Mon secret/Introduction

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Traduction par Victor Develay.
Librairie de la Bibliothèque nationale (p. 5-18).
Introduction



Sous le titre de Mon Secret, Pétrarque a fait dans un cadre plus restreint, mais avec non moins de sincérité et d’éloquence, ce qu’ont fait saint Augustin et J.-J. Rousseau ans leurs Confessions. Il s’est raconté lui-même à la postérité. Mais, chose singulière ! tandis que les Confessions de saint Augustin et de Rousseau sont dans toutes les mémoires, on semble en quelque sorte se faire scrupule de violer le Secret de Pétrarque. C’est bien à tort. On se prive ainsi de gaieté de cœur du moyen le plus simple et le plus sûr de le connaître, car on le suit dans ces pages, à travers les méandres multiples de sa nature si complexe, sans risque de se fourvoyer. « Il est a douze cents lieues de nous, et son livre imprime en nous son image comme la lumière réfléchie va peindre au bout de l’horizon l’objet d’où elle est partie[1]. »

Ce fut en 1336, lors de l’ascension qu’il fit, en compagnie de son frère, sur le mont Ventoux, que l’idée de ce livre germa dans son esprit. La montée était longue et pénible. Il dut s’arrêter plus d’une fois. Dans une de ces haltes, le vaste silence de la solitude éveillant ses souvenirs, il fit un retour sur lui-même. « Il y a aujourd’hui dix ans, se dit-il, que, libéré des études de ta jeunesse, tu as quitté Bologne. Mais, Ô Dieu immortel ! ô Sagesse immuable ! que de grands changements cet intervalle a vu s’opérer en toi ! » Et il ajoute : « Je laisse de côté ce qui n’est pas fini, car je ne suis pas encore dans le port pour songer tranquillement aux orages passés. Il viendra peut-être un temps où je relaterai dans leur ordre tous les événements de ma vie, en prenant pour texte cette parole de votre Augustin[2] : Je veux me remémorer mes souillures passées et les corruptions charnelles de mon âme, non que je les aime, mais pour que je vous aime, mon Dieu[3] ». Il avait sur lui un exemplaire des Confessions de saint Augustin qui ne le quittait pas. Arrivé au sommet de la montagne, il tira de sa poche le précieux volume, l’ouvrit au hasard et y lut ce qui suit : Les hommes s’en vont admirer la hauteur des montagnes, les grandes agitations de la mer, le vaste cours des fleuves, la circonférence de l’Océan, les évolutions des astres, et ils s’oublient eux-mémes[4]. Frappé de l’à-propos de cet avertissement, il ferma le livre, ne voulut plus rien voir du spectacle magnifique qu’il était venu chercher au prix de tant de fatigues, et, abîmé dans une rêverie profonde, il redescendit les pentes de la montagne sans desserrer les lèvres.

Il fit faire de ce livre de nombreuses copies qu’il se plut à répandre. Il le portait toujours sur lui comme un talisman. Il fallut, pour qu’il s’en séparât, que la faiblesse de sa vue ne lui permît plus de s’en servir. Alors il en fit cadeau à l’un de ses meilleurs amis. « Je vous donne volontiers, lui écrit-il, le livre que vous me demandez, et je vous le donnerais plus volontiers s’il était tel que me l’a donné dons ma jeunesse ce Dionigio de votre ordre[5], excellent professeur de lettres sacrées, homme distingué sous tous les rapports et mon père très indulgent. Mais alors inconstant par l’âge et peut-être par le caractère, comme ce livre me plaisait infiniment à cause du sujet et de l’auteur, et que sa petitesse le rendait portatif, je l’ai colporté souvent dans presque toute l’Italie, en France et en Allemagne, au point que ma main et le livre semblaient pour ainsi dire ne faire qu’un, tant par un usage continuel ils étaient devenus inséparables. Je vais vous dire une chose qui vous étonnera. Sans parler des chutes qu’il a faites dans les fleuves et sur la terre, une fois à Nice il fut englouti avec moi sous les flots de la mer, et c’en était fait indubitablement si le Christ ne nous eût arrachés tous deux à ce pressant danger. Dans ces allées et venues il a vieilli avec moi, de sorte que déjà vieux il ne peut plus être lu par un vieillard sans beaucoup de peine. Sorti de la maison d’Augustin, il y retourne enfin maintenant, sans doute pour voyager aussi avec vous. Acceptez-le tel qu’il est et faites-lui bon accueil[6]. »

Ce livre est malheureusement perdu. Le pieux restaurateur de la bibliothèque de Pétrarque, M. P. de Nolhac a eu le désappointement de ne pouvoir l’ajouter à tant d’autres qu’il a découverts et décrits. « Ce manuscrit, dit-il, que l’on ne saurait trop regretter, est certainement rempli sur les marges de scolies et des pensées les plus secrètes[7]. » Disons-le à son honneur, M. P. de Nolhac, par un assemblage de qualités qui semblent s’exclure, joint la sagacité patiente de l’érudit à la flamme du poète[8], et un simple cri, échappé à Pétrarque dans ses notes marginales, fait naître sous sa plume des développements aussi vrais qu’inattendus.

