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Mon Féminisme/1

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Mon Féminisme

CHAPITRE Ier

La Femme dans le Passé.


Le « défaut de la plupart des livres est d’être trop longs : quand on a la raison pour soi, on est court ».

Dans cet aphorisme de Voltaire réside la seule excuse, la seule raison d’être de pages aussi brèves, traitant d’un sujet qui comporte des volumes.

À travers la tragique épopée humaine, une des lois fondamentales de notre vie terrestre est la lutte de l’esprit mâle contre l’esprit femelle, lutte incessante, toujours acharnée, souvent féroce, parfois grandiose. Dans cette lutte, l’esprit femelle joue un rôle immense ; s’il y apporte moins de dialectique que l’esprit mâle, il est autrement hanté que lui par les légendes du Passé, par un impérieux besoin d’idéal présent, qui lui font secouer les chaînes des cruelles réalités et rejeter le poids des dures et misérables actualités. Certains auteurs, pour en déduire, paradoxalement mais sans véridicité, que depuis la création la Femme triomphe toujours de l’homme, ont insisté sur les gémissements de l’esprit mâle aux époques de ses défaites. L’Histoire prouve que ce n’est là qu’un sophisme. Si les poèmes du cycle homérique, si les théogonies indoue, égyptienne, hébraïque, grecque, etc., sont, en effet, remplis de la terreur du mystère féminin ; s’ils exhalent des plaintes continues contre le mal venu de ce mystère, ils prouvent seulement que les Hélène, les Calypso, les Maïa, les Isis, les Ève, les Thaïs, les Astarté, les Cléopâtre, les Didon, etc., ne furent, au milieu de la foule féminine asservie, que des victorieuses d’exception, des triomphatrices isolées.

Afin de nous bien pénétrer d’un sujet qui, chaque jour, prend des proportions plus grandes, et dont la conception nouvelle orientera l’Humanité vers de nobles destinées, il est indispensable de jeter un regard sur les siècles défunts (qui, comme le Phénix, renaissent constamment de leurs cendres) durant lesquels la Femme fut tour à tour victorieuse ou vaincue. Sans ce retour en arrière, il est impossible de comprendre pourquoi, aux différentes époques où elle la conquit, elle ne sut pas conserver sa puissance ; il est également impossible de se faire une idée juste du colossal travail qui lui incombe encore pour ne plus retomber dans des erreurs qui semblent avoir fait leur temps.

Comme le fleuve qui descend à la mer pour ne plus remonter à sa source, toute loi physique a son évolution fatale. Toute loi morale porte en elle la même évolution.

Quelque admirables qu’elles puissent nous paraître dans bien des cas, il est donc puéril de désirer voir renaître les formes sociales du Passé. Mais si nous savons regarder à travers le crible de l’Histoire, nous y verrons, pour la question de philosophie sociale qui nous occupe, une suite de préparations indispensables pour l’avenir, non d’infaillibles exemples à suivre. Il ne faut pas copier servilement le Passé, mais il faut se le rappeler toujours ; et les peuples qui honorèrent la vieillesse eurent l’intuition que c’est la grandeur du souvenir qui nous sauve l’espérance.

Les actes même les plus insignifiants de notre vie rendent le plus insciemment du monde un perpétuel hommage au Passé. C’est lui qui renferme des principes immuables. En même temps qu’il est le père de la Tradition — cette ossature de l’histoire de l’Humanité, autour de laquelle s’enroule pour chaque peuple une beauté nationale — il nous fournit toutes les réflexions nécessaires à l’application de lois nouvelles, conformes à un moule nouveau.

Et cela est vrai jusque dans la fiction.

En créant d’après les anciens anas populaires les contes immortels qui charmèrent notre enfance, Perrault subit cette loi de l’évolution.

J’aime à ouvrir ces pages, forcément austères, par la délicieuse légende égyptienne qui s’y rattache, en tant qu’elle montre d’une façon indiscutable le lien du Passé et du Présent, le fond immuable de celui-là s’adaptant, selon les temps et les pays, aux formes nouvelles de celui-ci.

