Mon berceau/Le Palais-Royal est-il mort ?

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Bellier (p. 364-372).

LE PALAIS-ROYAL EST-IL MORT ?


SES BANQUETS — UN RESTAURATEUR GRINCHEUX — CURIEUSE ANTITHÈSE — L’ARCHITECTE, VOILA L’ENNEMI.

Il y a des oiseaux de mauvais augure qui s’en vont répétant partout d’un air entendu que le Palais-Royal est mort ; j’ai voulu en avoir le cœur net et j’ai pensé que je ne pourrais pas mettre sous les yeux de mes lecteurs une meilleure preuve de la vitalité du Palais-Royal que la liste même des banquets de sociétés qui s’y donnent tous les soirs.

Cette liste est évidemment fort incomplète ; ou les restaurateurs ont négligé de me donner les renseignements demandés, ou ils ne fournissent que la liste des banquets suivis de bal et qui, par conséquent, restent plus tard que deux heures du matin.

Néanmoins, telle quelle, elle pourra encore jeter une vive lumière sur l’intensité de la vie et de l’activité commerciale qui régnent dans le Palais-Royal, quoi que l’on dise.

La plupart des restaurateurs m’ont fourni de fort bonne grâce les renseignements demandés ; un seul, l’associé de M. Laurent Catelain, directeur du Restaurant de Paris, dans la galerie Montpensier, m’a répondu qu’il se garderait bien de m’indiquer les banquets qui se font chez lui, car alors ses voisins iraient lui enlever ses sociétés !

J’ai salué ce monsieur très poliment et lui ai demandé si je ne pourrais pas voir ses ancêtres au Jardin des Plantes, parmi les momies du Muséum, ce qui a paru le scandaliser vivement.

Voilà pourtant où en sont encore certains de nos commerçants, en plein Paris ; c’est triste. Mais, malheureux, si l’on est bien chez toi, on y restera, et tu as tort de prêter des idées si noires à tes voisins : est-ce que le soleil ne luit pas pour tout le monde ?

Aussi bien, sans plus ample entrée en matière, voici la liste des banquets, par restaurant, avec le nombre de couverts, quand on me l’a donnée :