Ce goût si vif de Pétrarque pour saint Augustin s’explique par une affinité secrète. M. de Lamartine, dont l’autorité en pareil cas ne saurait être mise en doute, a surnommé l’évêque d’Hippone le Pétrarque africain[9]. Tous deux, d’une âme ardente et d’un cœur tendre, cédèrent aux entraînements du monde ; tous deux, désabusés, brûlèrent, comme le fier Sicambre, ce qu’ils avaient adoré et firent une guerre sans relâche à ce qui les avait charmés jusque-là. C’est l’histoire de cette lutte si mouvementée de la passion et de la raison qui donne à leurs confidences tant d’intérêt. Mon Secret se distingue surtout par l’accent de la sincérité et une émotion communicative. Ce n’est point un philosophe orgueilleux qui trône, comme Jean-Jacques, au-dessus de tout le genre humain ; c’est un pénitent qui se confesse et s’humilie. Saint Augustin y remplit le rôle de grand justicier. « Les demandes du saint fouillent impitoyablement dans la conscience du fidèle, et celui-ci répond, se défend ou s’accuse avec une simplicité touchante, avouant à la fois celle des passions dont on est le plus fier : l’amour de la gloire, et ceux des défauts qui coûtent le plus à reconnaître : les petitesses de la vanité. Depuis le livre de saint Augustin, qui l’a inspirée, aucune œuvre n’a révélé à ce degré l’intimité d’une âme, et cette âme se trouve par bonheur une des plus délicates et des plus complexes qui aient jamais été[10]. »

Est-il étonnant que ces pages, écrites avec tant d’abandon, où il a épanché toute son âme, fussent l’œuvre favorite de Pétrarque ? C’était son livre de chevet, son conseiller fidèle, son mentor ; il y revenait avec bonheur dans ses heures de recueillement. C’est lui-même qui nous le dit : « Pour que cet entretien si intime ne fût point perdu, je l’ai mis par écrit et j’en ai fait ce livre. Non que je veuille le joindre à mes autres ouvrages et en tirer vanité ; mes vues sont plus élevées : le charme que cet entretien m’a procuré une fois, je veux le goûter par la lecture toutes les fois que cela me plaira. Ainsi donc, cher petit livre, fuyant les réunions des hommes, tu te contenteras de rester avec moi, en étant fidèle à ton titre, car tu es et tu seras intitulé : Mon Secret, et dans mes méditations les plus hautes, tout ce que tu te rappelles avoir été dit en cachette, tu me le rediras en cachette[11]. »

Peut-on prononcer le nom de Pétrarque sans éveiller à l’instant le souvenir de Laure[12] ? Elle fut le tourment perpétuel de sa vie, il lui doit sa gloire. C’est dans l’église de Sainte-Claire d’Avignon, le 6 avril 1327, un vendredi saint, que Pétrarque, âgé de vingt-trois ans, la vit pour la première fois. Elle était dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté. Des tresses d’or flottant sur les épaules, des yeux noirs au regard limpide et doux, un teint d’une blancheur éclatante, un cou de neige, des dents d’ivoire, une voix suave, tant de charmes réunis le subjuguèrent. Il retraça ses propres impressions en dépeignant dans son poème de l’Afrique la rencontre de Sophonisbe et de Massinissa : « Soudain un feu dévorant avait circulé dans tout son être, comme fond un bloc de glace sous les chaleurs de l’été, ou la cire molle près d’un foyer ardent. Massinissa, en la regardant, est captivé par son ennemie captive, et la vaincue a pu dompter son fier vainqueur. De quoi ne triomphe pas l’amour ? Quel coup de foudre lui est comparable[13] ? À partir de ce moment il ne s’appartint plus. Cette douce vision le poursuivit partout sans paix ni trêve. Il avait reçu de la nature un tempérament ardent. « De quels feux la luxure ne t’embrase-t-elle pas ? » se fait-il dire par saint Augustin. « De feux si violents parfois, répond-il, que je regrette bien de ne pas être né insensible. J’aimerais mieux être une pierre inerte que d’être tourmenté par tant d’aiguillons de la chair[14]. » Et ailleurs, en parlant des révoltes des sens, il se compare à un cavalier qu’emporte un cheval fougueux.