C’est M. Deschanel qui parle :

« Les courtisanes d’Égypte avaient une réputation de beauté et d’esprit qu’elles s’efforçaient de maintenir dans le monde entier.

» Celles de Naucratis étaient les plus célèbres. C’est à Naucratis que vivait cette charmante Rhodope dont le nom traduit en français signifie : « Visage de rose. »

» Le beau Charaxos, frère de Sapho, aimait « Visage de Rose » et en était aimé. Il voyageait de Grèce en Égypte et d’Égypte en Grèce, et à chaque voyage il venait la voir. Pendant un de ses voyages, Visage de Rose ou Rhodope, assise sur une terrasse, regardait le Nil et cherchait à l’horizon la voile du navire qui lui ramenait son amant. Une de ses sandales avait quitté son pied impatient et brillait sur un tapis ; un aigle la vit, la saisit avec son bec et l’emporta dans les airs.

» En ce moment, le roi Amasis était à Naucratis et y tenait sa cour, entouré de ses principaux officiers.

» L’aigle qui avait enlevé la sandale de Rhodope, sans que celle-ci s’en aperçût, la laissa tomber sur les genoux du Pharaon, qui fut bien surpris. Jamais il n’avait rencontré sandale si petite et si avenante. Aussitôt il se mit en quête du joli pied qu’elle chaussait et la fit essayer à toutes les femmes de ses États. Nulle ne put mettre la sandale, nulle, excepté celle à qui elle appartenait. Le roi s’éprit de Visage de Rose et voulut l’avoir pour maîtresse. »

D’après Strabon, Rhodope, cette Cendrillon antique, devint reine au pays du Nil.

Il nous faut maintenant quitter l’Égypte charmeresse pour considérer la femme des temps primitifs, n’ayant pour compagnon que l’être brut et bestial qu’était l’homme d’alors.

Elle fut à cette époque préhistorique une simple génératrice, la terre n’ayant qu’un unique souci : se peupler. Tout en demeurant fidèle à sa fonction, la Femme prit néanmoins peu à peu une influence désignée sous le nom de matriarcat. Bachofen affirme qu’au commencement de l’Humanité la Femme guidait celle-ci et que le matriarcat était considéré comme divin.

Il fut, selon lui, l’origine de la famille et des sociétés ; le patriarcat ne s’exerça que par la suite.

Paul Lacombe croit que l’historien-philosophe envisage les pouvoirs du matriarcat avec trop de sentimentalité ; que ce régime (origine de la prostitution) s’explique logiquement par le haut ascendant de l’intérêt économique des peuples[1].

Quoi qu’il en soit de cette époque reculée et incertaine, au temps de l’auteur des Proverbes, la compagne de l’homme était déjà fort prisée : « La Femme intelligente est un don de l’Éternel » (Prov., chap. XIX, v. 14).

« Elle a plus de prix que les perles, » dit le même sage (Prov., chap. XXXI, v. 10). Enfin, il ajoute que la femme vertueuse est la « couronne de son mari » (Prov., chap. XII, v. 14). Au sens biblique du mot, « vertueuse » signifie ici «  travailleuse et fidèle » : non seulement elle est la vigne féconde, mais elle aide à l’abondance dans les greniers et à la richesse de la maison.

Remarquons en passant que pendant une longue suite de siècles, considéré par la femme des classes supérieures comme une disgrâce, voire une honte, le travail recommence aujourd’hui à être prisé dans ces mêmes classes : la femme bien née est prête à ressaisir avidement ce sceptre dédaigné, que, avec une dextérité pleine de grâce, manièrent ses très lointaines ancêtres.

Une erreur généralement répandue, c’est de croire que les barrières élevées contre l’instruction supérieure des femmes datent des temps reculés, et que nous combattons à l’heure actuelle un préjugé ayant ses racines dans l’antiquité.

Rien de plus faux : si, sous une tutelle qui ressemblait fort à l’esclavage, la Femme de l’Ancien Testament jouissait d’une certaine faveur, elle n’atteignit jamais, même de très loin, à l’influence de ses sœurs à l’esprit cultivé : j’ai nommé les immortelles Grecques Sapho, Lais, Aspasie, etc., qui eurent une valeur intellectuelle leur permettant de marcher de pair avec les plus grands hommes de leur temps.

