Mulieriana

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Son altesse la femmeA. Quantin, imprimeur-éditeur (p. 277-318).




Mulieriana


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OBSERVATIONS, PENSÉES, NOTES ET MAXIMES


sur


LES FEMMES ET L’AMOUR


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Mulieriana


OBSERVATIONS ET PENSÉES


La plus intéressante étude qui puisse logiquement séduire et occuper l’homme dans le petit cadre terne et froid de sa vie, la seule étude normale et logique, c’est assurément l’étude de la Femme. Étude infinie, complexe toujours nouvelle et fraîche, pleine d’imprévus, de surprise, de bouleversements, d’inconnu ; étude enfiévrée de passion et passionnée de fièvre, aussi douce dans les premiers tâtonnements naïfs que mordante et irritante dans Jes expériences suprêmes ; étude toute d’analyse sans fin, non moins attachante pour le philosophe rêveur que pour l’amoureux psychologue, toujours fertile en observations troublantes, variables à l’excès, et dont les principaux caractères se démentent ou s’effacent selon les sensations de l’âge ou les degrés de calorique marqués au thermomètre de vie.

L’Homme tient tout de la Femme, sa demeure première ; s’il lui doit l’être, plus encore lui est-il redevable de l’éternel appétit de vivre que l’amour lui distille au cœur : gloire, ambitions, honneurs, acclamations, succès, tous les trophées qu’il rêve de cueillir sur sa route, sont destinés à ce sphinx adorable, et du jour où l’espérance ne dessine plus à l’horizon une silhouette de femme, symbole du foyer et de consolation, terre promise des renouvellements de son soi, dès l’heure fatale où l’œil de l’homme ne reflète plus un sourire d’amour ou un regard de dévouement, — si les grossiers instincts n’emplissent point sa panse et si les jouissances vulgaires ne hantent point sa tête, — rien n’est plus pour lui ; il ne reste à ce déshérité, à ce banni d’amour, dans le morne désert de cette existence à jamais pour lui aride et sombre, qu’à implorer la mort, cette dernière consolatrice, femme, elle aussi, enveloppante et berceuse, ange de l’anéantissement, qui nous refait enfants pour nous transporter dans dans les mystères inaccessibles que les matéologiens s’efforcent d’approfondir et auxquels les croyants se confient aveuglément avec leur foi féminine dans le surnaturel.

Bien sots, impertinents, impuissants ou grotesques, j’estime donc tous ces malandrins de la philosophie chagrine, cervelets empesés de science soi-disant exacte, fleurs de bourgeoisie pédante enveloppées dans le large faux-col de Prudhomme, niais importants, écoliers du positivisme, docteurs en matérialisme, graves Jocrisses de l’érudition à lunettes, savantasses de toutes classes, pions désillusionnés, philologues somnifères, écloppés de nature, constipés d’âme et étriqués de cœur, qui semblez tenir en ironique mépris le culte des fervents de la créature d’Eve et des amoureux indomptés par l’ennui de la vie. — Le devise de l’humanité n’est-elle pas : Rien sans la Femme et tous les cuistres congestionnés de pensées graves et de mathématiques transcendantes arriveront-ils à remplacer cet être pétri de charmes, cette compagne indispensable qui nous donne les meilleures choses de notre existence ; la Mère, l’Amour, l’Enfant ?

Homme ! pour dogmatique que tu sois, si en- goncé dans l’indifférence et mort aux sensations que tu puisses être, quelque astuce que tu montres, quelque dédain que tu affiches, dans les doigts souples, ingénieux, mignons, magiques, nerveux et enveloppants de la femme, tu réapparaîtras longtemps comme un faible pantin dont elle joue à son plaisir ; qu’elle te séduise par la vanité, par la gloriole, par sa soumission, par sa beauté,rayonnante ou sa bonté caressante, qu’elle te prenne par l’esprit, par le cerveau, par les sens ou par le cœur, je verrai toujours cette grande prêtresse te dressant comme un hochet au bout de son bras levé, semblant porter écrit sur son front de sphinx : ubi mulier, ecce homo. — Homme ! mon frère, humilie-toi ! Là où cette fière Altesse a passé, elle s’est fait un piédestal de ton orgueil et de ta fatuité. Poète, littérateur, homme de génie, artistes amants de Polymnie, de Calliope, d’Euterpe ou de Thalie, Plutus amoureux du veau d’or ; guerriers, favoris des batailles ; ministres de la popularité, quelle que soit l’étoile qui brille sur votre tête, vous êtes tous attachés comme autant de marionnettes au porte-manteau de cette souveraine déesse, tous vous figurez sur les bas-reliefs de son autel, où Cupidon le fol agite la sinistre marotte des désillusions finales. — Gloire à la femme ! Gloire à cette grande égalitaire et à cette vengeresse des opprimés ! Sa mission est de niveler, de répartir l’or et le sang de ses amants dans la coupe du mal, où ceux-ci l’ont jadis fait boire, spéculant sur ses naïvetés ou sa misère ; tout se dissout dans ses mains ; elle égorge la sottise et éventre largement toutes les outrecuidances imbéciles, en rabaissant les vanités humaines.




