Nécrologie de M. Magdeleine

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Nécrologie de M. Magdeleine
Revue pédagogique, premier semestre 1889 (p. 283-284).

NÉCROLOGIE
M. MAGDELEINE

Un homme qui a rendu, dans un passé déjà un peu éloigné de nous, de grands services à nos écoles, comme éditeur de livres d’enseignement, M. Magdeleine, s’est éteint le mois dernier à l’âge de plus de quatre-vingts ans à Lagny, où il vivait dans la retraite depuis quelques années. Nous reproduisons ci-après les paroles qui ont été prononcées sur la tombe de cet homme de bien, le 19 février, par M. Linarès, inspecteur du travail dans l’industrie :

« Celui qui vient de quitter ce monde, après une longue vie bien remplie, fut en son temps un des plus vaillants ouvriers de l’industrie et du commerce, dans le domaine de l’enseignement classique.

» C’était le temps où l’instruction primaire, qui depuis a conquis une si grande place dans nos lois et nos préoccupations patriotiques, faisait ses premiers pas, timides encore et incertains, mais non sans quelque gloire, sous l’impulsion et la direction des premiers maîtres en France de la pédagogie moderne, les Girard, Dumont, Rapet, Michel, Charbonneau, Lebrun, Barrau, suivis bientôt des Gréard, Bréal, Buisson, et tant d’autres. Mais tout faisait défaut : locaux, matériel, les livres surtout. Quand j’allais à l’école, on n’y connais sait guère que trois livres de lecture : la Bible, le Télémaque, écrit pour un prince, et la Morale en action, pour des vassaux. Rien pour l’enfance, rien pour les enfants du peuple. Et nul plus que Magdeleine ne sut reconnaître et aider à combler cette grande lacune. Avec de très faibles ressources, il venait de fonder cetle maison Dezobry Magdeleine, aujourd’hui Delagrave, – presque en même temps qu’était créée aussi, avec des débuts presque aussi modestes, la maison Hachette, l’une et l’autre classées aujourd’hui parmi les premières librairies du monde entier. Je pourrais citer des faits touchants de la reconnaissance de Magdeleine envers ceux qui avaient aidé le nouvel éditeur et qui eurent plus tard besoin de lui.

» Mais Magdeleine ne se contentait pas d’éditer et de vendre des livres, il les créait, peut-on dire, Il devinait, pressentait l’ouvre don, l’heure était venue, le livre qu’il fallait à l’instituteur, à l’éducateur. Et il savait trouver l’auteur capable de l’exécuter. Il en avait tracé le plan, les idées principales, les grandes lignes, et rarement le succès lui fit défaut. Il rendit ainsi de grands services aux maîtres et aux élèves, à l’Université entière. La fortune, qui aime les vaillants, ne lui fut pas ingrate, et tous ses travaux lui assurèrent bien légitime ment une honnête aisance, qui lui a permis d’abriter sa vieillesse dans cette charmante retraite de Lagny, où il savait encore faire du bien autour de lui, en s’associant à toutes les œuvres de progrès et d’assistance populaire.

» Sa mémoire méritera d’être conservée dans la reconnaissance du pays, comme elle vivra dans le cœur de ses amis et de tous ceux qui ont pu le connaître et l’apprécier. Que ce soit une consolation pour sa veuve dans la solitude de son grand âge aussi, elle dont la vie près de Magdeleine peut s’écrire en un mot : dévouement. »