Napoléon et la conquête du monde/I/45

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H.-L. Delloye (p. 210-213).

CHAPITRE XLV.

MURAT. — § 3.



Le lendemain, la cour des rois reprit sa séance. Murat parut plus pâle et plus fatigué. Ses yeux avaient quelque chose d’éteint, et l’abattement de sa physionomie laissait deviner quels douloureux combats avait dû essuyer ce cœur ferme, pendant la nuit sans sommeil qui précéda le jour où l’on allait décider de sa vie.

Il se fit un grand silence, lorsque l’empereur ayant pris place dit à Murat : « Roi de Suède, vous allez entendre la décision de la cour des rois. »

Et ayant déployé un parchemin, il lut d’une voix un peu altérée l’arrêt suivant :

« La cour des rois, constituée en vertu du décret du 10 février 1820, présidée par l’empereur Napoléon, souverain de l’Europe, et assemblée à l’effet de juger S. M. le roi de Suède, Joachim Murat, accusé de haute trahison envers l’empire, d’avoir violé son serment de fidélité à l’empereur, et d’avoir conspiré contre l’ordre établi en Europe ;

« Après avoir entendu le rapport de l’archichancelier de l’empire et les réponses et observations de S. M. le roi de Suède ;

« A décidé :

« Que la haute trahison d’un roi feudataire envers l’empire et l’empereur, souverain de l’Europe, est un crime puni de la peine de mort ;

« Que la violation du serment de fidélité prêté entre les mains de l’empereur, souverain de l’Europe, aux termes des décrets du 15 août 1815, par un roi feudataire, est un crime puni de la peine de mort ;

« Que l’attentat commis par un roi feudataire et dont le but est de renverser l’ordre établi en Europe par les mêmes décrets, est un crime puni de la peine de mort ;

« Après avoir proclamé ces principes devenus lois par la volonté de la cour, et en ayant immédiatement la force ;

« La cour des rois réunie au Louvre, sous la présidence de l’empereur, souverain de l’Europe, a décidé que le roi de Suède, Joachim Murat, était convaincu d’avoir commis les trois crimes qui lui sont imputés ;

« En conséquence, la cour des rois le condamne à la peine de mort. »

— « C’est bien ! » dit Murat. Ce furent ses dernières paroles ; et il se retira, sans rien ajouter, entouré des gardes qui l’avaient amené.

Les douze rois descendirent de leurs trônes dans le même ordre et dans un profond silence : ils semblaient consternés.

L’empereur sortit rapidement de la salle. Il se précipita pour ainsi dire dans la grande galerie, avant que personne eût pu lire sur son visage l’impression qui le dominait, et ce public de cour qui avait assisté à cette scène extraordinaire se retira plein d’émotion et de terreur.

Napoléon, renfermé dans ses appartements, fut inaccessible à qui que ce fût. Sa sœur, la femme de Murat, essaya en vain d’arriver jusqu’à lui ; elle ne put y parvenir. L’impératrice Joséphine elle-même, accoutumée à lui arracher tant de grâces, ne put le voir. On n’espérait plus que dans sa puissance même ; on se demandait si dans cette circonstance l’empereur ne s’attribuerait pas le droit de grâce, alors que les autres souverains avaient concouru à la décision qui avait condamné Murat. On pensait qu’une occasion aussi éclatante de manifester le pouvoir et les droits de sa souveraineté serait saisie par lui. On espéra encore pendant le reste de cette journée.