Illustration de Félicien Rops pour Mulieriana



Gloire à la femme ! ange ou démon, car elle seule nous aide à vivre, alors même qu’elle nous fait mourir ! — On ne saurait trop écrire sur cette Altesse puissante, car sa beauté victorieuse traîne le monde avec elle, et cette beauté est plus variable que les modes, plus dissemblable que le caractère des peuples, plus changeante que les idées ; elle va du joli au merveilleux avec une gradation si fine que l’œil de l’homme sera longtemps encore atteint de myopie lorsqu’il voudra analyser les nuances infinies qui forment l’arc-en-ciel du beau féminin.

— Les femmes s’attachent plus étroitement par les douleurs que par les plaisirs. Ce sont les dou- leurs qui marquent les étapes de la passion. Il y a du fanatisme, même de l’illuminisme dans l’amour profond qui grandit, s’épure et se fortifie dans les tourments. La femme amoureuse, avec son âme de fakir, veut souffrir de ce qu’elle aime et pour ce qu’elle aime. Les hommes à tempérament d’inquisiteur, les Torquemada frottés de sadisme, sont le plus souvent les demi-dieux qu’elles idolâtrent.

— Un psychologue ne contestera pas qu’il y ait un abîme entre les femmes qu’on aime parce qu’elles plaisent et celles qui plaisent parce qu’on les aime.

— Le joli dilemme plein de sagacité que celui-ci, exposé par l’écrivain anglais Leighton :

— Que dois-je faire pour aimer ? — Crois !

— Que dois-je faire pour croire ? — Aime !

— La femme est bohème de nature. Guidée par le caprice et la folie, elle ne saurait reconnaître des lois ou des frontières ; dans cette humanité froide et guindée, elle se laisse peu à peu envahir par les pré- jugés, quitte à s’en affranchir avec plus de noblesse et d’indépendance que l’homme, lorsque son cœur veut de libres horizons. Les devoirs qui s’imposent à son âme la retiennent davantage que les raisons sociales ; son imagination, chaude et débordante, la fait grelotter dans le terre à terre de cette vie, où tant de désirs étriqués la convoitent, où si peu de mâles la veulent entièrement avec le scepticisme de l’impossible. De quoi s’étonne-t-on de voir tant de fronts féminins voilés de mélancolie, marqués de désespérance ? — Il y a dans tout cœur de femme une Mignon regrettant sa patrie.


— Malheur à qui s’abandonne, se livre, esprit, âme et pensée, à la femme aimée ! — Le mystère est le grand secret des passions qui durent. — Malheur à celui qui laisse feuilleter et lire le livre de son cœur et qui permet de découvrir trop aisément les textes de l’amour. La femme est une devineresse qui aime à user ses yeux, à fatiguer son esprit sur les énigmes de l’homme qu’elle adore. Soyez le sphinx ! surchargez les textes de votre caractère ! Embrouillez le grimoire de votre être ! semez les marges de vos pensées de que sais-je ? ou de peut-être ? Constellez-vous de signes mystérieux ! Que le fatalisme de Manfred passe dans vos regards ! Que des désirs pleins d’inconnu bruissent dans vos soupirs ! Les amants généreux, sincères, attendris, simples, ouverts comme un abécédaire, ne tardent pas à lasser ces chercheuses d’insondable, ces cerveaux de Danaïdes en quête d’un vide à combler.

Restez indéchiffrables dans la démonstration folle de vos sentiments à tiroirs cachés ; tour à tour joyeux, rabelaisien et railleur, assourdissez les grelots de votre rire dans les bas-fonds d’une tristesse soudaine, tel un nuage sombre.voilant le soleil. Raffineur de scepticisme et distillateur du doute, tenez toujours en éveil l’attention de celle que Montaigne nomme notre ennemie naturelle ; que vos larmes s’éclairent de gaieté aux heures cruelles, que votre gaieté s’assombrisse d’inquiétude aux instants où votre bonheur allègre chante les beautés, les grâces et la fidélité de la bien-aimée.

Montrez-vous plus multiple, plus sarcasti- que, plus sorcier que le Diable ; qu’à chaque mi- nute ceci tue cela, et devant cet amant Protée, la tant gracieuse amante s’agenouillera, vous épiant la pensée comme Œdipe sondant le Sphinx, vous veillant le cœur comme on veille un malade. Son es- prit sera en vous, vivra en vous, n’espérera qu’en vous… vous trompera peut-être avec vous-même, et, de loin ou de près, sa ténacité curieuse crochètera votre impénétrabilité avec une ardeur sans cesse croissante et jamais assouvie.