Pourquoi ?

Parce que, alors que leurs contemporaines, tenues dans une servilité ignorante, vivaient dans le gynécée dédaignées et en recluses, ces femmes recevaient une éducation et une instruction remarquablement viriles. Les hétaïres ou les « amies pour les voluptés de l’âme[2] » (il ne faut pas plus les confondre avec les Hiérodules du temple de Corinthe qu’avec les courtisanes d’aujourd’hui) étaient, en vue de leur avenir, élevées et éduquées avec un soin minutieux ; on les parait de tout le charme et de toutes les séductions que peut conférer une éducation d’art, et de quel art… l’Art grec !

Fort lettrées, très érudites sans être pédantes, elles attiraient et retenaient chez elles les esprits illustres de leur époque ; elles décidaient du succès d’une ode en musique, d’un poème ou d’une pièce de théâtre ; elles donnaient aux plus grands politiciens de la gloire athénienne des conseils judicieux sur le gouvernement de l’État.

L’hétairisme, au début, joua donc un rôle grand et heureux dans l’émancipation féminine, en ce sens que c’est lui qui fut cause que, pour arriver plus tard à en donner aux autres, on donna de l’éducation et de l’instruction à quelques femmes choisies.

En approfondissant toutes choses, nous voyons (avec le temps pour complice !) surgir de la brutalité ou de l’égoïsme de l’homme les vertus et les qualités de la Femme.

Du mal, sort le bien.

Rome eut aussi ses matrones, dont plusieurs brillèrent d’un très vif éclat. Aujourd’hui même, dans les pays où la Femme a obtenu quelques libertés, elle n’est pas (à certains points de vue) aussi puissante que dans la société romaine. Là, épouse libre, elle fonda la famille, institution sociale avant elle mal définie, si l’affirmation de Bachofen au sujet de l’antique matriarcat est trop téméraire.

Quoi qu’il en soit, il est évident que le matriarcat et le patriarcat furent la conséquence de conditions économiques dont l’évolution n’a pas cessé de régir l’Humanité.

Avant l’ère chrétienne, la Gaule donna la prépondérance à la Femme. Dans le culte druidique, la prêtresse de Teutatès jouissait d’un pouvoir illimité ; les plus sages et les plus vénérables Semnothès s’inclinaient devant sa toute-puissance.

Maints actes barbares, inhérents à la férocité du temps, furent abolis par l’influence des druidesses. Ce furent elles qui adoucirent les mœurs farouches de nos aïeux : elles jetèrent dans ces cœurs frustes les germes des qualités chevaleresques dont est douée notre race.

La vierge gauloise de l’époque païenne, drapée dans son fin vêtement de lin blanc, cueillant avec sa serpe d’or le gui vénéré des ancêtres, fut le prototype de la Vierge divine du xiie siècle : à l’ombre du gui sacré, croissait lentement le buis bénit…

Entrons maintenant dans les couvents d’Europe des viie et viiie siècles.

À cette époque (où les lois, les mœurs, faisant durement peser sur elle le joug masculin, la réduisaient à un rôle presque effacé), la Femme cherche à conquérir son indépendance, à jouir de sa liberté dans des lieux où l’homme les y eût ensevelies : elle demande aux monastères de lui rendre son influence, sa dignité, sa toute-puissance.

Elle n’est pas déçue. Elle conquiert dans ces retraites ce que jamais la femme moderne ne trouvera dans sa vie sportive ! Les couvents des viie et viiie siècles la menèrent infiniment plus loin et plus haut que ne le feront jamais certaines revendications actuelles. « Une abbesse de ce temps-là, nous dit spirituellement Arvède Barine[3], aurait trouvé les chefs d’État modernes de bien mesquins camarades… » La Femme était absolue souveraine d’établissements immenses et redoutés. La toute-puissance noblement exercée ne devient-elle pas légitime ?

