Mme de Girardin/Texte entier

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BIBLIOTHÈQUE FRANÇAISE
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XIXe SIÈCLE
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Mme DE GIRARDIN


TEXTES CHOISIS ET COMMENTÉS


par JEAN BALDE



Prix : 1,50

LIBRAIRIE PLON



BIBLIOTHÈQUE FRANÇAISE

―――――
XIXe SIÈCLE

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Mme DE GIRARDIN

TEXTES CHOISIS ET COMMENTÉS
Par Jean Balde




Pour ceux qui veulent connaître ce que fut, dans la première moitié du dix-neuvième siècle, la vie mondaine, la vie littéraire, aucune œuvre n’est plus précieuse que celle de Mme de Girardin. Aussi la Bibliothèque française a-t-elle voulu donner une place, à côté des monographies d’auteurs plus illustres, à la femme charmante qui nous attire par ses œuvres, ses aperçus vifs et variés, et aussi par l’influence qu’elle a exercée. Elle restera peut-être, rien que par ses chroniques étincelantes, comme la Sévigné de son temps. M. Jean Balde a très heureusement exprimé toutes ces nuances en accompagnant les citations d’œuvres consacrées par la mode éphémère, comme la pièce sur la Peste de Barcelone, ou par un succès plus durable, comme les Lettres du vicomte de Launay, la Joie fait peur et le Chapeau de l’Horloger, d’un tableau vivant, pittoresque, de la société parisienne sous la Restauration, à l’aurore brillante du romantisme, sous la monarchie de Juillet, où, aux côtés de Girardin, Delphine connut la fièvre de la politique et des affaires. Elle fut donc, l’excellente étude de la Bibliothèque française le démontre avec un luxe de détails et de précisions qui exclut la sécheresse, à la fois un témoin et un écho de son siècle. Mais, comme le dit et le prouve M. Jean Balde, le plus beau de son génie est dans son cœur et son caractère. Rien que par l’art supérieur de plaire et de retenir jusqu’à la fin autour d’elle cette pléiade d’amitiés illustres, les Lamartine, les Hugo, les Gautier, etc., elle méritait de revivre dans la mémoire de tous. Elle incarna magnifiquement les grandes traditions de la pensée et de la France.

Un volume petit in-8o écu avec portrait. Prix : 1 fr. 50. — Librairie Plon-Nourrit et Cie, 8, rue Garancière, Paris — 6 e.

(P.-N. 18528)





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dirigée par


Fortunat STROWSKI





MADAME DE GIRARDIN






MADAME ÉMILE DE GIRARDIN. D’après T. Chassériau.

MADAME ÉMILE DE GIRARDIN
D’après T. Chassériau.






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XIXe SIÈCLE


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Mme DE GIRARDIN


TEXTES CHOISIS ET COMMENTÉS


PAR


JEAN BALDE



PARIS
LIBRAIRIE PLON
PLON-NOURRIT et Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
8, RUE GARANCIÈRE (6e)


Touts droits réservés





DISPOSITIONS TYPOGRAPHIQUES
ADOPTÉES POUR LA COLLECTION




DANS LE TEXTE

Les biographies, notices et commentaires sont imprimés en gros caractères.

Les citations et les extraits sont imprimés en petits caractères.

Les extraits qui se rapportent à un ouvrage important et qui forment un tout sont signalés, en haut de la page, par un double trait qui encadre le titre courant.


DANS LA TABLE DES MATIÈRES

Les titres et les sommaires des chapitres sont imprimés en italique.

Les titres des extraits et des citations sont imprimés en romain.



Copyright 1913 by Plon-Nourrit et Cie.






PRÉFACE


Mme de Girardin est née en 1804 et morte en 1855. Jeune fille, elle a vu le règne de Louis XVIII, celui de Charles X ; elle a assisté au réveil brillant de la vie de société que favorisait la Restauration ; en même temps, amie des poètes, poète elle-même, elle a joué un noble rôle dans la renaissance littéraire qui s’est produite aux environs de 1820. Recherchée dans les salons pour son talent et sa beauté, louée par les jeunes gens enthousiastes qui « méditaient une poésie nouvelle », elle s’est associée à tout ce qu’il y avait de plus délicat et de plus généreux dans la société de son temps.

En 1831, elle quitte son nom de jeune fille : Delphine Gay, qu’elle a rendu célèbre ; elle épouse M. de Girardin. Une nouvelle phase s’ouvre dans sa vie, et aussi dans la vie du siècle. Sous la monarchie de Juillet, la fermentation poétique et chevaleresque des années précédentes décroît promptement, les sentiments baissent. Auprès d’un mari que passionnent la politique et les affaires, Mme de Girardin n’ignorera rien de ces changements. Son esprit d’observation s’exerce et s’aiguise. Elle voit toute l’époque, ses mœurs, ses travers ; et au jour le jour, sa plume vive et spirituelle en fait la chronique.

Mais Mme de Girardin ne nous intéresse pas seulement comme témoin du siècle et comme écrivain. Elle sut rester femme, elle sut créer, puis retenir des amitiés qui à elles seules sont toute une gloire. Dans les belles années de sa jeunesse, elle s’était liée avec Hugo, Lamartine, Gautier, l’élite même de son temps. Jusqu’à sa mort, elle fut entre eux un « trait d’union » ; elle les défendit, elle les consola ; elle continua au milieu d’eux « toutes les grandes traditions de la pensée et de la France ». Aussi fut-elle entourée d’incomparables affections. Heureuse femme ! Déjà si belle, si enchanteresse, comme ses amis nous la font encore plus admirable ! Nous tâcherons de la peindre telle qu’ils la voyaient quand ils lui disaient :


Vous avez la splendeur des astres et des roses ;
Ce que dit votre bouche étincelle en vos yeux.




MADAME DE GIRARDIN





CHAPITRE PREMIER

DELPHINE GAY JUSQU’À SES PREMIERS SUCCÈS


I. Delphine Gay, sa mère et son milieu. — II. L’enfance et l’éducation de Delphine Gay. — III. Les premiers poèmes.


I


Delphine Gay est née à Aix-la-Chapelle, le 6 pluviôse de l’an XII (26 janvier 1804). Dès son entrée dans la vie, elle paraît privilégiée. Son père, receveur général dans le département de la Roër, jouissait d’une situation importante. Elle avait trois sœurs et un frère aînés, mais l’animation de ce foyer, son originalité, c’était la mère.

Mme Gay, née Marie-Françoise-Sophie de Lavalette, s’est fait un renom comme femme de lettres ; et cela sans que le travail l’absorbât jamais. Ainsi que l’a dit Sainte-Beuve, « elle était bien autre chose qu’une femme qui écrivait, c’était une femme qui vivait, qui prenait part à toutes les vogues du monde ». De son père, homme distingué, dépensier de la maison de Monsieur (plus tard Louis XVIII), elle tenait la promptitude d’intelligence, le goût très vif de la vie de société. « Le père, raconte Gautier, comme pour lui donner le baptême de l’esprit, la fit embrasser à l’âge de deux ans par le vieux Voltaire, momifié dans sa gloire. Est-ce dans ce baiser, si près des rides sarcastiques, qu’elle prit vraiment l’esprit, l’étincelle ? Quoi qu’il en soit, d’un bout à l’autre de sa carrière, elle est railleuse, preste, de tour enjoué.

