Monographie de l’abbaye de Fontenay/Chapitre 18

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Librairie Saint-Joseph (p. 111-114).

CHAPITRE XVIII

Fin de Fontenay


Quand ses forces sont épuisées par quelque maladie, ou par l’air méphétique du milieu dans lequel il a vécu, l’homme lutte contre son mal, multiplie ses efforts pour conserver au moins ce qui lui reste de santé, afin de prolonger sa vie, mais souvent c’est en vain ; une crise suprême arrive et la mort emporte sa victime. Il en était de même de notre abbaye, sa fortune est diminuée, sa discipline un peu relâchée, la vie monacale languissante. Cependant, elle pouvait encore prolonger son existence, quand sonna l’heure de la mort.

Le 13 janvier 1790, l’Assemblée nationale déclare appartenir à la Nation les biens, meubles et immeubles de toutes les communautés religieuses. Le District de Semur envoie aussitôt des commissaires dans chaque abbaye pour connaître justement les revenus et les dettes, avec menace d’exproprier sans indemnité, sans donner de pension aux religieux si la vérité n’est pas déclarée franchement sur ces deux objets, revenus et dettes. Dom Dunod, procureur, annonce 16000 francs de revenus pour les trois lots, 92000 francs de dettes, 1200 francs d’intérêts annuels à payer à quatre personnes, à M. Josbert de Châtillon 593 francs, à M. Demanche de Semur 267, aux Demoiselles Bolourgey de Semur 89 et à M. Royer de Montbard 267.

Justement alarmés par cette perquisition comminatoire, nos religieux se croyant propriétaires plus légitimes que la Nation qui vient d’être mise en leur place, vendent, portes, fenêtres, pierres de taille, charpentes, tuiles, hautes-futaies, poissons, pour faire de l’argent. (Registre communal.)

Par défiance, l’Assemblée nationale charge aussi les conseils municipaux des communes, où il y avait des abbayes, de veiller à ce qu’il ne se fasse aucun détournement, aucune déprédation dans ces communautés. Les municipaux de Marmagne se font un point d’honneur de répondre fidèlement à la confiance qui leur a été témoignée, ils arrêtent comme sortant de Fontenay une voiture de tuiles mise à la disposition de la Nation, une seconde est également retenue, mais pour réparer les bâtiments de la ferme. Pour éviter ces séquestres nuisibles à la bourse des moines, ils font accompagner leurs convois de voituriers par des hommes armés ; la crainte est inspirée, personne n’essaie plus de gêner le passage ; il y avait danger de mort, et de ce moment les convois de démeublement peuvent circuler librement de Fontenay à Montbard dans la maison du sieur Fanon, père d’un religieux. (Pièces. just.)

Devant ces détournements, la tradition d’un trésor caché par les religieux devient fausse et nulle.

La Nation a saisi les biens monastiques, brisé les vœux solennels, ouvert la porte du couvent d’où les religieux doivent sortir, rendu la liberté à tous les moines ; la société les appelle, les attend ; il leur faut prendre une décision definitive. Le prieur Grandvau réunit ses frères pour la dernière fois, leur adresse ses derniers conseils, les embrasse tous, et ils se séparent en chantant le cantique des exilés : « Super flumina Babylonis… flevimus cum recordaremur Sion » et chacun choisit le lieu de son séjour où il touchera ses 1000 francs de pension. Le prieur Grandvau se retire dans son diocèse, le procureur Dunod après avoir passé plusieurs années à Montbard, va à Melun où il se marie et devient maire de la ville ; son fils qui fut également maire de Melun, nous a donné ces renseignements. Dom Lemaître alla à Villaines-en-Duesmois, il eut la permission d’emporter de Fontenay des vases sacrés, pour remplacer ceux qui avaient été vendus ; Doms Roussel et Lemoult demandèrent l’incolat à Montbard, et Dom Fanon rentra dans sa famille, remplit les fonctions de vicaire pendant quelque temps, bâtit la cure actuelle avec les débris de Fontenay ; Dom Villier de Byans, canton de Roussières (Doubs), resta à Marmagne jusqu’en 1802 où il mourut. Dom Sébastien maître fut retiré de Dompierre en Morvant jusqu’en 1827, où il mourut laissant une réputation en honneur.

Ces derniers religieux pouvaient au moins venir de temps en temps jeter un coup d’œil sur la vallée de Fontenay, et soulager leur cœur en répétant le Flevimus cum recordaremur Sion.

Ainsi finit la vie religieuse à Fontenay. Au mois d’octobre 1118, elle avait commencé par le cantique « Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum » et six cent soixante-douze ans après, elle expirait dans les larmes, flevimus cum recordaremur Sion. Au xiie siècle, la foi créait des couvents, au xviiie siècle, l’impiété les renversait, et par une singulière coïncidence Fontenay finissait le même jour, le même mois de sa fondation, 29 octobre 1118, 29 octobre 1790, et au mois de novembre 1880, quand nous terminions cet article, les couvents français ressuscités depuis quarante ans seulement étaient violés, crochetés, et les propriétaires jetés en exil en vertu d’un simple décret puisé dans la loi tyrannique de 1793.


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