Les systèmes ne sont grands que par ceux qui les pratiquent. Or, le même auteur nous apprend ce que faisaient ces femmes, qui frappaient monnaie à leur effigie, qui traitaient de puissance à puissance avec les princes de l’Église, et qui, selon Bède[4], donnaient des conseils aux potentats de la terre.

Du fond de leur retraite, tout en tenant leurs cours de justice au milieu d’un train magnifique de gentilshommes, de chapelains, d’intendants, de secrétaires, elles formaient un grand nombre d’hommes distingués, tels que n’en produisent guère aujourd’hui les plus illustres professeurs d’Oxford et de Cambridge, ni les universités d’Allemagne les plus en renom, Hilda de Whitby, supérieure d’un couvent de femmes et d’hommes, vit s’élever à l’épiscopat cinq d’entre ces derniers, qui avaient fait leurs études sous sa direction spéciale.

La souveraine constitutionnelle de nos jours possède à peine l’ombre du pouvoir que détenaient les abbesses des cloîtres d’Angleterre et de Germanie. Il est hors de conteste que ces femmes d’élite eurent sur leur époque une influence civilisatrice considérable.

Plus tard, dans les universités italiennes, la situation de la femme devint très grande. On raconte à ce propos que l’une d’elles, Novella Calderina, professeur de jurisprudence à Bologne, était d’une si transcendante beauté que, dans la crainte de voir les étudiants attirés plus par son visage que par sa science, elle fut forcée de faire son cours la tête recouverte d’un voile épais. Savoir sacrifier, même momentanément, sa beauté à une cause sérieuse, prouve, chez la femme qui en est capable, une culture d’esprit et un jugement exceptionnels.

Ces siècles reculés, où l’autorité féminine a un éclat extraordinaire, sont suivis du Moyen-Age. Au cours de celui-ci, la Femme disparaît derrière un nuage épais et très noir. Son éclipse provoque des périodes non interrompues de ténèbres où l’âme sombre et farouche de l’homme, se grisant de masculinité, redevient barbare. Tous les maux subis durant cette époque nébuleuse, toutes les douleurs et toutes les humiliations endurées, toutes les misères accrues, toutes les aspirations refoulées font à la Femme, au xiie siècle, un magnifique tremplin, d’où elle s’élance cette fois… jusqu’au Ciel !

En effet, en l’an 1134 se lève l’aurore nouvelle qui va éclairer le monde : le culte de la Vierge naît à Lyon !

La Femme rêva-t-elle jamais pareille apothéose ? Je ne sache pas que l’homme puisse la placer plus haut.

Des plis de la robe céleste de Marie, des grâces inconnues et rafraîchissantes se répandent sur l’Humanité : des fleurs de bonté et de douceur, de justice et de tendresse, desséchées et mortes depuis des siècles, ressuscitent pour épanouir et parfumer les cœurs.

De ses mains bénissantes s’échappent des gerbes d’étoiles consolatrices ; une sublime clarté illumine la terre ; l’Adoration y est de l’Espérance !

Le superbe précurseur de ce magnifique mouvement, Héloïse, la grande initiatrice, n’en eut pas même, au fond de son Paraclet, une fugitive vision. Ce qu’elle fut, elle l’a été parce qu’elle devait l’être : l’admirable incarnation du rôle et de la destinée de la Femme à travers les âges, la grande éducatrice inconsciente de l’œuvre immense qu’elle préparait.

Mais pas plus que les autres religions, le christianisme ne libéra la Femme. Certes, par la voix miséricordieuse de Jésus, il adoucit sa servitude ; et la reconnaissance de l’esclave pour cette mansuétude — avant lui inconnue — fut immense, car ce fut elle qui empêcha la nouvelle doctrine de sombrer, qui en assura le triomphe.

L’adoration de Marie s’explique en ce sens que toutes les anciennes religions vouèrent un culte à la Femme.