Par son père, Mme Gay était donc Française au sens le plus brillant du mot ; mais par sa mère, Francesca Peretti, elle avait du sang italien. Chez ses ancêtres florentins elle avait pris, avec la beauté, la flamme du cœur, la passion des arts. Elle jouait de la harpe en virtuose « comme si elle n’eût pas eu le plus joli bras du monde » ; elle chantait, elle avait un talent d’accompagnatrice. Mehul avait été son professeur ; les plus grandes cantatrices de son époque furent amies, presque toujours ses obligées. Mais tous ces goûts artistiques, toutes ces relations séduisantes n’absorbaient pas son activité. Elle avait tant d’activité, tant de besoin de se dépenser ! Elle montait à cheval, elle jouait au billard, elle dansait et avec une telle perfection que l’on se hissait sur les banquettes pour la regarder ».

Sa jeunesse traversa toutes sortes d’agitations. Mariée en 1793 à un agent de change, M. Liottier, puis divorcée, puis remariée à M. Gay, elle avait fait ses débuts dans le monde enfiévré du Directoire. Avec Mme Récamier, Mme Tallien, Mme de Beauharnais, elle fut parmi les beautés célèbres. Et à ce moment, quelle confusion dans la société ! Partout le désordre, la spéculation, une sorte d’ivresse dans le plaisir. Mme Gay, qui avait une vitalité puissante, n’en éprouva aucune gêne. Cette époque resta même dans son souvenir comme « sa date favorite » En 1818, elle en conta avec verve les incohérences et les griseries dans « Les malheurs d’un amant heureux ».


Après son second mariage, nous retrouvons Sophie Gay à Aix-la-Chapelle. Son mari, receveur général du département de la Roër, y mène la vie luxueuse des hauts fonctionnaires. Quant à elle, elle a gardé sa terrible franchise d’idées et de termes. Elle fait scène comme par le passé et avec parfois des mots de Molière. Vis-à-vis de l’empereur lui-même, elle n’abdiquera rien de sa hardiesse. Gautier rapporte à ce sujet une anecdote caractéristique : « C’était chez la princesse Borghèse ; l’empereur traversait les salons, cherchant, suivant sa coutume, à intimider les femmes. Arrivé près de Mme Gay et dardant sur elle un regard d’aigle, il lui poussa d’un ton marqué d’insolence cette question soudaine : — Vous écrivez, vous ? Qu’est-ce que vous avez fait depuis que vous êtes dans ce pays-ci ? — Trois enfants, Sire. Le César, qui s’attendait à des titres de romans, sourit et passa. »

Et Gautier d’ajouter : « L’un de ces trois enfants fut Mme de Girardin ; c’était encore bien littéraire. »



II


Delphine naquit, nous l’avons dit, « au plus beau matin du soleil de l'Empire ». Peut-être fut-elle vraiment baptisée, comme le veut sa légende, sur le tombeau de Charlemagne. Ce qui est sûr, c’est qu’elle reçut au baptême ce nom de Delphine — le plus romanesque qui fût alors — qu’elle devait porter comme une couronne.

Pendant ses premières années, et aussi pendant son adolescence, elle vécut à Aix-la-Chapelle, mais fit de fréquents séjours à Paris. Aix-la-Chapelle, avec ses vieilles rues aux toits dentelés, ses beffrois massifs et ses murailles carolingiennes, a certainement influé sur sa sensibilité enfantine. Naître dans la ville de Charlemagne, grandir à l’ombre de ses tours, de ses nobles ruines enchevêtrées, c’est un beau destin. Et puis les bords du Rhin sont la patrie des Walkyries, des rêves guerriers. De là, peut-être, ce qu’il y eut de si chevaleresque dans la nature de Delphine Gay. Le temps, d’ailleurs, se prêtait à cette formation d’amazone ; alors qu’elle s’éveillait à la vie, l’air était plein d’échos glorieux : c’était l’Empire, l’honneur, les victoires. Tout cet orgueil la pénétra, la fit enthousiaste.

Tandis que ces émotions flottaient autour d’elle, s’insinuaient dans ses replis d’âme, sa mère l’initiait déjà à la vie mondaine. Comme Mme de Staël, elle a grandi dans un salon; et ce salon ne manquait ni de nouvelles, ni d’animation. À Aix-la-Chapelle, les allants et venants étaient nombreux. Chaque année, au moment de la saison d’eaux, il n’était pas de personnage distingué, pas d’artiste surtout qui ne tînt à paraître chez le Receveur général. Et quelle gaîté, que de railleries dans ce cercle ! Non seulement Mme Gay ne recevait pas les ennuyeux, mais elle les chansonnait en couplets très vifs, toutes portes closes bien entendu; les bévues dès uns et des autres fournissaient de gaîté les soupers intimes.

Malheureusement, les situations officielles réclament plus de prudence et d’habileté. Les traits d’esprit de Mme Gay étaient commentés, divulgués avec malveillance ; et ce fut l’un d’eux qui provoqua, dans les dernières années de l’Empire, la disgrâce du Receveur général. De ce fait, la famille se trouvait ruinée, livrée aux difficultés de la vie.

M. Gay resta à Aix-la-Chapelle, où il essaya de fonder une maison de banque ; quant à sa femme, elle vécut surtout à Paris, où l’attiraient ses relations et son désir de s’adonner à des occupations littéraires.

D’ailleurs, au temps de sa prospérité, elle n’avait jamais manqué de revenir à Paris. Elle y avait de si charmants amis et de si illustres ! C’étaient le baron Gros, le baron Gérard, Carie Vernet, le comte de Forbin, « l’élégance même , tant d’autres encore, tous les beaux de la littérature et du monde ». En outre, depuis sa disgrâce, elle était passée dans l’opposition, et les mécontents fréquentaient chez elle. Ils s’y délassaient de leurs rancunes, surtout quand Duval ou Picard animaient le cercle de leur verve. Sophie Gay, qui connaissait de longue date ces deux hommes d’esprit, les aimait pour leur gaîté franche, un peu gauloise, pour leurs traditions de bonne comédie. Un jour, pour la fête d’Alexandre Duval, elle fit jouer une petite pièce impromptue dont les acteurs étaient Boieldieu, le prince de Chimay, Alvimare et Talma lui-même, Talma qui pour la première fois de sa vie fit « un rôle bouffe ».

