Monographie de l’abbaye de Fontenay/Chapitre 1

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Librairie Saint-Joseph (p. 7-13).

CHAPITRE PREMIER

De L’Ermitage de Chastelun ou du frère Martin

Le 28 octobre 1118, sortis de Clairvaux, et emportant avec eux le trésor indispensable, la croix de bois et le psautier, treize moines arrivaient le soir à Châtillon. Leur chef, Bernard, revoyait avec émotion cette ville qui conservait tout vivants les Souvenirs de ses premières années. La, il allait retrouver ses compagnons d‘étude, sur lesquels il avait remporté de nombreuses victoires qui n’avaient coûté aucune larme, ni excité aucune jalousie, ses anciens maîtres qu’il avait pressés si souvent de se constituer en communauté régulière; son bisaïeul paternel, Varrio, comte de Châtillon, sa tante maternelle, Diane de Montbard, mariée à Othon de Châtillon, de la famille des Grancey ; leur jeune enfant Robert, qui sera plus tard pour Bernard la cause d’un grand chagrin en se retirant à Cluny de préférence à Clairvaux; surtout sa chère chapelle de Saint-Vorle où il avait éprouvé des extases si nombreuses et si consolantes.

Dans une de ces extases, prosterne aux pieds de la statue de Marie, il lui disait avec une confiance toute filiale : « Monstra te esse matrem, montrez que vous êtes notre mère, n et Marie s’inclinant vers lui, lui présenta l’enfant Jésus qu’elle tenait sur ses bras et lui dit : « Bernarde, accipe puerum meum, totius mundi Redemptorem, Bernard, reçois mon fils, Sauveur du monde entier ; » et, pour montrer qu’elle voulait être réellement sa mère, distilla de son sein quelques gouttes de lait que ses lèvres reçurent avec un pieux empressement. Sans doute ce lait virginal communiqua à Bernard l’onction séraphique avec laquelle il parlera dans la suite des vertus et des perfections de Marie. (Legrand, histoire de Châtillon ; Lapérouse, p. 168.)

Depuis cette époque, l’ordre de Cîteaux célébra l’anniversaire de l’allaitement de saint Bernard au 15 mai. (Autun chrétien.)

Dans cette visite à Saint-Vorle, Bernard n’avait pas l’intention seulement de témoigner sa reconnaissance à Marie des faveurs qu’il en avait déjà reçues, mais il allait demander à sa puissante intercession un appui tout Spécial pour la nouvelle abbaye qu’il venait fonder sous le patronage de Notre—Dame, à Fontenay.

Le lendemain, après avoir salué l‘oncle de Bernard en son château de Touillon, nos treize religieux descendirent la vallée, allant directement à l’Ermitage des Frères Martin et Milon, qui vinrent au devant d’eux en chantant le psaume « Ecce quam bonum et quam jucundum hebitare fratres in unum. » Les arrivants répétèrent les mêmes paroles, l’union des cœurs fut contractée, et l’abbaye fondée dans la joie[1].

Plus heureux qu’à leur entrée dans la vallée de l’absinthe, ils ne furent pas obligés de faire des tentes avec des branches déjà défeuillées. Ils trouvèrent un toit hospitalier tout prêt à les protéger contre les rigueurs de la saison qui commençait déjà à être dure dans ces forêts.

Chaque année Fontenay célébrait cette fondation au 29 octobre dans son nécrologe.

M. Ratisbonne, dans sa vie de saint Bernard, dit qu’il envoya une colonie chercher une solitude convenable dans le diocèse d’Autun. La recherche ne dut pas être grande ni difficile, Bernard connaissait l’Ermitage et la vallée. Dans sa jeunesse, il avait souvent parcouru ses sentiers solitaires en allant du castrum Montis-Barri au castrum Tullionis, de son grand-père à son oncle Gaudry.

L’Ermitage déjà ancien s’appelait Chastelun, Chastelot ou Chastellum, petit château. En effet, jeté sur la pointe d’un rocher à pic, environné de hautes murailles dont on trouve encore les restes sous les broussailles, il avait l’air d’un château-fort ; mais de son enceinte ne sont jamais sorties des armes pour attaquer un seigneur voisin, il n’en partait que des vertus et des prières qui faisaient l’admiration des environs.

L’amour de la solitude se faisait vivement sentir aux xiie et xiiie siècles. On sacrifiait aisément ses intérêts temporels pour suivre plus facilement le chemin du ciel. L’amour du célibat enfantait aussi beaucoup d’ermites ; il y en avait à Champ—d’Oiseau, à Villaines-les-Prévotes, à Viserny, à Sainte-Barbe de Saint-Remy, au Fain, à la Roche, à l’Ermite, à Saint—Michel de Montbard, enfin ceux de notre Chastellum.

