Myrtes et Cyprès/T’en souvient-il ?

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Librairie des Bibliophiles (p. 63-65).


T’en souvient-il ?…


T’en souvient-il ? C’était le soir d’un jour d’été.
Le soleil rayonnant semblait avoir jeté
De longs rideaux de feu sur sa couche royale,
Tandis qu’à l’autre coin du ciel frangé d’opale
S’élevait lentement, comme timide et pâle,
L’astre des nuits, la lune au croissant argenté.

Oh ! je respire encor cet air tiède et doux
Qui nous enveloppait, couple chaste et jaloux,
Tandis que nous glissions sous le dais du feuillage,
Et que le vent lutin, doux messager des fleurs,
S’arrêtait à ton souffle et baisait ton visage
À la douce clarté des étoiles tes sœurs !


Le ruisseau murmurait tout le long de l’allée,
La voix du rossignol nous descendait, perlée
Et plaintive, du haut des peupliers touffus.
Nous écoutions — ta main reposant dans la mienne —
Ces chants mystérieux, cette note aérienne,
Et nous ne parlions pas, tant nous étions émus.

Je me disais : « Avec cet azur sur nos têtes,
Ces soupirs s’éveillant dans les forêts muettes,
Cet arome enivrant des arbres généreux ;
Avec ce frôlement intermittent des feuilles
Dans ton temple serein, ô nuit ! tu nous accueilles
En étendant sur nous tes charmes vaporeux ! »

Et quand le rossignol eut fini sa romance,
Je ne me sentais plus ; quelque chose d’immense
Envahissait mon être et l’attachait à toi.
Je dus céder enfin à l’élan de mon âme
Et tomber à tes pieds, car ta beauté de femme
Était en ce moment trop céleste pour moi.


Et, dans tes mains d’enfant prenant ma tête ardente,
Tu l’attiras vers toi, pour lire dans mes yeux ;
Tu restas quelque temps rêveuse et dans l’attente,
Puis, sur ma lèvre en feu, ta bouche frémissante
Mit un baiser suprême et m’entr’ouvrit les cieux.


Bienne (Berne), juin 1868.