Voilà ce que pouvait être une réunion chez Mme Gay ; mais pour en deviner l’attrait, le plaisir excitant, c’est elle-même qu’il faudrait voir, avec « ces yeux bruns illuminés d’intelligence, cette bouche qui semblait se reposer d’un trait d’esprit dans un sourire, ce visage éclairé d’une sympathique franchise, ce cou, cette poitrine et ces bras de statue qui ont été célèbres ». Surtout il faudrait ressusciter son animation, l’imprévu de son geste, de sa repartie…

Que penser de ce milieu, sinon qu’il était exceptionnellement lettré, vivant et varié. De là chez les enfants, chez Delphine surtout, la plus richement douée, cet épanouissement, cette joie de vivre. Avec sa beauté et ce qu’elle promettait de talent, elle ne fut jamais que fêtée. Cela pouvait être dangereux pour elle ; par bonheur, sa noble nature, naïve et fière, n’était pas sensible à la vanité. Elle nourrissait bien d’autres rêves ; et ces rêves, confus encore mais grands et purs, la préservaient.

Et puis, à certains égards, elle trouvait chez sa mère de beaux exemples. Mme Gay ne vivait pas uniquement la vie factice des salons. Depuis sa ruine, elle écrivait ; elle montrait bien ses solides qualités de courage en même temps que la délicatesse de ses talents. D’ailleurs sa plume était déjà experte. En 1802, au plus beau temps de sa prospérité, elle avait débuté dans les lettres par une apologie de Mme de Staël. La même année, son premier roman, Laure d’Estell, avait paru sans sa signature. Puis onze ans s’étaient écoulés. Ce fut en 1813 que Mme Gay revint aux travaux littéraires et cette fois sérieusement, pour tirer profit de sa plume. Jusqu’à sa mort, elle en usa pour les œuvres les plus diverses : romans romanesques, comédies, opéras-comiques, romans d’histoire, feuilletons. Ses filles ne la virent pas seulement le soir, entourée d’amis et excitée par le plaisir ; elles la virent aussi raturant des feuilles, corrigeant des épreuves, calculant ses maigres ressources ; et, à travers tout cela, toujours courageuse, toujours gaie, toujours au-dessus de la mauvaise fortune.

Voilà les leçons qu’elle donne à ses filles. Aussi n’en fera-t-elle pas de petites bourgeoises, mais des femmes énergiques, spirituelles, et qui mettront les joies de l’esprit plus haut que les satisfactions matérielles. Et avec tout cela, dans l’âme de Delphine, il y avait le don de la poésie.



III


Delphine Gay n’avait que quatorze ans quand la poésie s’éveilla en elle. Ce fut à la campagne, par un jour d’automne, « alors qu’elle se promenait solitaire dans une allée de grands arbres ». Mais est-ce seulement la nature qui détermina cette éclosion ? En cette année 1818, et à l’automne précisément, elle avait vu le congrès d’Aix-la-Chapelle. Pour les souverains, pour les diplomates, les fêtes naissaient de toutes parts. Chez Mme Gay, Sophie Gail était accourue ; Sophie Gail, sa collaboratrice, la musicienne accomplie. Toutes deux, la Sophie de la parole et la Sophie de la musique, allaient de succès en succès. Un petit opéra-comique de leur composition, la Sérénade, faisait l’ornement des galas. Bref, la maison était sens dessus dessous, et tout en faisant office de secrétaires et de servantes, les petites filles devaient avoir la tête tournée. Peut-être Delphine rêva-t-elle aussi les louanges, les acclamations ? Peut-être connut-elle à ce moment quelque exaltation juvénile ? Du moins sa mère, mise au courant de espérances, lui donna-t-elle de sages conseils : Si tu veux qu’on te prenne au sérieux, donnes-en l’exemple, étudie la langue à fond ; pas d’à peu près, montres-en a ceux qui ont appris le latin et le grec, et puis n’aie dans ta mise aucune des excentricités des bas-bleus ; ressemble aux autres par ta toilette et ne te distingue que par ton esprit. En un mot, sois femme par la robe et homme par la grammaire.

Ce fut tout ce qu’elle essaya pour décourager la vocation de sa fille ; déjà sans doute celle-ci lui disait :

En vain dans mes transports ta prudence m’arrête,
Ma mère, il n’est plus temps…

D’ailleurs Mme Gay, si prompte à découvrir le talent, voyait croître ces dons précoces avec une joie grandissante. Loin de prendre ombrage, de s’inquiéter dans son amour-propre, elle voulait que cette dernière fille fût tout son orgueil. Elle lui faisait réciter des vers, le soir, aux amis lettrés de son salon. Elle invitait les jeunes poètes ; de nouvelles figures, illuminées de flamme intérieure, apparaissaient chaque jour chez elle. C’était l’aurore, c’était le printemps.

Mme Gay habitait alors rue Neuve-Saint-Augustin, n° 12, tout près de l’hôtel de Richelieu où descendaient Lamartine et Guiraud quand ils venaient à Paris. Ce jeune Guiraud, vif, remuant, de parler gascon, n’avait pas encore écrit le Petit Savoyard ; mais il composait des vers agréables, très purs de forme. Avec Soumet, avec Rességuier, il était l’honneur de cette brillante pléiade toulousaine qui voulait conquérir Paris. À leurs odes, leurs élégies, les Jeux Floraux prodiguaient les fleurs. Vraiment c’étaient de charmants poètes ; entre eux rien que désintéressement et affection. Le succès de l’un faisait l’orgueil de tous. Ils se couronnaient les uns les autres, ils s’apportaient les nouveaux lauriers. Quand paraissaient des vers de Guiraud, Soumet ne courait-il pas chez de Latouche, chez Deschamps ? Il leur eût retiré des mains ses propres ouvrages ; tous les éloges, il les voulait pour son ami. Mais, quoi qu’il fît, il n’en était pas moins l’étoile du groupe, le grand Alexandre. Des la fin de l’Empire, son élégie la Pauvre fille l’avait fait célèbre et lui avait ouvert les salons.

Tous ces poètes furent accueillis à bras ouverts, maternellement, par Sophie Gay ; et c’est naturel. Elle aimait tant le succès des jeunes ! Suivant le mot de Gautier :

Tout ce qui avait de l’avenir débuta chez elle, car Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/20 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/21 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/22 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/23 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/24 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/25 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/26 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/27 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/28 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/29 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/30 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/31 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/32 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/33 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/34 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/35 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/36 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/37 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/38 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/39 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/40 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/41 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/42 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/43 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/44 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/45 Page:Balde - 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Chapitre VI VI
Les derniers romans

I. La croix de Berny. — II. Marguerite ou les deux amours. — III. Il ne faut pas jouer avec la douleur.


Dans la dernière période de sa vie, si occupée qu’elle fût du théâtre, Mme de Girardin avait repris goût au roman ; et même elle avait porté à ce genre plus d’attention que par le passé.