Il faut toujours que dans son amant, comme au bas d’un feuilleton compliqué, une femme puisse lire avec angoisse et anxiété : la suite au prochain numéro.

— Une fille peut être en apparence pervertie jus- ques aux moelles ; elle peut avoir connu le vice et les vices dans leurs manifestations les plus diverses, la société dans sa fange y les dépravations dans leurs senti nés, elle n’en sera pas moins susceptible de de- venir, du jour où elle aimera vraiment, — d’un amour profond, enfanté dans la douleur et le croupissement de sa honte, — presque aussi chaste qu’une vierge, plus dévouée qu’une matrone, aussi délicate qu’une héroïne mondaine, naïve et prise d’une pudeur troublante et sincère vis-à-vis de celui qui l’aura transformée.

C’est que le vice l’aura prise de force dans la misère, la souillant en surface sans éveiller son cœur endormi, ses sens meurtris, ses yeux clos au soleil du bonheur. Elle laissera dans l’oubli du ruisseau sa ceinture dorée, oubliant dans l’amour ses passivités de courtisane, comme les riches, hier dans la détresse, oublient peu à peu dans l’opulence leurs tourments physiques, les crampes de la faim et les haillons qu’ils ont portés.

Dans le fumier du vice où tombent tant de filles du peuple par anesthésie de misère, il éclôt souvent et se développe de merveilleuses fleurs de sentiment, semées là par la nature, fécondées par la souffrance et qui s’épanouissent dans tout leur éclat lorsque cesse l’impassibilité de somnambule qui les a conduites à l’homme. Pourrait-on — quoi qu’en die la morale courante — exprimer la même opinion sur une femme du monde corrompue à fond ? Assurément non : — cette corruption, issue du bien-être, fruit des lassitudes et des dégoûts, perversité innée développée dans la ouate, l’oisiveté et l’ennui, est un piment ajouté aux douceurs ordinaires et à l’unifor- mité du bonheur. Le vice mondain est indestruc- tible, il dessèche le cœur et ne le féconde pas, il rend impitoyable ; c’est un feu que rien n’apaise et qui fait stérile même l’amour qu’il inspire.

Quelqu’un a proclamé cette vérité inquiétante pour les maris et les amants jaloux : La beauté, c’est à tout le monde. Je crois bien. Relisez l’his- toire de la belle Paule. Les capitouls la décrétèrent d’utilité publique.

Semblables aux aéronautes qui jettent du lest et encore du lest pour rebondir plus haut, toujours plus haut, une femme s’élève davantage dans le ciel de son amour par les concessions successives qu’elle fait, par les prétentions qu’elle lance dans le vide par-dessus bord. Elle ne se donne jamais mieux dans l’infini de la passion que lorsque, dépouillée de tout, elle n’a plus qu’elle seule à donner.

Fait-on des sacrifices pour elle, ils chargent la nacelle de reconnaissance et la font atterrir sur la carte de Tendre, à Reproches, près du fleuve Ingratitude. La femme a le bel orgueil d’aimer à inspirer la reconnaissance sans consentir à reconnaître la tyrannie des obligations. C’est là ce qui fait la grandeur de son dévouement.

Je n’ai jamais pu découvrir le poète charmant qui a composé les jolis vers suivants sur les différentes manières d’aimer. — Ils méritent d’être conservés en raison de leur origine anonyme. Qu’on ne m’accuse point de les avoir rimes ; si je voyage entre les deux collines, c’est entre celles qu’on qualifiait en 1820 de : « Deux globes d’albâtre sculptés par la main des Grâces. » Voici ma trouvaille :


I
Plus d’amour et moins de constance !
J’aime mieux un ardent amour,
Qui naisse et qui meure en un jour,
Qu’une froide persévérance.
Plus d’amour et moins de constance !
II
Moins d’amour et plus de constance !
J’aime mieux un amour plus lent
Qu’un feu léger et violent
Qui meurt au point de sa naissance.
Moins d’amour et plus de constance !
III
Point d’amour sans persévérance !
C’est un mal dont il faut-mourir.
Qui peut espérer d’en guérir
N’aime jamais qu’en apparence.
Point d’amour sans persévérance !

Tous les caprices d’un amant fantasque et trop choyé ne sont-ils pas dépeints en ces trois strophes ?

Aime-t-on sincèrement une femme d’esprit ? Elle amuse, elle distrait, elle charme, elle émoustille l’amour-propre, elle aiguise les traits d’amour, elle infatué son cavalier, elle grise parfois son amant, elle nous captive la tête par une dépravation cérébrale qui fait que nous retrouvons presque notre sexe en elle ; mais elle ne nous ligotte pas à son désir, car seule une femme de cœur simple, bonne et dévouée nous attache par des liens de nature.