Le premier peuple du monde, les Égyptiens, adorait un principe mâle et un principe femelle ; les autres peuples suivirent invariablement son exemple :

Le bouddhisme qui, à l’heure actuelle, compte de si nombreux adeptes sur le globe, doit à une main de femme son symbole vénéré le plus ancien. Voici comment :

Un missionnaire royal, Mahindo[5], fils du roi des Indes Dharmasoka, vint prêcher les doctrines bouddhiques à Ceylan, où il convertit le radjah ainsi que la reine Anula. Il faut croire que, dès cette époque, la cour donnait le ton, car après la conversion de la souveraine des milliers de sujettes voulurent prononcer leurs vœux.

Mahindo, se jugeant incapable de les recevoir, appela au secours du zèle des néophytes sa sœur Sanghamitta, qui était abbesse aux Indes. Sur sa prière, elle consentit à se rendre à Anuradhapura, capitale de l’île Fortunée[6].

Lorsqu’elle partit, le roi Pataliputna la chargea de porter à Ceylan une branche du Bô-tree, l’arbre historique le plus antique du monde, et sous lequel Bouddha reposa sa tête vénérée.

Pour un imaginatif, quel débarquement que celui de Sanghamitta, princesse de sang royal, prêtresse indoue, drapée dans une étoffe précieuse couleur du soleil, descendant de son navire de santal et de perles, en pressant sur son sein la branche sacrée du Bô-tree !

Il n’y a que la mythologie du Gange pour enchâsser de pierreries, revêtir de violet, d’or et de mauve la forme si pure d’une philosophie où, toujours, la Femme joua un rôle prépondérant, Et n’est-ce pas merveille que, sur cette terre antique et glorieuse des légendes védiques, elle trouve un argument en faveur des droits qu’elle invoque aujourd’hui ?

Cybèle, Maïa, la Mylitta, l’Aphrodite, Vénus, etc., furent pour l’Orient ce que Edda, Freya, etc., furent pour le Nord. Nous venons de voir le catholicisme, au sortir du Moyen-Âge barbare, se rendre compte de l’impérieuse nécessité d’instituer un culte de beauté et de douceur. Ne fût-ce que pour l’apaisement que le culte de Marie donna aux âmes terrifiées de cette sombre époque, ce culte a droit à la gratitude humaine.

Il remplaça celui des déesses païennes, culte licencieux, répugnant à l’extrême, et, par la grande idée du catholicisme, devint un idéal de consolation et de spiritualisme chrétien.

Pour terminer ce bref aperçu sur le Passé, jetons un dernier coup d’œil sur un siècle aimable et galant entre tous : le xviiie siècle.

L’Histoire est pleine d’enseignements : aussi ne consulte-t-on guère ce fidèle miroir de l’Humanité. Quand on lit les mémoires d’il y a cent ans, on est frappé de l’autorité qu’exerçait alors la Femme, de l’ascendant ouvert ou caché qu’elle possédait et qui se faisait sentir jusque chez ceux qui gouvernaient les peuples. Quelle activité, quelle vigueur elle savait communiquer aux esprits d’élite !

Combien de fois accorda-t-elle la lyre du poète ! Que d’écrivains inspirés par elle ! La vraie gloire, la supériorité par excellence est tout autant d’inspirer que de composer ou de créer. Comme à cette époque elle encourageait l’Art, ce culte du Beau, dont elle devrait toujours être la grande Prêtresse !

Depuis cent ans, qu’est devenue cette influence ? Hélas ! les plus belles comme les plus nobles choses ont des éclipses : chaque fois que l’Histoire nous montre la Femme sous la domination de l’homme (c’est-à-dire lorsqu’elle perd son influence sur lui), nous la voyons condamnée aux pires avilissements : c’est le retour fatal à la barbarie.

Éternelle lutte des sexes !

Mais pourquoi, dans cette lutte vieille comme l’Humanité, la Femme, malgré des époques de si grande puissance, ne put-elle jamais conserver son pouvoir ? Pourquoi, forte de sa ruse féminine, arme de défense (non d’agression) dont elle usa en représailles légitimes, ne fut-elle pas victorieuse ? Pourquoi retomba-t-elle toujours si bas, après être montée si haut ?

Trois motifs nous en donnent l’explication :

1o Depuis que des lois existent, elles ont été faites contre elle.