Fière d’un amant qui la rendait célèbre par toute la terre, Laure sut, pendant vingt et un ans, attiser sa flamme. Peut-être en la satisfaisant l’eût-elle éteinte. C’est à sa résistance que l’on doit ces immortels sonnets qui sont autant de médailles commémoratives des mille incidents de la passion qu’elle inspira. Rebuté par sa maîtresse, Pétrarque tomba dans une mélancolie profonde. Il en dépeint ainsi les effets : « Dans presque tous les maux dont je souffre, il se mêle une certaine douceur, quoique fausse ; mais dans cette tristesse tout est âpre, lugubre, effroyable : la route est toujours ouverte au désespoir, et tout pousse au suicide les âmes malheureuses. Ajoutez que les autres passions me livrent des assauts fréquents, mais courts et momentanés, tandis que ce fléau me saisit parfois si fortement qu’il m’enlace et me torture des journées et des nuits entières. Pendant ce temps, je ne jouis plus de la lumière, je ne vis plus, je suis comme plongé dans la nuit du Tartare, et j’endure la mort la plus cruelle ; mais, ce que l’on peut appeler le comble des misères, je me repais tellement de mes larmes et de mes souffrances avec un plaisir amer que c’est malgré moi qu’on m’en arrache[15]. »

Croyant que l’absence le calmerait, il chercha une distraction dans les voyages. « Quoique j’aie prétexté différents motifs, dit-il, l’unique but de toutes mes pérégrinations et de mes séjours à la campagne était la liberté. Pour la recouvrer, j’ai erré au loin à travers l’Occident, à travers le Nord et jusqu’aux confins de l’Océan ». Et il ajoute avec amertume : « Vous voyez combien cela m’a servi[16] ». Il ne fit en effet que traîner sa chaîne : il retrouvait partout dans son imagination celle qu’il fuyait. En traversant seul les Ardennes désolées par la guerre, ce n’est point l’ennemi qui le préoccupe, c’est Laure. «  Il me semble l’entendre, dit-il, lorsque j’entends les branches, les vents, les feuilles, les oiseaux gémir, et l’eau fuir en murmurant à travers l’herbe verte. Je vais chantant, ô pensées peu sages ! celle que le ciel ne pourra jamais éloigner de moi, car je l’ai dans les yeux. Il me semble voir avec elle des dames et des demoiselles et ce sont des sapins et des hêtres[17] ».

N’obtenant pas des voyages la guérison qu’il en attendait, Pétrarque eut recours à un autre remède. À l’âge de trente-trois ans, il rompit courageusement toute espèce de relations et se condamna à une solitude absolue. Il vint se confiner dans la vallée sévère de Vaucluse, s’armant, pour combattre sa passion, de l’étude et de la prière. Inutiles efforts ! De même que saint Jérôme, au fond du désert était obsédé par le souvenir des fêtes romaines, Pétrarque, dans sa retraite, fut assailli par l’image de Laure. « Elle me poursuit de nouveau, dit-il, et réclamant ses droits, tantôt elle se présente à mes yeux pendant que je veille, tantôt d’un front menaçant elle trompe par une vaine terreur mon sommeil léger. Souvent même (chose merveilleuse !) ma porte étant fermée à triple verrou, elle pénètre dans ma chambre à coucher au milieu de la nuit et revendique tranquillement son esclave. Mes membres se glacent, et mon sang reflue tout à coup de toutes mes veines pour protéger la citadelle du cœur. Nul doute que si quelqu’un apportait par hasard une lumière rayonnante, il ne découvrît sur mon visage une pâleur mortelle et toutes les marques d’une âme saisie d’effroi. Je me réveille, épouvanté, en versant un torrent de larmes ; je saute hors du lit, et, sans attendre que la blanche épouse de Tithon[18] paraisse peu à peu à la voûte céleste, j’abandonne l’intérieur suspect de mon habitation. Je gagne la montagne et les bois, en jetant les yeux autour de moi et en arrière pour voir si celle qui était venue troubler mon repos, s’acharnant à me poursuivre, n’avait point devancé mes pas. Mes paroles trouveront foi difficilement. Puissé-je échapper sain et sauf à ces embûches, aussi vrai que souvent, quand je crois être absolument seul au fond de la forêt, le branchage et le tronc d’un vieux chêne me représentent son image redoutable ! Je l’ai vue émerger d’une fontaine limpide ; elle à brillé au-devant de moi sous les nues ou dans le vide de l’air. En croyant la voir sortir vivante d’un bloc de pierre, la frayeur a tenu mes pas suspendus. Tels sont les pièges que l’amour me tend. Il ne me reste aucun espoir, à moins que Dieu tout-puissant ne me délivre de tant d’assauts, et que, m’arrachant de ses mains à la gueule de l’ennemi, il ne veuille que je sois au moins en sûreté dans cette retraite[19]. »