— Conquiert-on la sagesse en amour ? — Elle tue l’envie de vivre et d’aimer ; elle arrache le bandeau des yeux et retire les grelots qui bruissaient aux oreilles. On voit alors la danse sans entendre l’affolant galop de la musique, on regarde avec stupeur le néant monotone des caresses, l’animalité ridicule des liaisons et cette sottise odieuse de la vie devient intolérable.

— Il est des choses qu’une femme ne permet jamais, mais qu’elles pardonnent toujours à l’audace de celui qu’elle aime ; — ne frappez pas à certaines portes… Entrez tout droit, si vous pouvez.

— Lorsqu’une maîtresse parle de sa fidélité, elle est bien près d’être infidèle. — La majorité des petites femmes qui disent, en se campant fièrement : « Je suis un garçon manqué, un bon camarade… Ah ! si j’eusse été homme, j’au- rais fait les cent dix-neuf coups !… Quel franc vau- rien !..’. » — ces mêmes femmes réclament presque toujours une sagesse exemplaire de ceux qui leur tiennent à cœur. — Admirable logique féminine !

— Un Confucius obscur de l’empire du Milieu a écrit de son pinceau le plus délicat cette remar- quable observation sur papier de riz : « Plus une femme aime son mari, plus elle le corrige de ses dé- fauts ; plus un mari aime sa femme, plus il augmente ses travers. »

— A vingt ans, on se gave d’amour avec sa pre- mière maîtresse, comme si l’on craignait de n’en plus avoir le lendemain. A trente ans, de senâ rassis, on se sent moins vorace, mais plus délicat ; l’on ne met pas aussi gloutonnement les bouchées doubles, mais on savoure plus lentement, en gourmet, les petits plats friands. A défaut des goinfreries passées, on analyse le suc des choses, et la qualité succède à la quantité. On ne craint plus de manquer d’objectif, mais on est pris de l’appréhension que les munitions viennent à faire défaut.

— Aux yeux d’un homme sain, philosophe et judicieusement sceptique, les deux plus belles qua- lités d’une femme seront toujours la bonté et la gaieté. En compagnie d’une créature simplement bonne et radieusement gaie, un homme désabusé du monde (que Ghamfort compare à la forêt de Bondy), un artiste, un rêveur même seront idéalement heu- reux. Un visage riant dans le ménage, c’est le soleil d’un cerveau qui pense. Une bonté consolatrice, c’est le berceau tiède où se berce un cœur meurtri par le panmuflisme du dehors. — Béni du ciel est donc celui qui a trouvé chez celle qu’il aime la bonté et la gaieté, ces deux rires de l’âme et du corps qui communient dans le dévouement.

— Que de Sganarelles sont dignes de leur sort ! — Il est des hommes prétentieux qui rédui- sent la vie en axiomes et auxquels leurs femmes énervées,appliquent logiquement…la règle de trois. Tel je vis un estimable boutiquier, pond comme M. Jourdain, qui professait les proverbes pour les besoins de son existence. Sa femme s’avisait-elle de le contredire, il se carrait avec suffisance disant : « Madame, le sage n’avance rien qu’il ne prouve… quand le soleil luit, la lune n’a plus vigueur. » — Parfois même au printemps, alors que ce M. Denis rivarolisè sentait sourdre en soi des retours de jeunesse, il appelait sa victime, et, brutalement, humant une prise de tabac, grave, emphatique, montrant l’étage supérieur de sa boutique, il ordon- nait : Montez, Madame, Nature commande ! — Que de Sganarelles sont dignes de leur sort !

— En amour, l’expérience s’achète avec les illu- sions. C’est changer son bel or contre un pauvre billet maculé par la patte d’autrui, et qui souvent par la suite nous revient protesté.

— Se défier des femmes froides, des femmes laides, des vieilles filles ; ces grandes tisseuses des calomnies de ce monde, ces terribles porte-voix de la médisance ! — Elle^ont l’impitoyable cruauté des êtres incomplets, l’aveugle amour du mal pour ce qui est beau ; elles empoisonnent tout ce qu’on leur confie. Ce sont, qu’on me passe cette métaphore, les casseroles non rétamées de la cuisine sociale.

— Les jeunes filles du monde ! s’écriait sarcastiquement un Desgenais de ce temps, mais comment s’y fier ! Elles apprennent d’abord comment on trompe avant de savoir comment on aime !

