Monde/52

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Les Arts et l’Harmonie


L’art, les arts — immense développement. « Arts magna vita brevis ». Parmi les créations de l’homme les arts, après la technique, occupent une place prépondérante.

Esthétique. — L’esthétique est rattachée à la Philosophie. Elle comprend une partie spéculative, l’étude du beau et celle du sentiment esthétique. Elle trouve sa place en ontologie et en psychologie une partie pratique, l’étude des arts, recherche des moyens pratiques de réaliser le beau.

L’art s’assimile à la nature, en tant qu’il tend à ordonner toute chose selon les concepts élémentaires et éternels. En architecture, l’harmonie, cette ordonnance limpide et spectaculaire de l’évolution des volumes et des espaces.

La loi créative de l’art est la loi d’unité du tout, de la concordance de toutes les parties appliquées à l’art et à la vie.

L’esthétique moderne relève de la formule. La fonction crée la forme ; la beauté est l’adaptation la plus parfaite de la forme à sa fonction.

Ainsi, l’architecture est l’art complet et merveilleux.

À travers les âges une évolution logique profonde en dirige le développement. Vues du point de leur aboutissement, ses formes architectoniques apparaissent sans discontinuité ni écart. Tantôt brusque et comme par une mutation, tantôt lente et tantôt par une transition théorique à peine visible, les formes succèdent les unes aux autres sous l’espèce de quelque nécessité intellectuelle supérieure. Ainsi la Renaissance ne fut pas un retour pur et simple aux formes de Rome et de la Grèce. Les formes de l’architecture gothique s’étaient elles aussi créées progressivement par une lente élaboration ; elles étaient le fruit d’un travail continu et de la pensée de nombreuses générations ; elles correspondaient aux besoins et aux désirs de leur époque et elles ne pouvaient être changées que si l’esprit qui les avait créées se modifiait lui-même.

Harmonie. — Le terme « Harmonie » est employé ici dans un sens analogique et conventionnel, comme le plus approchant pour représenter cette notion : la totalisation concordante et amplifiée des sentiments, au delà de l’âme des individus, en une chose qui serait en quelque sorte celle formée par l’ensemble des choses. Sentiment de l’univers ; non point celui que perçoit l’individu en présence de l’univers, mais en quelque sorte le sentiment que l’univers lui-même ayant perçu de soi, par incidence, l’individu le percevrait à son tour comme un des modes du tout et le percevrait encore dans le mode de la connaissance et dans celui de l’action… C’est là une conception de caractère métaphysique sans doute née du double besoin de généralisation et de symétrisation. La pensée est portée à la faire naître aussitôt qu’elle a posé une sorte de « sublimation » du sentiment, comme elle l’a fait de la connaissance jusqu’à la synthèse et de l’action jusqu’à l’organisation.

Il faut préciser par comparaison. Harmonie, d’après son étymologie, signifie arrangement, ajustement. Un mot qui signifie en musique, l’harmonie des sons, leur concordance ; troisième des éléments fondamentaux avec la mélodie et le rythme ; en philosophie le système de Leibnitz de l’harmonie préétablie ; en sociologie, le système de Fourier (Palingénésie) prévoyait une époque à venir d’accord parfait entre les éléments de la société et de bonheur sans mélange pour le genre humain ; en littérature l’harmonie du style fait du choix des mots, de l’agencement et de la cadence des phrases, des périodes, en une sorte de concordance intime entre l’expression et l’idée à exprimer, de rapports entre le rythme, le nombre et la pensée.

Plus précis encore, l’harmonie de l’orgue, malgré ses dons naturels, ne résulte que leur usage modéré. Comme en toute œuvre d’art, la difficulté est de faire que la complication intéresse ; le nombre prodigieux d’éléments sonores se fondent, sans effort apparent, dans la naissance d’un ensemble clair, souple, précis et intelligent, en évitant l’expression un peu facile du monstrueux, du gigantesque et du gémissant ; l’orgue qui détaille les fines pièces de Couperin, l’exact contrepoint de Titelouze ou la polyphonie géniale de J. S. Bach. (F. Gonzalez.)