Ces Ermites n’étaient pas indépendants. Ils étaient soumis à une hiérarchie dans chaque diocèse, recevaient de temps en temps la visite d’un supérieur, ne choisissaient pas l’ermitage qui leur convenait, mais ils y étaient envoyés. Ainsi, en 1717, le frère Théodule vint à Montbard demander aux échevins la permission de mettre un ermite à Saint-Michel, avec la faculté de quêter seulement deux jours dans la semaine. (Registre de Montbard.)

Le dernier ermite de Sainte-Barbe, Jacques Chevreteau, connu sous le nom de Père saint Jérôme, né à Pisy en Auxois, mourut en 1711 en odeur de sainteté. Il avait été dans cet ermitage 26 ans. Jacques Baillivet, prieur de Saint-Germain d’Auxerre, a publié sa vie. (Courtépée, 4e vol. p. 324.)

C’est à cause de cette sainteté que la procession de Montbard, aux Rogations et à la Saint-Marc allait à Sainte-Barbe plutôt qu’à Fontenay, dès 1722.

Sous le pied de notre ermitage coulait une fontaine abondante, qui avait la réputation de guérir la teigne ou la rache, et pour cela se nommait la Racherie. De nombreux malades, confiants dans la vertu curative de la fontaine ou dans la puissante intercession des ermites, venaient chaque jour boire de ses eaux ou s’y laver. Pour leur venir en aide, les Ducs de Bourgogne avaient réservé trois salles voûtées dans le palais qu’ils avaient bâti à l’entrée du monastère pour y venir se reposer des soucis de leur gouvernement, dans les plaisirs de la chasse, ou pour s’édifier aux vertus des religieux. (Dom Martène.)

La réputation de ces eaux dura jusqu’au xvie siècle, où la fontaine de Sainte-Reine commença à être plus connue et plus fréquentée, à cause de l’établissement de l’hôpital qui offrait aux malades plus de confortable que Fontenay. Dès ce moment le concours des malades se porta à Sainte—Reine à cause surtout de l’intercession de la sainte martyre qui donnait à sa fontaine une efficacité que n’avait plus celle de Fontenay. D’où venait cette vertu qui opérait des miracles ? De la composition naturelle des eaux, ou de la puissante intercession de la vierge martyre. Les croyants l’attribuaient à la prière de la Sainte ; d’autres à la nature des eaux. Cependant l’analyse faite en présence de Courtépée, en 1779, par Dom André Gentil, célèbre chimiste, prieur de Fontenay, démontra qu’elle était pure, légère, parce qu’elle ne contenait ni terre ni sélénite. Cette pureté la faisait demander par les grands. On en vendait 40.000 bouteilles à Paris, et les Cordeliers qui en avaient le monopole n’en livraient pas 2.000. (Hist. de sainte Reine par M. Grignard.)

Notre ermitage de Chastelun convenait bien pour sa destination. Caché par de hautes collines, enveloppé d’épaisses forêts, abordable d’un seul côté, il ne laissait aux religieux pour tout horizon qu’une petite langue de terre devant eux, et le ciel au-dessus de leur tête ; langue de terre à laquelle ils demanderont les racines pour leur entretien. le ciel où ils iront recevoir la récompense de leurs mortifications.

Les nouveaux venus habiteront là douze ans qu’ils ne passeront pas dans l’oisiveté. Le miracle de saint Paul ermite ne se répété pas pour eux. Le pain providentiel n’est pas apporté chaque jour par un fournisseur céleste. Ils devront le demander à la terre. Aussi ils défrichèrent la vallée de Saint-Bernard et les Meuniéres où ils établirent leur clos potager. Pour défendre les légumes contre la dent des bêtes sauvages, ils élevèrent de hautes murailles dont on suit encore les traces sous les racines des hautes futaies ou dans les broussailles.

Semblables à la fleur odorante qui embaume tout ce qui croît autour d’elle, les saints religieux répandaient la bonne odeur de leurs vertus sur tous ceux qui les connaissaient ou les fréquentaient. Aussi bientôt les vocations furent si nombreuses que la vallée de l’ermitage devint tr0p étroite. Il fallut chercher un emplacement plus spacieux pour recevoir plus de postulants, et contenter tous les désirs qui se manifestaient. Ils descendirent un kilomètre plus bas dans l’endroit où sont actuellement les bâtiments de l’abbaye.

Cette place fut cédée gracieusement par Étienne de Bagé, 52e évêque d’Autun et par Rainard de Montbard, oncle maternel de saint Bernard.

Cette translation eut lieu en 1130. C’est ce qui occasionne une différence chronologique dans les auteurs qui ont parlé des commencements de Fontenay. Les uns en fixent la fondation en 1118, les autres en 1130. Les premiers font allusion à l’arrivée de la colonie en 1118 ; les seconds, au contraire, comprennent la véritable fondation en 1130.


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  1. Voir aux pièces justificatives.