Or, la Loi est l’arme omnipotente de l’homme, elle seule a pu assurer l’impunité à son orgueil, à son égoïsme ; il les y abrite trop commodément pour rien changer à un état de choses qu’il trouve parfaitement selon sa convenance ; à l’égoïsme, la justice est inconnue.

2o À chaque apogée de son omnipotence, qu’elle sent éphémère (parce que cette omnipotence n’est étayée sur aucune loi, ne repose que sur la finesse, la ruse, faisant d’elle un être d’astuce au lieu d’une créature de droiture et de grandeur), la Femme se grise de féminité, comme l’homme de masculinité, et elle abuse de son pouvoir… jusqu’à le perdre.

3o Pas plus que l’homme, elle ne comprend l’équilibre des sexes ; pas plus que lui, elle ne connaît l’harmonie qui résulterait des deux puissances alliées : ce dicton « l’union fait la force » est vide de sens pour tous les deux.

L’homme, jusqu’ici, a toujours voulu dédaigner l’équilibre, ignorer l’harmonie, Ce dédain, cette ignorance ont été tout autant à son propre détriment qu’à celui de sa compagne. À cette dernière reviendra la gloire — dans un temps lointain sans doute — de saisir le rapport entre cet équilibre et l’harmonie des sexes, de pratiquer des choses de beauté qui lui sont jusqu’ici restées inconnues, ou sont demeurées en elle à l’état latent.

Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’au xxe siècle sonnera pour la Femme une heure historique et solennelle, une heure à la préparation de laquelle les siècles passés n’auront pas travaillé en vain, une heure qui la fera aussi grande qu’elle l’a jamais été, une heure enfin qui conférera à sa grandeur une stabilité qu’elle n’a point connue.

Puisse-t-elle comprendre l’immense portée du geste qu’on attend d’elle ! Puisse-t-elle, quand sonnera cette heure prochaine, y apporter tous ses espoirs, toutes ses réserves d’énergies refoulées et intactes ; puisse-t-elle se souvenir que le principe altruiste de l’Humanité lui est confié, et que tout progrès réalisé par elle est un trésor acquis à tous. Si, quand sonnera cette heure, elle ne se sent pas « un grand peuple neuf au milieu des nations lasses[7] », elle retombera dans les abîmes que, de temps immémorial, elle a si vaillamment franchis.

Cette heure grandiose, ardemment convoitée, c’est celle des revendications légales de la Femme. Hormis les lois, ni religion, ni philosophie, ni quoi que ce soit au monde ne pourra libérer la Femme. Lorsqu’elle les aura conquises, l’Humanité entrera dans une voie nouvelle, réalisant de nouveaux progrès, auxquels elle a souvent aspiré, mais qu’elle n’a point encore goûtés.

Pleine d’héroïsme et d’ardeur divine, la Femme réussira-t-elle dans la tâche qui lui incombe, tâche magnifique, certes, mais hérissée d’obstacles séculaires ?

Se laissera-t-elle abattre par les reculs nombreux et inévitables inhérents à toute cause non acceptée ? Nous augurons qu’ayant accumulé en elle une sève et des qualités qui doivent assurer son triomphe final, cette Isolée des siècles passés, cette grande Résignée des temps antérieurs, aura la force d’accomplir une rénovation sociale qui, en l’adoucissant, atténuera la Douleur à travers le monde.


  1. La Famille sous la société romaine, par Paul Lacombe, chap. II et III.
  2. Démosthène, Plaidoyer d’Apollodore
  3. Les Couvents du temps jadis Arvède Barine
  4. Histoire ecclésiastique des Anglo Saxons (672-735)
  5. Par ordre du roi Dutugemunu, en l’an 90 avant J.-C., des moines étudièrent la Bible bouddhique enseignée oralement par Mahindo et conservée jusqu’alors par la țradition, ils la transcrivirent en langue « pâli » et fixèrent ainsi le système ésotérique du bouddhisme.
  6. Ceylan, nommée Lanka, de laka « obtenir », île où l’on obtient le bonheur.
  7. Marcel Prevost, Lettres à Françoise