En 1836, après la fantaisie spirituelle qu’elle lui avait consacrée, Balzac, réconcilié avec son amie, lui écrivait : « Il y a là le même esprit fin et délicat qui m’a ravi dans le Marquis de Pontanges. Mais je vous en supplie, [prenez garde] ; en voyant d’aussi riches qualités dépensées sur des mièvreries (comme sujet), je pleure. Vous êtes une fée qui vous amusez à broder d’admirables fleurs sur de la serge. Vous avez une immense portée dans le détail, dont vous n’usez pas pour l’ensemble. Vous êtes au moins aussi forte en prose qu’en poésie, ce qui, dans notre époque, n’a été donné qu’à Victor Hugo. Profitez de vos avantages. Faites un grand, un beau livre. Je vous y convie de toute la force d’un désir d’amant pour le beau. »

Mme de Girardin dut être flattée par ces louanges ; mais elle n’entreprit pas de faire un grand livre. Et dix ans après, voulant encore « broder d’admirables fleurs », elle prit plaisir au plus curieux des divertissements littéraires. Avec Gautier, Méry et Sandeau, elle composa un roman par lettres. Chacun d’entre eux avait son rôle et le tenait à sa manière ; par conséquent quatre héros dont une seule femme, la blonde Irène de Châteaudun, autour de laquelle se livre un tournoi. Pas de plan préconçu, mais des imaginations qui s’enchaînent, qui se déroulent, qui se préparent des surprises. Cette sorte de « steeple-chase » fut intitulé la Croix de Berny. Faut-il en tenter l’analyse ? Non, sans doute. (Nulle analyse n’est possible.) Mais jetons un coup d’oeil sur ces jeux fantasques.

Irène de Châteaudun est belle, orpheline et de caractère indépendant. Alors qu’elle n’était qu’une toute jeune fille, elle a subi « les coups de l’adversité » : elle a été pauvre, réduite à enluminer des écrans dans une mansarde du Marais ; heureusement un héritage considérable est venu l’arracher à cette retraite et faire d’elle une riche héritière. De ces jours de misère, elle a seulement gardé l’habitude d’agir librement, avec même une pointe de témérité. Grâce à cette humeur, elle saura se mettre dans les positions les plus insupportablement fausses « qu’un esprit raisonnable et un cœur romanesque aient jamais pu combiner ». Son grand souci, c’est de faire un mariage d’inclination et qui réussisse. Pour éprouver ses amoureux, elle les fera entrer dans un labyrinthe, elle s’y engagera avec eux.

Et elle n’aura pas moins de trois amoureux ; chacun l’aimera à sa manière, mais avec une violence accrue, irritée par les obstacles toujours renaissants. Et cependant Irène est honnête, pure, charmante. Elle n’a pas le goût malsain de l’intrigue. Son tort, c’est de vouloir lire trop clairement dans les sentiments qu’elle inspire. Pour y réussir, elle se dérobe, elle disparaît, elle reparaît, elle se dissimule sous un nom d’emprunt. Mais que de dangers ! « On ne badine pas avec l’amour.  »

De ces trois amoureux qui vont successivement prendre grande place dans sa vie, le premier est son fiancé : c’est le prince Roger de Montbert. Il a de la fortune, un beau nom, une santé que les voyages les plus difficiles ont laissée intacte. Certes, elle croit l’aimer. Cependant quelque chose en elle s’inquiète ; ce fiancé charmant ne ressemble en rien à l’idéal qu’elle s’était fait. Elle lui voudrait plus de sérieux. Pour lui en donner, elle compte le jeter dans les tourments. Son plan est arrêté : elle va s’enfuir sans le prévenir ; comme au temps de ses infortunes, elle ne sera plus Irène de Châteaudun, mais Mme Louise Guérin, l’intéressante veuve d’un officier de marine. C’est sous ce nom qu’elle est connue à Pont-de-l’Arche, où une digne directrice des postes, Mme Taverneau, lui a souvent offert l’hospitalité. Le sort en est jeté : elle se retirera à Pont-del’Arche et elle viendra de temps en temps à Paris, incognito, pour observer un peu son fiancé. Bref, « elle assistera à son absence ».

C’est ici que commence la comédie. Le prince de Montbert va poursuivre Irène ; cet homme si bien élevé, qui parle aux dames avec une légèreté brillante, n’en est pas moins un homme terrible. Il a été grand voyageur devant l’Éternel. Il a couru « entre les aspérités des écueils et les mufles des bêtes fauves ». D’ailleurs, tout cela n’était rien ; il le sait bien depuis qu’il est aux prises avec une femme. « Ma jalousie est toute pleine des ouragans et des flammes de l’équateur, écrit-il à son ami le plus cher, le poète Edgard de Meilhan. Or, ce confident — et voilà un imbroglio qui se noue — vit précisément près de Pont-de-l’Arche. Il a rencontré Louise Guérin et s’est épris d’elle. Comme elle le sait ami du prince, elle lui fait d’aimables avances pour tirer de lui des renseignements ; elle est coquette (par curiosité) ! mais ce n’est pas impunément qu’une belle jeune femme offre des pralines à un poète et accepte son bras pour se promener au clair de lune dans un jardin. Edgard (ah ! que Gautier tient bien ce rôle) devient amoureux frénétique. Il est le héros rugissant. Et tout en dévoilant ses plans de conquête dans des lettres tumultueuses, il ne manque pas d’exciter le malheureux prince par des cris de guerre : « Vous pouvez la rencontrer encore ; mais alors, dussiez-vous traverser six boyards, trois moldaves, onze lorettes, dix marchands de contre-marques, écraser une multitude de king-charles, renverser une foule de magasins de pastilles du sérail, filez droit comme un boulet sur votre beauté, et saisissez-la par le bout de l’aile, comme ferait un sergent de ville ou un gendarme, avec politesse mais avec fermeté, car il ne faut pas que le prince Roger de Montbert soit le jouet d’une prétentieuse héritière parisienne.

Pendant que ces colères grossissent, que devient Irène de Châteaudun ? Oh ! elle ne craint rien, elle a le goût des émotions ; toute enfant, elle rêvait de mourir de peur. Mais tandis qu’elle ouvre et ferme ingénieusement « la porte du paradis sur le nez de ses amoureux », un nouveau héros entre en scène. Celui-là porte au front « l’auréole » rêvée. Dès le premier regard, il existe entre eux « l’affinité mystérieuse » de deux instincts « fraternels ». C’est bien celui qu’elle attendait ; c’est « l’âme sœur ».