— Peu de femmes savent, en amour, apprécier leur bonheur dans le présent qui, pour elles, semble incolore ou neutre. Le passé, au contraire, leur parait exquis, irradié par la mémoire, gonflé de la poésie des choses disparues, peuplé d’heures char- mantes et inretrouvables. — L’avenir les trouble comme un mystère, mais elles y mettent toute leur foi ; elles spéculent sur un bonheur à terme avec l’impétuosité des financières du cœur. Dans la perpétuelle appréhension de ce qui peut menacer leur amour, elles n’écoutent point les sensations qui chantent en elles ;., demain, songent-elles, qu’adviendra-t-il ?__ m’aimera-t-il ?… où sera-t-il ? — On dirait que l’heure présente disparaît entre les souvenances du passé et les affolants épeurements de l’avenir.

Dans le duo des souvenirs, qui de nous n’a senti murmurer à son oreille la douce ritournelle des premières caresses : « Te souviens-tu, aimé, de ce jour où tu me pris la main si tendrement… Il me semble que jamais je n’aurai une plus vive commotion !… »

Il nous vient parfois à l’idée qu’une femme ne nous aime qu’en proportion de ce qu’elle nous a aimé jadis… — Ah ! petit cerveau fluctuant où notre regard se noie !

— Est-il une femme qui n’ait rêvé d’être aimée éperdument d’un homme de génie ! — Que d’erreurs et de folies n’a pas causées ce désir idéal ! — Le génie a mille faces, sous un colossal Bonnet d’égoïsme. Un grand homme est bien petit vu de près ; sa caractéristique la plus curieuse est la naïveté. La "naïveté est une des pondérations du génie qu’elle aide à vivre ; c’est son véhicule. Tels, ces géants qui ont des sourires d’enfant, des gestes gauches, des allures empruntées. — La naïveté, c’est la candeur intellectuelle d’un homme très supérieur ; sans ce voile d’innocence ou plutôt d’hébétude qui les couvre (ainsi La Fontaine et Balzac), ils arriveraient droit au suicide. L’écœurement de la vie réelle empêcherait l’éclosion de la vie intellectuelle. La naïveté du génie, c’est le voile des dieux de l’Olympe, un nuage qui intercepte délicatement les terribles rayons solaires de l’aveuglante réalité.

Un écrivain sublime doit voir ce monde grâce à une vision interne, par une perception de rêveur engourdi comme un fumeur d’opium. Dans cet être puissant congestionné par la pensée, peu sensible au choc direct des choses extérieures, vit un cerveau en ébullition où passe un souffle violent comme en un creuset de forges ; la vie est réflexe, l’homme génial est aussi loin de l’idéal féminin qu’il est prés de Dieu par la création de son œuvre.

Ce qu’il faudra à ce colosse tout en soi, ce n’est pas vous, mondaine babillarde, qui seriez vite meurtrie entre l’enclume et le marteau de ce rude forgeron ;… c’est encore moins vous, femme de lettres, qui rêvez de voir cet hercule filer à vos pieds l’indigo de vos bas ;… ce n’est pas vous, Aspasie d’atelier, qui partiriez d’un beau rire vis-à-vis des simplicités de ce Goliath ; ce qu’il lui faut, c’est une brave fille ayant elle-même toutes les naïvetés de la nature, tout le naturel de l’esprit, une Martine bien gauloise, ronde, reflétant la rusticité de la vie saine, une femme qui ignore le génie et Fart de son seigneur, qui ne voie en lui qu’un « drôle de monsieur » qu’elle aime bien, qu’elle délasse, qu’elle amuse, qu’elle soigne avec une passion de gouvernante, chez qui elle apporte l’éclat de son rire bruyant comme une fanfare et toutes les couvaisons muettes et bienfaisantes de sa tendresse infinie.

Rien que cela. — Fi ! dira-t-on… quelle vulgarité ! une bonne alors !…. une servante !

Peut-être bien. — Ne rêvez plus, mesdames ! Écoutez chanter le rossignol, n’essayez pas de vivre en son nid.

— On peut dire que la femme noblement amoureuse est rarement libertine. Le libertinage baisse à mesure que l’amour domine. Là où celui-ci s’éteint, celui-là se réveille. C’est surtout lorsque le cœur se blase, que les sens s’envasent.

— Un admirable proverbe italien dit : « La femme n’est pas au semeur, mais au coupeur. » No semiatore, ma tagliatore. — Il faut que le semeur soit aussi le coupeur ; il faut que l’amoureux qui initie la jeune fille et, la fait mère soit aussi celui qui la cueillera dans l’effervescence de sa maturité, qui la prendra dans sa force et récoltera les beaux fruits d’amour dont il aura surveillé la croissance avec un œil jaloux. Combien peu d’hommes savent coloniser au pays de Cythère ! La plupart, pour avoir défriché le terrain, pensent avoir conquis des droits indiscutables de propriété. Fatale erreur qui crée les bagnes du mariage. Une pauvre délaissée exprimait avec tristesse cette opinion trop justifiée : « Nous autres femmes, .on ne nous regarde que comme un parterre ; nous n’avons de saisons -que le printemps. » — Plaignons ceux qui ne songent pas à moissonner le plaisir dans la pleine fruition des superbes étés de la femme !