Maintenant, que le lecteur prononce ! Une passion aussi violente, aussi tyrannique, fut-elle purement idéale ? Soutenir l’affirmative, ce serait méconnaître le cœur humain. Certains esprits, dépourvus de critique, ont cru grandir Pétrarque en lui prêtant un amour dégagé de tout appétit charnel ; d’autres sont allés jusqu’à nier l’existence de Laure et ont prétendu qu’il s’était épris d’une fiction. Il suffit de lire le Canzoniere et surtout Mon Secret, pour voir que l’amant de Laure ne se contenta pas d’une admiration extatique, mais qu’il désira des réalités. Il en sollicita la possession par tous les moyens que la passion suggère ; mais il échoua devant une résistance invincible. Nous avons à cet égard son propre témoignage, et il est d’autant plus digne de foi que les amants n’ont pas coutume de prendre le public pour confident de leurs défaites. « Sans se laisser émouvoir par mes prières, ni vaincre par mes caresses, dit-il, elle garda son honneur de femme, et malgré son âge et le mien, malgré mille circonstances qui auraient dû fléchir un cœur d’airain, elle resta forme et inexpugnable. Oui, cette âme féminine m’avertissait des devoirs de l’homme, et, pour garder la chasteté, elle faisait en sorte, comme dit Sénèque, qu’il ne me manquât ni un exemple ni un reproche[20]. À la fin, quand elle vit que j’avais brisé mes rênes et que je courais à l’abîme, elle aima mieux me lâcher que me suivre. » Et après un tel aveu, voici les paroles qu’il met dans la bouche de saint Augustin : « Tu as donc eu parfois des convoitises honteuses, ce que tu niais tout à l’heure[21]. »

M. Anatole France, dans son étude si documentée sur Elvire, une sœur de Laure, a soulevé d’une main discrète le voile mystérieux qui enveloppait les deux amants. Suivant d’un œil malin les marches et les contremarches, les sièges et les assauts de cette tactique amoureuse, par une de ces antithèses chères à Pétrarque, il l’a baptisée de son vrai nom : « la chasteté lascive[22] ».

Pétrarque fut mieux partagé du côté de la gloire. Aucun écrivain ne fit plus de bruit ans son siècle et ne recueillit plus d’ovations. Ses Sonnets étaient répétés à l’envi dans toute l’Europe. Mais ce succès, si prodigieux qu’il fût, n’était pas de nature a satisfaire son ambition. Loin d’en être fier, il en rougissait. Ses visées étaient plus hautes. Il voulait renouer la chaîne interrompue des traditions de la littérature latine, dépositaire éternelle du beau. Déjà tout enfant, sans en comprendre le sens, son oreille savourait l’harmonie de la phrase dans Cicéron. Lui qui avait tant contribué au perfectionnement de sa langue maternelle, il l’abdiqua en quelque sorte et n’écrivit plus qu’en latin. Cicéron, Virgile, Sénèque, saint Augustin furent ses éducateurs et ses guides. Passionné pour les anciens, il en chercha partout les épaves avec une infatigable persévérance et nous lui devons la découverte de plus d’un monument précieux de l’antiquité, te souci de la forme le préoccupait avant tout et il ne se lassait pas de remanier ses écrits. À la monotonie fastidieuse que la scolastique du moyen âge avait imposée au latin, il substitua, avec l’accent personnel, la couleur et la vie. Secouant le joug des influences extérieures, il s’éleva au-dessus d’elles de toute la hauteur de son originalité. Ajoutez à cela un sens critique si sûr qu’aujourd’hui encore la plupart de ses jugements font autorité. « C’est ainsi qu’il inaugura chez les Latins le sentiment délicat de la culture antique, source de toute notre civilisation, et qu’il mérite d’être appelé le premier homme moderne[23]. » Par le latin, langue universelle, il agissait sur toute la partie pensante de son temps. Après lui, la route se trouva frayée ; les grands humanistes de la Renaissance n’eurent qu’à la suivre.