Chaque génération a sa manière particulière de sentir la vie et l’amour. Vers 1850, les femmes étaient encore romantiques. Elles exigeaient de leur amant des sentiments chevaleresques, elles aspiraient à des félicités impossibles dont la seule pensée les emplissait de crainte et d’exaltation. Irène de Châteaudun ne saurait comprendre la passion que sous cette forme. Aussi Raymond de Villiers — c’est Jules Sandeau — est-il fait pour elle. Il est généreux, c’est un don Quichotte, « un enthousiaste passionné de toutes les nobles et saintes choses ; > il a « l’esprit naturellement gai, le cœur naturellement triste » ; il passe brusquement de la joie la plus vive à quelque accès violent de tristesse ; il a le culte de la femme. En résumé, le plus romanesque des héros. Irène l’aime : elle ne veut pas voir que l’orage monte. Une de ses amies lui a prodigué en vain de sages conseils : « Ne vous attardez pas dans ces intrigues… On ne se joue pas avec les passions sérieuses… » Mais Irène ne croit ni à la passion du prince, ni à celle d’Edgard de Meilhan. Elle a rencontré le premier à l’Odéon, en fort galante compagnie ; elle a surpris le second au Havre, accoutré de vêtements turcs tout chamarrés d’or et pressant du pied une belle négresse. Elle n’a pas deviné que chacun d’eux s’étourdissait comme il le pouvait ; que l’un et l’autre étaient remplis de sa pensée « comme un vase d’une liqueur divine ». À la veille d’épouser Raymond de Villiers, près d’arriver « au plus haut chapitre de son roman », c’est sa joie seule qui l’épouvante. Comme toute amante romantique, elle sent planer la fatalité. Son bonheur si grand, si inespéré est d’avance marqué pour l’expiation : il ne peut être que frappé. Il l’est, en effet. Raymond de Villiers sera tué en duel parle prince. Du moins, ainsi qu’il l’avait souhaité, son âme entraîne celle d’Irène. Cette course folle au bonheur a été la course à l’abîme. Ah ! que tout cela porte l’empreinte de l’époque.

Et maintenant représentons-nous Mme de Girardin, Gautier, Méry et Sandeau, écrivant à quatre ce livre charmant. Que d’allusions lancées, renvoyées ! Que de gaieté dans les détails ! Les uns et les autres, ils ont gardé certains traits de leur caractère ; ils les grossissent, ils les exagèrent. Irène de Châteaudun a la beauté de Delphine Gay, l’esprit de Mme de Girardin. Edgard de Meilhan est un Gautier selon les légendes ; il a l’horreur des banalités, la haine du bourgeois ; il prend le contre-pied des idées communes. Enfin, il vit de la façon la plus pittoresque.

Je perche sur le bord de la rivière, dans une espèce d’établissement baroque qui vous plaira, j’en suis sûr. C’est une vieille abbaye à moitié en ruine, où l’on a enchâssé, de gré ou de force, un logis percé régulièrement de beaucoup de fenêtres, surmonté d’un toit d’ardoises et d’un acrotère de cheminées de toutes grandeurs ; la chose est en pierres de taille que le temps a déjà couvertes de sa lèpre grise, et ne fait pas trop mauvais effet au bout d’une avenue de grands arbres. — C’est là qu’habite ma mère, qui, profitant des murailles et des tours à demi rasées de l’ancienne enceinte, car l’abbaye était fortifiée autrefois pour résister à une invasion subite des Normands, s’est fait, sur le penchant de la colline, un jardin-terrasse qu’elle a encombré de rosiers, d’orangers, de myrtes, dont les caisses vertes remplacent les vieux créneaux ; je n’ai, dans ce coin de nos domaines, contrarié en rien ses fantaisies féminines.

Elle a réuni dans sa maison toutes les coquetteries champêtres et toutes les recherches confortables qu’elle a pu imaginer. De ce côté, je ne me suis opposé à aucun système de calorifère. J’ai laissé tendre les appartements en étoffes de bon goût, je n’ai fait aucune objection contre l’acajou et le palissandre, la poterie de Wegwood, la vaisselle à dessins bleus et l’argenterie anglaise. C’est par là qu’on loge les personnes d’âge mûr et toute la catégorie des gens dits raisonnables.

Moi, je me suis réservé le réfectoire et la bibliothèque des braves moines, c’est-à-dire toute la portion qui regarde le fleuve. Je n’ai pas permis de faire la moindre réparation au mur d’enceinte, qui présente la flore complète des plantes sauvages du pays. — Une porte cintrée, fermée par de vieux ais que colore un reste de peinture rouge, et qui donne sur la berge, me sert d’entrée particulière : un bac manœuvré au moyen d’une poulie glissant sur une corde établit les communications avec une île, verdoyant fouillis d’osiers, d’aunes et de saules, qui fait face à l’abbaye. C’est là aussi qu’est amarrée ma flottille de canots.

Du dehors, vous n’apercevez rien qui désigne une habitation humaine : les ruines s’épanouissent dans toute la splendeur de leur dégradation.

Je n’ai pas replacé une pierre, pas fait boucher une lézarde ; aussi la joubarde, le millepertuis, la campanule, le saxifrage, la morelle grimpante, la grenadine bleue, ont engagé sur les murailles une lutte d’arabesques et de découpures à décourager le sculpteur ornementiste le plus patient.

Je signale surtout à votre admiration une merveille de la nature, un lierre gigantesque, colossal, qui remonte à coup sûr à Richard Cœur de Lion ; il défie, pour la complication de ses enlacements, ces arbres généalogiques de Jésus-Christ qu’on voit dans les églises espagnoles, dont la cime touche les voûtes et dont le pied chevelu plonge dans la poitrine du patriarche Abraham ; ce sont des touffes, des guirlandes, des nappes, des cascades d’un vert si lustré, si métallique, si sombre et si brillant à la fois, qu’il semble que toute la substance du vieil édifice, toute la vie de l’abbaye morte soient passées dans les veines parasites de cet ami végétal qui l’embrasse, mais qui l’étouffé, qui retient une pierre, mais qui en descelle deux pour y planter ses crampons.

Vous ne sauriez vous imaginer quelle élégance touffue, quelle richesse évidée à jour jette cet envahissement de lierre sur le pignon un peu pauvre, un peu sobre de l’édifice, qui, sur cette face, n’a pour ornement que quatre croisées ogivales surmontées de trois trèfles quadrilobés.

Le corps de bâtisse voisin est flanqué à son angle d’une tourelle qui a cela de particulier que, dans sa partie inférieure, elle contient un puits, et dans sa partie supérieure un escalier en spirale. Le grand poète qui a inventé les cathédrales gothiques, en face de cette bizarrerie architecturale, se poserait la question suivante : est-ce la tour qui continue le puits, ou le puits qui continue la tour ? — Vous jugerez, vous qui savez tout et autre chose encore, — excepté pourtant l’endroit où se cache Mlle de Châteaudun. Une autre curiosité du bâtiment c’est un moucharaby, espèce de balcon ouvert par le fond, pittoresquement juché au-dessus d’une porte, et d’où les bons pères pouvaient jeter des pierres, des poutres et de l’huile bouillante sur la tête de ceux qui auraient cherché à s’introduire dans le monastère pour tâter de leur cuisine et de leur vin.

