Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 63

La bibliothèque libre.
Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 489-491).
◄  Degrés
Conclusion  ►


XXXI.

UN BONHEUR INUTILE.


Huit jours après, une voiture s’arrêta devant l’hôtel de Pontanges. Un laquais en grand deuil ouvrit la portière de la voiture, un jeune homme vêtu de noir en descendit.

Comme il traversait la cour, le portier courut après lui :

— Monsieur !… Monsieur ne sera pas reçu. Madame la princesse est malade… elle ne voit personne.

M. de Marny, à qui ces paroles s’adressaient et qui ne connaissait pas ce portier nouvellement installé, continua son chemin et s’apprêta à monter les marches du perron.

— Madame la princesse n’est pas visible, je vous le répète, monsieur !

— Quelle princesse ? dit M. de Marny. C’est madame de Pontanges que je viens voir… elle est de retour ?

— Oui, monsieur, madame la princesse est à Paris depuis hier ; mais elle s’est trouvée mal en arrivant, et le prince a défendu de laisser monter personne.

— Je ne connais ni ton prince ni la princesse ! laisse-moi, tu radotes !…

— Je vous dis, monsieur, que vous ne monterez pas… Je vais avertir M. le prince…

— Mais quel prince, vieux fou ?

— Le prince de Loïsberg… Je le connais bien, peut-être ; voilà vingt ans que je suis à son service !

— Le prince de Loïsberg demeure ici ? demanda Lionel qui commençait à s’alarmer.

— Certainement, il demeure chez sa femme ; c’est tout simple.

— Sa femme !… qui, sa femme ?

— Ah ! c’est que monsieur ne sait pas… ça ne m’étonne pas… cela s’est fait si vite !… Monsieur ne sait pas que M. le prince a épousé sa cousine… celle qu’on appelait à Champigny la femme au fou. Une belle femme, vraiment, qui a l’air d’une reine !

— Laurence… est mariée ?

— Comment ça, Laurence ?

— Madame de Pontanges !…

— Elle est maintenant la princesse de Loïsberg, et c’est moi qui suis son concierge. On a renvoyé l’autre… il aimait à boire… il ne pouvait convenir à un prince.

Lionel resta un moment suffoqué.

Tout à coup, il s’élança sur le portier et le saisit à la gorge en s’écriant :

— Tu m’en rendras raison !

— Non, monsieur… Demandez plutôt à M. Dulac ; il était témoin du mariage ; c’est lui.

— Ferdinand ! Ferdinand ! s’écria Lionel hors de lui ; Ferdinand, vous m’en rendrez raison, monsieur ! vous avez massacré ma vie ! je veux la vôtre… mettez-vous en garde, monsieur !

Ces paroles s’adressaient au portier, que M. de Marny secouait par son habit avec violence.

— Lâchez-moi, monsieur ! criait le portier en faisant bonne contenance… J’ai été militaire… je ne me laisse pas maltraiter… j’ai un sabre !

— Le sabre, l’épée, le pistolet, peu m’importe ! c’est ton sang qu’il me faut, misérable !… j’ai soif de vengeance. Mais je veux t’insulter, t’avilir, avant de te tuer… je veux ta honte aussi, malheureux !

Et M. de Marny frappait le vieux serviteur à coups redoublés.

— À la garde !… à la garde !… criait le portier ; on m’assassine !… au secours ! au secours !…

Cependant Lionel continuait à maltraiter le pauvre homme, dont les cris attirèrent tous les gens de la maison et parvinrent jusqu’à l’appartement qu’habitait le prince.

— Quel tapage ! dit M. Dulac, qui se trouvait en ce moment chez son ami. Je vais voir ce que c’est.

Il descendit dans la cour et reconnut M. de Marny. Pressentant l’orage, il s’avança vers Lionel en tremblant, non pas de crainte pour lui-même, mais avec cette inquiétude, cette angoisse qu’inspire une catastrophe qu’on a prévue, une crise qu’on attend… l’aspect enfin d’une grande passion qui va faire explosion, l’aspect d’un malheur auquel on ne peut apporter aucun remède.

— Lionel… dit M. Dulac avec douceur, s’attendant à voir M. de Marny éclater de fureur à sa vue.

— C’est toi… dit Lionel soudain calmé ; c’est toi, Laurence ! tu viens me dire qu’ils me trompent, n’est-ce pas ? tu m’aimes toujours… Oh ! que j’ai souffert !…

Le portier, que Lionel venait de lâcher, continuait de crier :

— À la garde ! à la garde !

— Ce n’est pas la garde qu’il faut aller chercher, dit Ferdinand avec tristesse, c’est un médecin… Cet homme n’a plus sa tête… Voyez… il écume… ses yeux sont rouges, ils ne voient plus ! — Lionel, ajouta Ferdinand en s’adressant à M. de Marny et en essayant de le ramener à la raison par la colère, je serai au bois de Boulogne à dix heures…

— Oui, reprit Lionel froidement ; nous irons à l’enterrement de ma femme…

— Plus de haine contre moi, s’écria Ferdinand,

il est fou !