Monologues en prose/Monologue pour poupées

La bibliothèque libre.
Poèmes mobiles ; MonologuesLéon Vanier, éditeur des Modernes (p. 75-77).


MONOLOGUE POUR POUPÉES

dit par Mlle X du Paradis des Enfants.
À Théodore Maurer.


Dis donc, si tu ne veux pas t’occuper de moi, il ne fallait pas m’acheter !

J’étais bien mieux derrière les vitrines du Paradis des Enfants, où je voyais les belles dames, les beaux messieurs et les petits enfants qui disaient : « Oh ! la belle poupée ! mon Dieu ! la belle poupée ! »

Toi, tu me jettes dans un coin !

Ce n’est pas la peine de faire tant la mijaurée !

Voyez-vous, Mademoiselle qui ne veut plus de sa belle poupée, et qui la laisse en chemise, les jambes en l’air, par le froid qu’il fait !

Et le chat qui m’arrache les cheveux tout le temps ! Tu le laisses faire !

Malheureuses que nous sommes !

On nous laisse tomber, on marche sur nous, on nous fait des moustaches avec de l’encre, on nous ouvre le ventre pour voir ce qu’il y a dedans !

Est-ce que tu as assez de moi ?

On le dit alors !

Pourtant je vaux bien ton polichinelle !

Il est beau, celui-là, avec ses deux bosses !

Il ne sait seulement pas dire papa et maman !

Il ne roule pas les yeux, il n’est pas articulé, il n’est pas incassable !

Moi, je suis incassable ; heureusement, mon Dieu !…

Oh ! je te vois bien, va ! Tu fais la précieuse devant ton armoire à glace !

Avec tes nattes toutes défaites, et ta collerette de travers, et ton soulier mal attaché !

Désordonnée ! tu ferais mieux de me mettre dans mon petit fauteuil, et puis de me servir la dînette, ou bien de m’apprendre à lire.

D’abord, je veux une belle robe et un beau chapeau pour faire mes visites, avec une grande plume ! Na ! Sans quoi… tu sais, je vois tout, moi !

Eh bien, je dirai que tu pinces les oreilles du chat pour le faire crier…

Je dirai que tu mets le doigt dans le pot de confitures !…

Et ce beau vase que tu as cassé hier !

Tu as dit que c’était ta bonne ; menteuse, va ! à ton âge !… On le saura.

On saura aussi que tu tires la langue à ton maître d’écriture, et que tu as pris le ballon de ton cousin Gustave, voleuse !

Tu ne veux pas m’entendre ?

C’est bien !

Je redemanderai à retourner au Paradis des Enfants, où j’étais si bien, et où je regardais passer les belles dames, les beaux messieurs et les petits enfants qui disaient en me voyant :

« Oh ! la belle poupée ! mon Dieu ! la belle poupée !… »