C’est là que je vis seul ou en compagnie de quatre ou cinq livres d’élite, dans une immense salle en ogive, avec des nervures dont les points d’intersection sont marqués de rosaces d’un travail, d’une délicatesse charmante. Cette salle compose tout mon appartement, car je n’ai jamais compris pourquoi l’on divisait par un tas de compartiments, comme l’intérieur d’un nécessaire de voyage, le peu d’espace qui nous est donné à chacun en ce monde pour rêver et dormir, pour vivre et pour mourir. Je déteste les haies, les cloisons et les murs, comme un phalanstérien.

Pour éviter l’humidité, j’ai fait revêtir les parois de cette halle, comme ma mère la nomme, de boiseries de chêne, jusqu’à la hauteur de douze à quinze pieds. Une espèce de tribune, avec deux escaliers, me permet d’arriver aux fenêtres et de jouir de la beauté du paysage, qui est admirable. Mon lit est un simple hamac en fibres d’aloès, suspendu dans un coin. Des divans très bas, d’énormes tapis de tapisserie forment le reste de l’ameublement. À la boiserie sont accrochés des pistolets, des fusils, des masques, des fleurets, des gants, des plastrons, des dumbelles et autres ustensiles de gymnastique. Mon cheval favori est installé à l’angle opposé, dans un box de bois des îles, précaution qui l’empêche de s’abrutir dans la société des palefreniers et le conserve cheval du monde. Le tout est chauffé par une cheminée cyclopéenne, qui mange une voie de bois à chaque bouchée, et devant laquelle on pourrait mettre un mastodonte à la broche.

Bien entendu, il est d’une truculence outrancière et fait étalage de férocité. Les consolations qu’il adresse au prince de Montbert sont d’une brutalité héroï-comique :

« Quelle diable de fantaisie vous avait traversé la cervelle de vous marier, vous qui avez vécu en ménage avec les tigres du Bengale, qui avez eu pour caniches des lions de l’Atlas, et vu, comme don César de Bazan, des femmes jaunes, noires, vertes, bleues, sans compter les nuances intermédiaires ! Qu’auriez-vous fait toute votre vie de cette mince poupée parisienne, et comment votre cosmopolitisme se serait-il arrangé du domicile conjugal ? Bénissez-la au lieu de la maudire, et sans perdre votre temps à la rechercher partout où elle n’est pas, insérez délicatement un cahier ou deux de billets de banque dans votre portefeuille et partons ensemble pour la Chine ; nous ferons un trou dans la fameuse muraille, et nous verrons la réalité des paravents de laque et des tasses de porcelaine. Je me sens une furieuse envie de manger du potage aux nids d’hirondelles, des vers de moelle de sureau en coulis, des nageoires de requin à la sauce au jujube, le tout arrosé de petits verres d’huile de ricin ! Nous aurons une maison peinte en vert pomme et en vermillon, tenue par quelque mandarine sans pieds, avec des yeux circonflexes et des ongles à servir de cure-dents. — Quand attelle-t-on les chevaux à la chaise de poste ? »

Dans les déclarations d’amour, voyez quelle furie :

« Ah ! quel horrible pays que la France ! Si j’étais en Turquie, je vous enlèverais sur la croupe tigrée de mon cheval barbe, je vous enfermerais dans un harem aux murailles à créneaux, entouré de fossés profonds, hérissé d’une broussaille de cimeterres ; des nègres muets coucheraient sur le seuil de votre chambre, et la nuit, au lieu de chiens, je lâcherais des lions dans les cours ! »

Oui, Gautier dut beaucoup s’amuser. Les trois amis ne lui faisaient grâce d’aucun cliché : « L’amour est le plus dur de tous les travaux et vous êtes trop paresseux pour travailler, » lui déclare le prince. (N’oublions pas que ce Gautier, qui a écrit « quelque chose comme 300 volumes », était d’une paresse célèbre.) Les autres reproches ne sauraient manquer : « Il est insensible ; il ne sait aimer dans la femme que la forme d’art. » Écoutons Irène :

« … Et puis ces vilains poètes sont des êtres si positifs ! les poètes ne sont pas poétiques, ma chère… Edgard s’est fait romanesque depuis qu’il m’aime ; mais je crois que c’est une hypocrisie, et je me défie de son amour. Edgard est, sans contredit, un homme supérieur, d’un talent admirable, je juge qu’il est séduisant, la belle marquise de R… l’a prouvé ; mais moi, je ne reconnais pas, dans son amour, cette idéalité que je rêve. Ce n’est pas le regard qu’il aime dans les yeux, c’est la forme pure des paupières, c’est la limpidité des prunelles ; ce n’est pas la finesse et la grâce qui lui plaisent dans un sourire, c’est la correction des contours, c’est la teinte pourpre des lèvres ; enfin, pour lui, la beauté de l’âme n’ajoute rien à la beauté. »

Que d’entrain aussi à railler Méry, à lui écrire : « Vous, mon cher prince, qui avez vécu en ménage avec les tigres du Bengale, qui avez eu pour caniches des lions de l’Atlas… » Ce Méry était Marseillais. Sans prendre la peine de voyager, il décrivait tous les pays. Il « savait l’Inde, et la Chine, et l’Afrique, et l’Asie, et l’Australie mieux que s’il les eût visitées dans leurs mystérieuses profondeurs ». Il avait le don de l’improvisation, « il supposait avec une mystérieuse exactitude ». Et quel goût des complications, quelle spontanéité dans le paradoxe. « Il aurait fallu le faire suivre par un sténographe quand il arpentait le portique du temple grec qu’habitait Mme de Girardin, nous dit Gautier. C’était précisément le temps où les quatre amis composaient la Croix de Berny.

II

Dans la lettre dont un passage est cité plus haut, Balzac disait encore à Mme de Girardin : « Bâtissez une forte charpente. Vous saurez toujours vous éloigner du vulgaire et du convenu. Soyez, dans l’exécution, tour à tour poétique et moqueuse ; mais ayez un style égal, et vous franchirez cette désolante distance qu’il est convenu de mettre entre les deux sexes (littérairement parlant), car je suis de ceux qui trouvent que ni Mme de Staël, ni Mme George Sand ne l’ont effacée. »

Balzac se montrait vraiment excessif. Mme de Girardin ne pouvait prétendre à surpasser ni Mme de Staël, ni Mme Sand, même pas à les égaler ; et elle n’était pas faite non plus pour bâtir de « fortes charpentes ». Elle a donné des romans sans doute, mais ce ne sont pas de grands romans. Écrits par une femme et destinés à plaire aux femmes, ils ont un air d’élégance et parlent d’amour. Le thème brodé et rebrodé, nuancé de marivaudages, est toujours le même : les jeux de l’amour, ses raffinements, ses complications. Nous ne trouverons guère autre chose dans Marguerite et dans Il ne faut pas jouer avec la douleur.