Poésie, philosophie, histoire, éloquence, polémique, style épistolaire, il cultiva presque tous les genres. On remarque dans ses Épîtres, une grande variété de tons et le sentiment développé du pittoresque. Dans ses Églogues et ses Lettres sans titre, il flétrit avec une verve mordante les scandales de la cour papale d’Avignon. Il entreprit de célébrer dans une épopée la conquête de l’Afrique par Scipion. Il fondait sur ce poème tout l’édifice de sa renommée. Ses contemporains en saluaient d’avance l’apparition et se promettaient une seconde Énéide. La postérité en a jugé autrement ; mais si l’Afrique ne place pas son auteur à côté de Virgile, elle le met bien au-dessus de Stace et de Silius Italicus.

L’histoire, mais surtout l’histoire romaine, eut pour lui un vif attrait. Il rêva toute sa vie la transformation de la patrie italienne, et pour y parvenir, il ne trouva rien de mieux que de proposer en exemple les hommes illustres qui avaient porté si haut le nom romain. L’étude la plus complète qu’il nous ait laissée est la Vie de Jules César. Dans ses traités philosophiques, reflet de la doctrine de Cicéron et des Pères de l’Église, il emploie généralement la forme du dialogue, assaisonné d’une légère pointe d’ironie socratique.

Mais de toutes les œuvres latines de Pétrarque, celle qui intéresse le plus la postérité, c’est sans contredit sa correspondance, où il a versé le meilleur de lui-même sur les personnes et les choses de son temps. « Elle devint le lien magique qui, pour la première fois, unissait toute la république littéraire européenne[24]. » C’est un vaste panorama où défilent tour à tour papes, empereurs, rois, cardinaux, princes, prélats, chevaliers, savants, moines et autres. Elle exerça sur ses contemporains une telle influence qu’on pourrait, avec raison, surnommer le XIVe siècle, le siècle de Pétrarque. De plus, sa correspondance est le pendant obligé de Mon Secret ; si dans l’un il a voulu se peindre, dans l’autre il s’est peint sans le vouloir.

Le texte de Mon Secret, ainsi que celui de la plupart des œuvres latines de Pétrarque, est outrageusement altéré dans toutes les éditions. Nous avons dû, avant de traduire, rétablir scrupuleusement le texte d’après les trois manuscrits de la bibliothèque Nationale, portant les numéros 6502, 6728 et 17165 du fonds latin. Nous avons relevé presque à chaque page les fautes les plus grossières. Cette négligence inconcevable des éditeurs explique pourquoi Pétrarque est si peu connu. L’Italie qui a rendu au génie de Dante l’hommage qu’il méritait en publiant, avec un soin pieux, ses œuvres complètes, laissera-t-elle toujours dans un honteux abandon les œuvres de Pétrarque ? « Pour l’Italie savante d’aujourd’hui, formée aux meilleures écoles de travail et jalouse d’honorer ses grands hommes, ce serait, semble-t-il, la plus digne façon de préparer, pour 1904, la célébration du sixième centenaire de Pétrarque[25]. »

V. Develay.
  1. Taine, Essais de critique et d’histoire..
  2. Lettres familières, IV, 1.
  3. Confessions, II, 1.
  4. Confessions, X, 8.
  5. Le P. Dionigio Roberti, augustin.
  6. Lettres de vieillesse, XV, 7 (au P. Luigi Marsigli, augustin).
  7. Thèse latine.
  8. L’Académie française a couronné ses poésies.
  9. Cours familier de littérature. Entretien XXXII.
  10. P. de Nolhac, Pétrarque et l’Humanisme. Introduction.
  11. Mon Secret, préface.
  12. M. Thiers lui-même, quand nous lui communiquâmes notre projet de traduire la vaste correspondance de Pétrarque, projet qu’il accueillit avec enthousiasme, nous demanda aussitôt si, dans le nombre, il y avait des lettres adressées à Laure. Pénétré d’admiration pour Pétrarque, il a témoigné le regret de mourir avant que nos travaux le lui eussent fait connaître intimement. Dans la rude tâche que nous nous sommes imposée de ressusciter les œuvres presque mortes de ce noble esprit, la haute approbation de M. Thiers a été pour nous le plus précieux des encouragements et la plus flatteuse des récompenses.
  13. L’Afrique, V, 69-76.
  14. Mon Secret, dialogue II.
  15. Mon Secret, dialogue II.
  16. Mon Secret, dialogue III.
  17. Sonnets, I, 124.
  18. L’Aurore.
  19. Épîtres, I, 7.
  20. Des Bienfaits, VII, 8.
  21. Mon Secret, dialogue III.
  22. L’Elvire de Lamartine, p. 60.
  23. E. Renan, Averroès, III, 3.
  24. De Sismondi, Littératures du Mii de l’Europe, t. I, p. 401.
  25. P. de Nolhac, Pétrarque et l’Humanisme, p. 7.