— Dans notre littérature moderne affreusement pimentée, qui cherche le faisandé du scandale, on a méconnu la jeune fille, cette créature délicieusement fugitive qui présente les contours et la coloration vague et troublante d’un pastel inachevé. On néglige par impuissance, par manque de légèreté et de délicatesse l’étude de cette âme en éveil ; il semble qu’on ne lise rien dans cette préface de la femme qui contient tant d’étrangetés, de candeur inquiète, de tristesse momentanée, tant de rêves indécis, tant d’espérances dorées, de rayons chevaleresques et d’ambitions exquises. Il y a dans un cœur de jeune fille toute l’harmonie bleue d’une aurore de prin- temps, ces brumes lactées qui voilent l’horizon, ce calme bienfaisant du matin, que trouble à peine un chant d’alouette, cette fraîcheur de rosée qui fait évaporer l’âme des fleurs, ces frissons légers d’in- connu qui saisissent ceux qui envisagent la destinée d’un jour à son début. Qui nous donnera jamais cette poésie divine et immaculée de la virginité ? — Qui nous peindra cette blanche apparition de pudeur et d’amour ? — Le brave Favart a fak murmurer jadis à sa petite muse friponne et sautillante les jolies rimailles suivantes :

Un cœur tout neuf

Est comme un œuf Que l’amour couvre de son aile,

En Tanimant

Tout doucement Par une chaleur naturelle.

Un temps viendra

Qu’il éclora, Ce joli petit cœur de fille Comme un petit oiseau qui sort de sa coquille.

Est-il beaucoup d’époux qui sachent encore cou- ver cet œuf mignon dans ce vilain siècle affairé où l’on éventre les sacs d’écus avec plus de délicatesse que l’on ne dévirginise la conséquence d’une dot.

— Le cœur et les sens d’une femme plaident souvent en divorce ; — à cœur de glace, tempérament de feu, — à nature passive, cœur embrasé- — Il échoit à la délicatesse de l’homme de rapprocher les dissidents, sans brusquerie, par de lentes conciliations, surtout par la gradation bien équilibrée des caresses. Il faut qu’à ce tribunal d’amour le cœur et les sens ne puissent entendre les plaidoiries et qu’ils se fusionnent à l’amiable grâce au magnétisme enveloppant du juge. Au labyrinthe de la passion, égarez-vous longtemps sans démasquer le Dieu des jardins. —Les femmes prises d’assaut ne se donnent jamais qu’à moitié. Elles se prêtent, sans avoir le temps de rallier à la fois sentiments et sensations.

— Femme impérieuse, cœur sec, tempérament nul. —Tel un clocher ; les dessous sont inhabitables.

— Il est des femmes dont on pondère la constance comme on règle le mouvement des horloges ; il s’agit de les remonter régulièrement et de maintenir le balancier au niveau de l’ouverture de la gaine, sans le heurter ni précipiter son allure. Là est le secret de bien des ménages bêtement heureux.

— La vraie beauté féminine est blonde comme la beauté mâle est nécessairement brune ; le contraire me semble une anomalie. Dieu a mis sa signature ineffaçable sur Ève en paradis. Éva la blonde sera l’éternel prototype de la femme, de la beauté fine, élégante, distinguée, ensorcelante, comme la blonde Vénus du paganisme fut l’expression la plus parfaite de la créature d’amour. La blonde est délicieuse d’ensemble et toujours ravissante dans les détails ; depuis l’œil bleu, gris ou noir qui a je ne sais quelle attirance perfide, jusqu’à la tonalité rosée de sa chair divine, marquée de fossettes, elle exprime toutes les provocations d’amour ; sa chevelure, toison d’or où se blottissent les désirs des passionnés, possède toutes les irisations, toutes les caresses, toutes les ardeurs, toutes les promesses paradisiaques de la femme originelle. Sa nuque où se cabrent et voltigent les soies floches de sa crinière communique des frissons soudains. Il semble que l’homme se sente plus homme auprès de la blonde. — La brune n’est qu’une contrefaçon de la femme opérée par les croisements de race, tandis que la blonde est l’édition originale qui portera toujours au front l’impérissable marque de sa création céleste. On a dit fort justement : « La brune trompe souvent, la blonde trahit toujours. » Mais qui n’achèterait cent fois les chatteries de la blonde au prix de toutes ses félopies ! La brune perce le cœur, la blonde l’égra- tigne, en laissant encore dans la cuisson de ses déchi- rures les démangeaisons furieuses de sa possession.

— Balzac a écrit : « La petite vérole est la bataille de Waterloo des femmes, le lendemain elles con- naissent ceux qui les aiment véritablement, »’Cet aphorisme laisse rêveur, car généralement chez une coquette, lorsque son empire est détruit, les alliés s’en vont et la Restauration ne revient plus.