Marguerite ou les deux amours parut en 1853, presque en même temps que Lady Tartuffe. Le succès fut vif. Le problème sentimental, longuement discuté, souvent jugé invraisemblable, servit de prétexte à d’agréables dissertations. On se récriait : « Est-ce possible ? Comment cela se peut-il ? »

L’étude psychologique est en effel fort délicate : Mme d’Arzac est une jeune femme languissante et frêle, au cou flexible, au teint transparent. Déjà veuve, elle est sur le point de se remarier avec un cousin, Étienne d’Arzac, qui l’aime tendrement depuis des années. Elle l’aime aussi, elle l’aime avec calme, avec un cœur confiant et heureux. Mais le véritable amour est-il celui qui donne la joie ? Non certainement, assure Mme de Girardin, le grand amour, l’amour fatal dévaste la vie. Mme d’Arzac en fera l’expérience de façon cruelle. Elle veut épouser son cousin, elle croit lui avoir donné un sentiment sûr. Mais, « le plus beau, le plus spirituel, le plus élégant de tous les jeunes gens de Paris » lui a voué une folle passion. De ces deux rivaux qui déchirent son cœur, c’est l’homme généreux qu’elle plaint, qu’elle estime. Elle ne peut supporter l’idée de le trahir ; mais le deuxième la subjugue mystérieusement et c’est lui qui triomphera. Ainsi placée entre un noble ami et un libertin, Marguerite, si fine pourtant, de sentiments si purs, a subi le sort de tant d’autres femmes : elle a cédé à l’attrait le plus dangereux. Ce n’est pas d’ailleurs sans évanouissements, sans langueurs, sans tentatives pour réprimer ses émotions désordonnés. Du moins, si elle ne peut échapper à l’influence redoutable qui s’est insinuée en elle, elle ne s’accordera aucun pardon. Elle mourra. « J’ai bien combattu, mais je n’ai pu vaincre ces deux puissances rivales. Deux amours de natures différentes se sont malgré moi partagé mon cœur : à l’un je n’ai pu résister, à l’autre je ne puis survivre. »

De nos jours, dans Un Cœur de femme, M. Paul Bourget a traité de façon moderne un cas identique. Une étude de ce genre exige beaucoup de justesse et de précision dans l’analyse des sentiments. Mme de Girardin n’a pas manqué de ces qualités. Son roman porte sans doute la marque du temps ; les amoureux versent trop de larmes et se jettent à genoux avec une ardeur bien passée de mode. Mais que la crise est nettement vue et décrite ! Mme de Girardin a la science du cœur féminin, elle en connaît jusqu’aux fibres les plus subtiles. Que de fines remarques sur les scrupules, sur les incohérences apparentes ! « En amour, les résolutions héroïques sont toujours celles qu’on adopte, parce qu’elles sont impossibles à tenir. On les prend et l’on satisfait sa conscience ; on les abandonne, et l’on contente sa faiblesse ; on se persuade que l’on a cédé à la force des choses. » En ce qui concerne les injustices du cœur humain, les observations sont multiples et ingénieuses. « L’amour est l’amour ; on n’aime pas quelqu’un pour les services qu’il a pu vous rendre ; on aime avec sa nature et ses impressions, et non avec sa reconnaissance et ses souvenirs. » Et encore : « En amour, les bons sentiments portent malheur ; loin d’être récompensés, ils sont punis... Si l’amour était doux, bon, commode et plein d’égards, ce ne serait plus l’amour, ce serait la bienveillance et la charité. »

Certes, Mme de Girardin était une psychologue avertie.


III


Du moins, dans la jolie nouvelle Il ne faut pas jouer avec la douleur, le séducteur sera dupe de ses manèges. Mme de Viremont était conquise et ne demandait qu’à l’avouer, mais le bel amoureux a préféré lui faire subir les épreuves les plus cruelles. Et cela par tactique sentimentale. Il se plaît à croire « que les femmes s’attachent par la douleur ». Pour une fois il s’est bien trompé, et c’est Hector, le brave garçon, le noble cœur, qui bénéficiera de sa méprise. Peu s’en est fallu cependant que son dévouement restât ignoré ! Le temps pressait, il allait mourir. Dieu merci ! L’égoïsme de son rival est venu mettre en lumière ses belles qualités.

En résumé, dans ses romans, Mme de Girardin a montré le même genre de talent que dans ses feuilletons et ses comédies ; toujours de fines observations, l’art des détails, une connaissance exercée des milieux mondains. Et maintenant, avons-nous passé en revue tous ses succès, avons-nous cité tous ses titres à l’admiration ? Non, certes ; au dire de ceux qui l’ont connue, « son véritable triomphe était la conversation ». Si l’auteur en elle était distingué, la femme était incomparable. « Son génie était un de ces génies qu’il faut lire sur la physionomie, dans les yeux et dans le son de la voix, » a écrit Lamartine.

Et c’est ce génie que nous voudrions entrevoir. Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/343 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/344 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/345 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/346 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/347 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/348 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/349 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/350 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/351 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/352 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/353 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/354 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/355 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/356 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/357 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/358 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/359 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/360 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/361 Page:Balde - Mme de Girardin.djvu/362


TABLE DES MATIÈRES


Pages.


CHAPITRE PREMIER
Delphine Gay jusqu’à ses premiers succès.
I. Delphine Gay, sa mère et son milieu. — II. L’enfance et l’éducation de Delphine Gay. — III. Les premiers poèmes
 1
Le dévouement des médecins français et des sœurs de Sainte-Camille dans la peste de Barcelone 
 10


CHAPITRE II
Les triomphes. Delphine Gay « Muse de la Patrie »
I. Le premier cénacle. — II. Delphine Gay chez Mme Récamier. — III. Chez la duchesse de Duras. — IV . Les grandes improvisations. — V. Voyage en Italie 
 13
Le bonheur d’être belle 
 19
La druidesse 
 22
Désenchantement 
 23
La vision 
 25
Envoi à M. Villemain 
 28
Stances sur la mort du général Foy 
 28
Naples 
 32
Le dernier jour de Pompéi 
 33
Le retour 
 34
CHAPITRE III
L’évolution poétique. Mme de Girardin jusqu’aux « Lettres Parisiennes »
I. Déceptions de Delphine Gay. — II. Son mariage. — III E. de Girardin. — IV. Premiers essais en prose : Le Lorgnon. — V. Napoline : la seconde manière poétique
 37
À ma mère 
 38
Ma réponse 
 40
Découragement 
 41
Le départ 
 43
Napoline. Chapitre premier. 
 56
Lettre de Napoline 
 69


CHAPITRE IV
Lettres Parisiennes
I. Fondation de la Presse. — I. Les Courriers de Paris : L’opinion des contemporains. — III. Le tableau du siècle. — IV. Comment le vicomte de Launay a jugé son temps. — V. La publication des Lettres parisiennes.  
 79
La canne de M. de Balzac 
 82
Le roi citoyen 
 86
M. de Lamartine et les journalistes 
 89
La jeunesse légitimiste et le bal Musard 
 91
Le luxe des appartements 
 92
Causerie sur la révolution prochaine 
 94
Les « Courriers de Paris » jugés par Mme de Girardin 
 96