TABLEAU DES BANQUETS DE SOCIÉTÉS
AU PALAIS-ROYAL
RESTAURANT DU GRAND-VÉFOUR
Chefs d’institution 
 20 couverts.
Enfants de Seine-et-Oise 
 20 couverts.
Artistes Lyonnais 
 25 couverts.
Chambre syndicale de la Plomberie 
 55 couverts.
Conférence Le Loiret 
 30 couverts.
Cercle de l’Aube 
 108 couverts.
Dîner des Liquidateurs 
 20» couverts.
Dîner des Commissaires-Priseurs 
 20» couverts.
Banquet des Marchands de Beurre 
 200 couverts.
La Société du Gratin 
 80 couverts.
Réunion de l’Économie sociale 
 30 couverts.
Dîner des Artistes Lyonnais 
 40 couverts.
Dîner du comte Munster 
 50 couverts.
L’Économie politique 
 30 couverts.
Les anciens Officiers mobiles de l’Aube 
 10 couverts.
Chambre syndicale des Tissus 
 35 couverts.
La Soupe aux Choux 
 100 couverts.
L’Économie sociale 
 40 couverts.
Banquet des Avoués 
 40 couverts.
Économie politique 
 40 couverts.
Dîner (Seine-et-Oise) 
 50 couverts.
Dîner de la Promotion 
 35 couverts.
Dîner des Landais 
 70 couverts.
Déjeûner de M. Collin, imprimeur 
 15 couverts.
Dîner des Pharmaciens 
 40 couverts.
Déjeuner des Cinq Associations du baron Taylor 
 50 couverts.
Dîner de l’Économie sociale 
 69 couverts.
Association du Pas-de-Calais 
 160 couverts.
Économie politique 
 40 couverts.
Dîner Comptoir d’Escompte 
 40 couverts.
Dîner Courtiers assermentés 
 40 couverts.
Dîner offert par M. Prince Czerniekff 
 100 couverts.
Dîner de l’Association Polytechnique 
 100 couverts.
Dîner École Centrale 
 15 couverts.
Banquet des anciens Elèves du Lycée d’Orléans 
 60 couverts.
La Soupe aux Choux d’Auvergne 
 20 couverts.
Économie politique 
 25 couverts.
Économie politique 
 10 couverts.
Grand dîner du Premier Arrondissement 
 100 couverts.
Déjeûner du Comptoir de la Machine 
 20 couverts.
Les Artistes Lyonnais 
 20 couverts.
Économie politique 
 25 couverts.
Déjeûner de l’Agriculture 
 15 couverts.
Dîner des anciens Élèves de l’École normale 
 60 couverts.
Dîner Garus 
 130 couverts
— Salmon 
 40 couverts
— Avoués de la Cour d’appel 
 40 couverts
— Lycée Louis-le-Grand 
 27 couverts
— des Allemands 
 30 couverts
— de la Betterave 
 108 couverts
— Économie politique 
 30 couverts
— Avoués Cour d’appel 
 40 couverts
— Association des anciens Élèves de Troyes 
 50 couverts
— Les anciens Élèves du Collège de Sens 
 70 couverts
RESTAURANT TAVERNIER
Banquet des Républicains de Seine-et-Oise 
 22 couverts
Les Positivistes 
 60 couverts
Dîner des Imprimeurs 
 70 couverts
Comité Républicain radical de Seine-et-Oise 
 70» couverts
Les Visiteurs de l’Assistance publique 
 70» couverts
Société « Les Rabelaisiens » 
 70» couverts
Les Amis de Montbéliard 
 70» couverts
Les Ouvriers Confiseurs de Paris 
 70» couverts
Les Républicains Bigourdans 
 70» couverts
Les Affiches Parisiennes 
 70» couverts
Les Allumeurs de gaz de Paris 
 70» couverts
L’École sociétaire Phalanstérienne 
 70» couverts
Les Républicains du Lot 
 70» couverts
Société des Pâtissiers-Cuisiniers 
 70» couverts
Les Prix du Salon 
 70» couverts
Cercle républicain Tourangeau 
 70» couverts
Société théologique des Pasteurs protestants 
 70» couverts
Chambre syndicale des Enseignes et Stores 
 70» couverts
Société amicale de Bourg-St-Andéol 
 70» couverts.
Syndicat central des Chimistes et Essayeurs de France 
 70» couverts.
Société des Corroyeurs-Maroquiniers 
 70» couverts.
L’École d’Alembert, Pupilles de la Seine 
 70» couverts.
Les Étudiants en Pharmacie 
 70» couverts.
Banquet des Positivistes 
 70» couverts.
Société les Gauldes, Franc-Comtois 
 70» couverts.
Les Stéréotypeurs-Galvanoplastes 
 70» couverts.
Les anciens Conditionnels du 131e de Ligne 
 70» couverts.
Société d’Appui fraternel des Sourds-Muets de France 
 70» couverts.
Société musicale « La Nîmienne » 
 70» couverts.
Société des jeunes Bigourdans 
 70» couverts.
Association nationale de Topographie 
 90 couverts.
RESTAURANT CORAZZA
Dîner de la Pomme 
 40 couverts.
Les Professeurs de gymnastique 
 50 couverts.
La Pomme 
 30 couverts.
Union Méditerranéenne 
 70 couverts.
Le Caveau 
 70» couverts.
La Soupe aux Choux 
 70» couverts.
Les Vosgiens 
 70» couverts.
La Basoche Normande 
 70» couverts.
Le Club Alpin 
 70» couverts.
La Drôme 
 70» couverts.
Les Corréziens 
 70» couverts.
Les Francs-Comtois 
 70» couverts.
Les Alsaciens-Lorrains 
 70» couverts.
L’Yonne 
 70» couverts.
L’Aube 
 70» couverts.
Les Ateliers Questel 
 70» couverts.
Les Ateliers Pascal 
 70» couverts.
Les Ateliers Ginoin 
 70» couverts.
Les Ateliers Guadel 
 70» couverts.
Les Ateliers Berrud 
 70» couverts.
Le Bas-Berry 
 70» couverts.
Le Département de l’Eure 
 70» couverts.
Les Pierrettes 
 70» couverts.

Et ce dernier n’est pas des moins amusants, car il n’est composé que de «fort jolies femmes.