— Aristote croit que la femme est une étourderie de la nature qui pensait d’elle faire un mâle. A ce compte, écrit-il, elle se méprend souvent et nous jouissons de ses erreurs. Ainsi les hommes ont vie lorsqu’ils naissent à sept mois et les femmes ne res- pirent qu’au neuvième ; donc, conclut-il, la nature cache sa faute le plus longtemps qu’elle peut.

— Voyez ce sceptique qui nargue toutes les - croyances, qui porte sa tête souriante dans le néant de sa foi ; qu’il lui arrive d’aimer, il souffrira plus que tout autre de l’incrédulité de sa maîtresse.

— Il ne faudrait pas trop croire que les beaux hommes soient le tombeau des cœurs. Ds ne sont le plus souvent que le reposoir des yeux ; ils font plus de conquêtes passagères qu’ils ne conservent de possessions, La fatuité les rend bellâtres ; ils créent des caprices, ils n’inspirent point de passions. La femme d’expérience se défie de la beauté trop radieuse d’un homme ; elle tombera souvent dix fois comme par surprise dans les bras d’un galant qui portera fièrement sa laideur, alors qu’elle résistera sans fins aux entreprises d’un joli garçon. — Nature pétrie de contradictions, elle sentira souvent une répulsion singulière pour la perfection d’un visage dont le regard assuré semblera lui dire : Si vous voulez, fy consens…, et parfois comme prise de pitié, elle se livrera, dans une passion furieuse, à quelque pauvre disgracié qu’elle aura choisi, Dieu sait pourquoi ! de cœur libre, avec la témérité de sa folie, comme si elle faisait une gageure vis-à-vis d’elle-même. — Les Reîtres du xvie siècle avaient grandement raison, lorsqu’ils disaient dans leur lan- gage soldatesque : « Un homme est toujours assez beau quand il ne fait pas peur à sa jument ».

— Pour la majorité des amoureux, la possession est le but à atteindre et toute la stratégie des appé- tits grossiers consiste à y arriver par le plus court chemin. — Certes, la possession est la sanction de l’amour ; mais elle en est aussi l’extrême onction, si les opérations du siège trop vite mené n’ont pas laissé apprécier et admirer à fond tous les mérites de l’as- siégeant. Les désirs qui ont peu flambé s’éteignent sous le dégoût d’un premier baiser manifestement brutal. La femme qui tombe aime voir en se relevant autre chose qu’un étalon assouvi ; l’art d’un amant est de masquer la chute et surtout d’ennoblir le réveil de cette chute, en gazant la honte du simple contact échangé, en voilant de son amour les relevailles du sacrifice, en enveloppant les yeux de sa maîtresse du bandeau de ses baisers, en ne tutoyant pas odieusement la pauvre effarouchée comme un chien qu’on vient d’acquérir, en emmaillotant enfin de tendresse presque respectueuse cette femme consternée, dont l’esprit trébuche encore au milieu du vide où il lui a semblé sombrer.

— Il est des amours qui vivent de reprises… comme les théâtres de banlieue.

— Pour bien raisonner des choses de l’amour, il faut avant tout ne plus aimer.

— Je ne sais pas si quelqu’un n’a pas formulé déjà cette pensée : si l’on n’aime pas toutes les femmes, on est indigne d’en aimer une seule… ?

— Les femmes ont, en général, plus de cœur que d’esprit, plus d’âme que d’aptitudes, plus de persuasion que d’éloquence, plus d’instinct que de perspicacité, plus de délicatesse que de discerne- ment, plus de goût que d’idées d’art, plus de ten- dresse que d’amour sensuel, plus de rêves dépravés que de concupiscence réelle, plus d’idéal que de bonheur et plus d’amour que d’ambition.

— Rien n’indique plus la fragilité des amours que le toujours des amants. — Toujours, ce sont des espérances qu’on échelonne, des horizons qu’on veut infinis ; toujours, c’est l’invincible désir de s’attacher à l’avenir avec l’ardeur des passions du présent. L’amour aime boire à l’espérance dans l’insatiabilité des baisers, et les jalousies posthumes qui fouillent un cœur de femme enfantent déjà les jalousies futures. — Toujours… m*aimeras-tu toujours ? Rien n’exprime plus douloureusement l’épeurement du lendemain, l’inconstance de la nature, le néant des amours vite écloses — Toujours, c’est la concession à perpétuité de la passion ; on y dépose des serments éternels qui durent ce que durent les éternels regrets des veuves, comme si l’éternité n’était pas le plus grand contresens de l’humanité.

Il est tant de toujours amoureux qui, prononcés à minuit, s’évanouissent à l’aurore !