Lettre I (27 octobre 1836). — L’obélisque de Louqsor 
 98
Lettre II (9 novembre 1836). — Récit anticipé d’une réception à l’Académie. — Modes. — Un nouveau roman de M. de Latouche. — Le prince Louis Bonaparte 
 100
Lettre IV (29 décembre 1836). — Toujours des assassinats. — Paris en temps de neige. — Pâtés et canapés. — Histoire de voleur. 
 110
Lettre V (11 janvier 1837) — L’ascension de M. Green. — Bal de l’ambassade d’Autriche. — Bal sournois du faubourg Saint-Germain. — Bal Musard 
 115
Lettre VI (8 février 1837) — Bal masqué de l’Opéra ; plaisir d’imagination. — Les femmes ne dansent plus, elles improvisent. — Triomphe de Musard 
 119
Lettre VII (8 mars 1837). — Les nymphes affamées. — L’enfantillage des hommes chauves. — L’alliance de M. de Lamennais et de George Sand 
 127
Lettre VIII (15 mars 1837). — Le monde parisien qui s’ennuie toujours, le monde parisien qui s’amuse toujours. — Chasse à Chantilly. — Modes 
 132
Lettre IX (22 mars 1837). — Carême. — Une foule privilégiée. — Salon de 1837. — Portraits bourgeois. — Droits des femmes 
 137
Lettre X (7 juin 1837). — Arrivée de la princesse Hélène à Paris 
 142
Lettre XI (14 juin 1837). — Dédain de convention. — Fêtes populaires. — Définition du bonheur. — La princesse Hélène. — Victor Hugo 
 147
Lettre XII (21 juin 1837). — Invocation à la liberté. — Versailles sauvé des rats et des députés. — Tournoi de Tivoli. — Modes 
 152
Lettre XIII (25 août 1837). — Inauguration du chemin de fer de Paris à Saint-Germain. — Boulevards illuminés. — Trop de musique et trop de singes 
 157
Lettre XIV (1er septembre 1837). — La pluie. — Les femmes courageuses. — Une course à Saint-Germain par le chemin de fer. — Négligence des employés. — Tout le monde a mieux à faire que son devoir 
 161
Lettre XV (25 novembre 1837). — Les lettres adressées au vicomte de Launay 
 165
Lettre XVI (24 novembre 1838). — Le retour. — Paris et ses ruisseaux. — Bourganeuf et ses torrents. — Un cheval de fantaisie. — Le jargon de Racine. — Mlle Rachel. — Causeries 
 170
Lettre XVII (30 novembre 1838).— Une découverte. — Lamartine. — Victor Hugo. — Histoire de l’âme humaine. — L’école des Élus. — L’école des Parias 
 176
Lettre XVIII (7 décembre 1838). — La Popularité comédie. — Une lecture à l’Abbaye-aux-Bois. — M. de Chateaubriand. — A Jaunting car 
 181
Lettre XIX (12 janvier 1839) — Aspect de la Chambre des députés. — M. Guizot et Moïse. — Le verre d’eau sucrée. — La statue de la Liberté. — L’éléphant de la Bastille. — Inventions nouvelles. — Tissus de verre — Batiste d’ananas. — Daguerréotype 
 1186
Lettre XX (8 février 1839) — Il y a deux Frances. — Les paresseux agitateurs et les travailleurs insouciants. — Les mauvais sujets réformés, professeurs de moralité 
 192
Lettre XXI (31 juillet 1840). — La guerre. — M. Thiers. — Avantages de la déconsidération. — Une belle peur. — Fêtes de juillet. — Vers contre un ingrat 
 196
Lettre XXII (27 septembre 1840). — Toujours des procès. — Le procès de Mme Lafarge. — Le procès du prince Louis. 
 202
Lettre XXIII (20 décembre 1840). — Retour de Sainte-Hélène. — Le prince de Joinville 
 204
Lettre XVIV (31 décembre 1840). — Réception de M. Mole à l’Académie française. — Le maréchal Oudinot et ses cinquante-sept blessures. — Concert. — Comédie. — Cochinchinois 
 207
Lettre XXV (9 janvier 1841). — L’Académie française. — Élection de Victor Hugo. — L’esprit de parti et le parti de l’esprit 
 213
Lettre XXVI (24 janvier 1841). — Paris fortifié. — Paris bêtifié. — Les vieux et les jeunes rabâcheurs. — Qui est-ce qui voudrait être roi constitutionnel ? — Ce n’est pas vous ? ni moi 
 217
Lettre XXVII (6 mars 1841). — Dernier degré de l’amabilité. — Réunion de célébrités chez Mme de Lamartine. — Variétés de grands hommes. — Coquetterie entre deux maëstri. — Un nouveau roman d’Eugène Sue. — Modes 
 223
Lettre XXVIII (4 avril 1847). — La semaine sainte et les saltimbanques. — Le moderne Longchamp parisien. — Des Allemands en landau qui regardent passer des Espagnols en calèche. — La femme littéraire. — Les Girondins 
 228
Lettre XXIX (3 septembre 1848). — Deux joyeux refrains : Fusiller, fusiller ; guillotiner, guillotiner. — Amour de la propriété. — Dernier culte des Français. — L’acajou, dieu du jour. — Affreux bonheur du bourgeois. — Supplice qu’on lui envie. — Poésie méconnue. — Littérature d’état de siège 
 237
CHAPITRE V
Le théâtre de Mme de Girardin
I. La première pièce de Mme de Girardin : l’École des Journalistes. — II. État du théâtre vers 1840. — Mlle Rachel et son influence. — III. Les tragédies de Mme de Girardin : Judith. — IV. Cléopâtre. — V. Les comédies. — VI. La Joie fait peur
 249
L’École des journalistes (Préface) 
 250
Mlle Rachel jugée par Mme de Girardin 
 252
Judith (Acte Ier, scène VII, 254: — acte II, scène X, 256 : — acte III, scène VI.) 
 257
Cléopâtre(Acte Ier, scène I, 262 : — acte II, scène III 
 263
La Joie fait peur 
 270


CHAPITRE VI
Les derniers romans
I. La croix de Berny. — II. Marguerite ou les deux amours. — III. ne faut pas jouer avec la douleur
 319
La croix de Berny 
 323


CHAPITRE VII
Mme de Girardin dans son salon et parmi les siens
I. Le salon. — II. Les amis. — III. La famille. — IV. Les derniers jours de Mme de Girardin. — V. Son rôle dans le siècle
 331
Lettre à Lamartine 
 335
Le vote de 13 avril 1839 
 340
Pensées sur la mort 
 344
Testament 
 345


Bibliographie 
 347


Table des Matières 
 351




PARIS. — TYP. PLON-NOURRIT ET Cie, 8, RUE GARANCIERE. 17167.