RESTAURANT PHILIPPE
Les Tchèques 
 200 couverts.
Dîner des Foréziens 
 38 couverts.
Les Enfants du Nord. 
 27 couverts.
Dîner des Foréziens 
 25 couverts.
Atelier de M. Gabanel 
 40 couverts.
Société des Ponts et Chaussées 
 30 couverts.
Les Corréziens 
 34 couverts.
Les Sténographes 
 38 couverts.
Les Valenciennois 
 36 couverts.
Les Indépendants 
 40 couverts.
La société La Garbure 
 41 couverts.
Les Républicains de la Sarthe 
 38 couverts.
La France Prévoyante 
 36 couverts.
Basses-Alpes 
 70» couverts.
Artistes Indépendants 
 70» couverts.
Polytechnique 
 70» couverts.
Les Enfants du Nord 
 70» couverts.
L’Union Française de la Jeunesse 
 70» couverts.
Le Progrès Sténographique 
 70» couverts.
RESTAURANT TISSOT
Cercle Catholique 
 62 couverts.
RESTAURANT VIDREQUIN
Dîner des Gascons 
 50 couverts.
RESTAURANT CATELAIN
Congrès de la Ligue de l’Instruction 
 33 couverts.
La Côte-d’Or 
 70» couverts.

Voici donc une liste de plus de 130 banquets mensuels, trimestriels, semestriels ou annuels qui ne représentent pas certainement le quart des banquets réguliers de sociétés qui tiennent leurs assises pantagruéliques au Palais-Royal chaque année ; du reste, je suis à la disposition des intéressés pour tenir compte de toutes les additions ou rectifications qu’ils jugeront à propos de m’adresser.

Il ne faut pas oublier qu’en dehors de tous ces banquets traditionnels, il y a tous les soirs au Palais-Royal, les bals avec soupers de sociétés, les noces, les banquets de particuliers et les milliers de provinciaux, d’étrangers et même de… Parisiens qui viennent dîner à la carte et à prix fixe, avant d’aller au théâtre, aux Français, ou au Palais-Royal.

C’est donc la vie dans ce qu’elle a de plus gai et de plus intense qui règne là en souveraine maîtresse, c’est la foule qui vit, s’amuse, mange ferme, boit sec et danse chaque nuit à jambes que veux-tu.

Aussi la musique sort-elle pimpante et entraînante par des centaines de fenêtres éclairées à giorno et tout le monde est-il content… sauf, l’austère architecte, l’honorable M. Chabrol, dont la vertu est bien connue de tous !

Cette jeunesse, cette gaîté l’affolent, cet homme, il est désolé de voir les locataires du Palais-Royal gagner de l’argent ; aussi il se venge en interdisant d’illuminer au 14 juillet.

Ce réactionnaire n’aime pas la République et l’on ferait bien de le renvoyer à ses chères études, car son maintien comme architecte du Palais-Royal est une insulte à nos institutions.

Si tant de sociétés — je crois rester dans la vérité en disant 5 à 600 — viennent chaque année et souvent plusieurs fois par an dîner gaîment au Palais-Royal, c’est qu’elles s’y trouvent bien et qu’elles y restent. Voilà comment on écrit l’histoire, en affirmant ex cathedra que le Palais-Royal se meurt.

Se mourir, le centre le plus vivant de Paris, allons donc, quelle bonne plaisanterie !

Et comme la lecture de cette liste est instructive pour le penseur, pour celui qui regarde à sa fenêtre passer la vie ; dans le même restaurant je vois le banquet des Allumeurs de gaz de Paris et celui de la Société théologique des pasteurs protestants, c’est-à-dire la lumière et l’éteignoir, ceux qui éclairent leurs concitoyens et ceux qui les abrutissent avec leurs fumisteries dogmatiques ; comme c’est amusant et comme c’est bien ainsi que va le monde !

Non, le Palais-Royal n’est pas mort ! il est plus vivant que jamais, c’est clair, c’est évident, c’est certain ; cependant personne ne s’occupe de lui, il prospère seul ; ce qu’il lui faudrait, c’est un homme de bonne volonté qui le défende, qui prenne en mains ses intérêts, qui les connaisse et soit à même de les défendre au sein des assemblées.

Voilà la vérité. Ce n’est pas son architecte qui soutiendra ses revendications, ses desiderata, et sur les autres terrains, il est, hélas ! aussi délaissé.

C’est là le malheur, car avec un peu d’activité et d’énergie, on pourrait en faire le centre le plus vivant du monde entier.

C’est aux intéressés à aviser en temps opportun et à savoir trouver la solution pratique que comporte une pareille situation.