— Peu de femmes aiment simplement parce qu’elles aiment ; sans autre raison qu’une attraction involontaire et magnétique vers un, être qui les sub- jugue. — En recherchant psychologiquement la ge- nèse de certaines amours, on trouverait que la majo- rité des femmes aiment par curiosité, par ennui, par sentimentalité vague, par vanité, par lassitude de ne pas aimer, par l’entraînement de l’exemple, par perver- sité et surtout en vertu d’une imagination surexcitée par les fictions mensongères du roman et du théâtre.

Sur dix femmes qui se livrent et qui croient aimer, neuf ne se donnent que pour sortir d’elles- mêmes ; elles se jettent à l’homme comme la dévote se prosterne à l’église, avec un assoiffement d’ivresse mystique. Elles cherchent les parce que de l’amour comme les enfants qui brisent une montre pour voir ce qu’il y a dedans. Elles veulent savoir si ce qu’on dit est vrai, et bien peu conservent leurs illusions ; mais elles ont la singulière pudeur de ne pas le dire.

— Un homme à bonne fortune devient très raffiné dans ses caprices, il finit par regarder dédaigneuse- ment plutôt à qui il donne que ce qu’il donne…. C’est précisément cette sélection dont il se fait gloire, qui le met en honneur auprès des femmes et non pas sa virtualité ou sa fringance amoureuse amorties depuis de longs jours.

— Certains cœurs de femme sont comme un ciel changeant. Même lorsque le soleil d’amour y rayonne, il s’y montre des nuages formés des tristesses pluvieuses de la veille, et des éclipses faites des incertitudes du lendemain.

— Beaucoup de femmes s’offrent en bacchantes et se donnent en statue ; on les désire en proportion de ce qu’on se croit désiré, elles présentent l’image enivrante des débauches et des folies complexes, et à l’heure du berger elles se livrent en sacrifice avec la froideur et la résignation des victimes. — On croyait posséder une Thyade fougueuse, on ne trouve qu’un marbre rigide et froid.

— En amour, la sagesse d’un amant consiste à ne jamais rompre, mais à dénouer toujours ; c’est le « guérissez, mais n’arrachez pas » de la médecine pratique et philosophique. La section d’une rupture est si brutale et crée un vide si immédiat que des nœuds se reforment aussitôt… Dénouez légèrement peu à peu dans la détente de la chaîne, alors que Ton en sent, ou plutôt que Ton en perçoit déjà le poids. Dénouez et mieux encore, soyez assez habile pour que des mains de femmes dénouent elles-mêmes ce que le dieu aveugle a réuni, ce que l’habitude a resserré.

— Frédéric Soulié, dans son immortel chef- d’œuvre des Mémoires du Diable, a écrit : « Il y a des femmes qui portent dans le secret de leur vie des tortures qu’aucun homme ne peut imaginer ; mais ce ne sont pas celles-là qui se consolent avec des amants. »

Un frisson de vérité court en cette observation.

— Tromper un mari, cela est un jeu d’enfant pour un libertin ou un homme ayant conscience de sa valeur. Le difficile, c’est de pousser une femme à tromper l’amant qu’elle s’est donné par caprice ou par amour, dans la liberté de son cœur ; cela est peut-être immoral en réalité, mais l’entreprise a sa gloire, car faire faillir une femme à sa faute, la rendre infidèle à son infidélité, c’est une tentative de Don Juan raffiné qui réclame des qualités peu vulgaires.

— Si, au cours de Son Altesse la Femme, j’ai fréquemment parlé de Son Excellence l’Amour, si j’ai montré le temple d’Eros, c’est que le dieu Cupidon est le premier grand ministre de notre souveraine — un ministre bizarrement parlementaire qui gouverne toujours avec la gauche, en dépit de la raison, et qui laisse errer sa politique aveugle dans tous les casse-cous des folies du cœur ; — un ministre omnipotent qui réunit impérieusement les portefeuilles de l’intérieur, de la guerre, de l’injus- tice, des beaux-arts et des cultes, en y ajoutant quelquefois dans le département de la galanterie ceux des affaires étrangères et du commerce ; — un ministre qui résiste à tout, qui ne vieillit pas, contre lequel on blasphème, auquel on revient toujours et que l’impuissance seule abandonne.

La théorie de la vie serait bien simple à définir. Chez tout peuple décadent ou prospère, cherchez l’homme ; chez tout homme heureux ou malheureux, trouvez la femme ; chez toute femme, enfin, enjouée ou mélancolique, nerveuse ou rayonnante de beauté, dénichez l’/Vmour, ce maître de l’Univers.

Ainsi finira ce livre, lectrices mignonnes ! — A vous qui êtes parvenues jusqu’à ce mot fin, colonne d’Hercule de mon ambition, je dirai : chez l’auteur surtout, cherchez qui vous aime et qui peut-être a eu l’heur de vous plaire.