Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 34

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Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 379-382).


II.

D’HEUREUX AUSPICES.


— Oh ! la mariée est-elle mignonne !… La belle robe !… Elle a l’air content, tout de même.

— Son homme est joliment bien aussi, dit une autre paysanne ; impossible d’être plus bel homme que cet homme-là…

— Je le trouve trop blême ; il a l’air malade ; j’aime mieux son ami.

— Qui ? ce gros rouge ? Laisse donc ! c’est un pouf !

— Chut ! v’là M. le maire avec son écharpe…

M. Bélin s’avança gravement. Il était fort ému ; il n’avait pas cette noble indifférence qui convient au magistrat : on voyait qu’il était intéressé dans la question. Il ouvrit le Code civil et lut le chapitre qui concerne les époux et leurs devoirs ; puis il dit d’une voix chevrotante :

— Lionel-Richard-Raymond de Marny, consentez-vous à prendre pour épouse Laure-Amélie-Clémentine Bélin ?

Oui.

— Mettez votre main dans celle de mademoiselle.

Puis reprenant son ton solennel, le maire continua :

— Laure-Amélie-Clémentine Bélin, consentez-vous à prendre pour époux Lionel-Richard-Raymond de Marny ?

— Oui, mon père, répondit Clémentine.

Lionel sourit.

Elle se reprend : — Oui.

M. le maire lit l’exhortation d’usage ; il bégaye paternellement, car son émotion est profonde pendant cette cérémonie dont il est le grand prêtre, lui, l’homme du monde qui fait le moins de cérémonies.

Mademoiselle Valérie Bélin, fille de M. le maire et sœur de la mariée, se moque beaucoup de M. son père et de la manière dont il lit le Code.

— Ce mariage de famille ressemble à une charade en action, dit-elle tout bas à son amie. C’est mon premier… Le mot est Épouvante.

On fait signe à Valérie de se taire.

— Vous ne rirez pas ainsi, mademoiselle, quand viendra votre tour.

— Moi, si vraiment, je rirai… D’abord, je ne me croirais pas mariée ainsi.

La cérémonie est terminée…

On emporte la grande table de la mairie. Le bal va commencer.

M. de Marny prend la main de Clémentine et la conduit à sa place. La contredanse est bientôt en train.

Clémentine est charmante ; elle est très-pâle… mais on la voit rougir à chaque instant. Elle paraît heureuse… oh ! elle l’aime !

Lionel la regarde avec affectation ; il a l’air trop heureux.

M. Bélin vient lui prendre la main d’un air-de gaieté sensible.

— Bonsoir, mon gendre, dit-il.

— Qu’elle est belle ! lui répond Lionel avec un peu trop d’enthousiasme.

— Comme il est amoureux ! dit le bon père en frappant sur l’épaule de Ferdinand… il en est fou !…

— Pourvu qu’il ne soit pas gris, pensa le roué confident, qui ne croyait qu’à une sorte d’ivresse.

Madame d’Auray est là ; elle est triomphante : ce mariage est son ouvrage… Elle aime Lionel et elle est enchantée de le marier. Expliquez cela. — Oh ! c’est qu’elle n’est pas jalouse de Clémentine, — Clémentine n’est pas sa rivale ; elle ne lui en veut pas. C’est Laurence, Laurence qu’elle hait ; c’est à elle qu’il faut enlever M. de Marny ; elle le marie pour les séparer : voilà comment elle se venge. Elle sait bien que Laurence est libre… Aussi elle a hâté le mariage ; elle a rompu tous les rapports… Les femmes !… leur vanité est un abîme où l’on se perd ! Étrange chose ! voilà deux personnes qui trament la même perfidie : madame d’Auray et Ferdinand Dulac. — La première fait sciemment une méchanceté ; l’autre fait une bonne action. Vous verrez cela. — N’importe, marier l’homme qu’on aime ! cela paraît une maladresse ; pas du tout, c’est une ruse de la vanité… Ô le monde !…

Après avoir dansé la seconde contredanse avec sa belle-sœur Valérie, en face de la mariée, Lionel se promène un moment dans le bal, en répondant aux ennuyeux compliments dont on l’accable. Puis, fatigué de son rôle, il va se réfugier dans un petit salon où quelques personnes sont retirées à l’écart et jouent au whist.

Les journaux qu’on vient d’apporter sont sur une table ; Lionel les parcourt sans les lire. Il prend machinalement le Journal des Débats.

Il lit…

Mais tout à coup le journal s’échappe de ses mains. Lionel pâlit, ses yeux se troublent, sa têtes s’incline.

— Ah ! mon Dieu, dit quelqu’un, il se trouve mal… Qu’avez-vous ?

— Rien, répond Lionel d’une voix étouffée.

— C’est un étourdissement, dit une autre personne ; ce n’est pas étonnant, l’émotion… et puis il fait extrêmement chaud dans ce grand salon… Il faut prendre l’air… venez…

On entraîne M. de Marny dans le jardin ; mais voyant qu’il souffre toujours, on le conduit dans sa chambre.