l’homme aux cent visages ! »