L’harmonie c’est l’unité vivante, C’est au delà de l’art l’équivalent de ce qu’est la synthèse placée au delà de la connaissance positive et s’élevant jusqu’à la philosophie, la métaphysique même. L’harmonie surgissant de la conscience individuelle par la coopération volontaire des idées et des efforts.

L’harmonie c’est aussi la mesure qu’il ne faut ni dépasser ni « sous-passer » ; la mesure qui est la règle suprême à observer par les hommes vivant en société.

L’harmonie c’est aussi la lumière intérieure « l’équation heureuse réalisée entre ce qu’on aime faire et ce que les circonstances obligent à faire ». En se prolongeant autour de soi, elle est une lumière qui demeure dans les ténèbres, une lumière qui peut devenir une illumination toujours plus grande.

La vie humaine, au dire de Platon, a besoin de rythmes et d’harmonie. Au dire des grands scolastiques la splendeur de l’ordre est aussi la splendeur de la forme.

Dans le monde considéré comme objet, tout est énergie et onde. Pour le Moi, le sujet, qui la reçoit de son milieu, l’onde deviendra le rythme quand elle sera assimilée en harmonie avec la propre constitution du moi.

Ainsi la musique apparaît comme un cas particulier de toutes les ondes au sein desquelles nous sommes plongés ; ainsi encore la musique devient un aliment substantiel pour qui l’entend.

Le rythme est un principe général commun aux divers Rythmes de l’action. Le contraire de l’harmonie est l’opposition des sentiments ; celle-ci est apparentée à la contradiction des oppositions et à la contradiction des intérêts.

Car toujours l’homme produit de nouvelles incohérences, de nouveaux désordres, dans les êtres et dans les lieux, de nouvelles laideurs. Et simultanément l’homme — d’autres hommes — produisent, tout au moins s’efforcent de produire le contraire.

Optimisme et pessimisme. — L’optimisme et le pessimisme sont peut-être les deux sentiments les plus généraux que puisse éprouver l’homme. Tous les autres semblent pouvoir s’y rattacher. Ils sont à la fois une conclusion sur le passé, un état quant au présent, une attitude à l’égard de l’avenir.

L’optimisme est le système qui considère l’état du monde comme le meilleur possible.

L’optimisme fut professé par les écoles idéalistes de l’antiquité, par Platon, l’école d’Alexandrie, saint Anselme, saint Thomas, Descartes, Shaftesbury, Bolingbroke, Leibnitz, Pope. Descartes disait : « Dieu veut toujours le meilleur ; pour juger de la perfection de l’univers, il faut juger l’ensemble et non les détails. » Pour Fénélon, la puissance de Dieu peut toujours à tout moment ajouter un degré de perfection ; dès lors le monde n’est pas le meilleur possible. Pour Leibnitz, devant Dieu se sont présentés tous les plans et tous les mondes possibles ; la sagesse de Dieu n’a pu réaliser que le meilleur.

Pessimisme. — C’est le résultat d’une lassitude irrésistible, d’une passion déformatrice. IL n’est accordé une influence immédiate et sensible qu’aux événements fâcheux. Il est négligé systématiquement les éléments féconds d’un événement propre pour rechercher l’élément nocif, paralysant, que peut renfermer cet événement.

Sentiment universel. — La foi, l’espérance, la charité — la liberté, l’égalité, la fraternité — le progrès, la justice, l’amour : autant de grands sentiments formés au cours de l’évolution historique et qu’il importerait de voir se fusionner en la synthèse universelle.

Travaillons à propager la sympathie naturelle des peuples. « Emota sympathica », les émotions sympathiques, la sympathie marchant de l’un à l’autre en cercles concentriques, de plus en plus étendus, atteignant tous les hommes, en faisant appel à l’intervention de la science et de l’action coopérative.

« Alors sera réalisé le « connais-toi toi-même » de Socrate ; les hommes se respecteront parce qu’ils auront compris la splendeur de la pensée. L’amour de la vérité les unira, les élèvera. La nature entière leur parlera et ils écouteront, dans l’extase, ses harmonies et ses lois éternelles devenues nombreuses. » (Th. De Donder.)