Napoléon et la conquête du monde/II/17

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H.-L. Delloye (p. 345-351).

CHAPITRE XVII.

LA NOUVELLE-HOLLANDE.



Je reprends ma véritable et grande histoire.

Napoléon, après avoir rassemblé une partie de sa flotte dans le golfe de la mer Jaune, mit à la voile le 1er janvier 1825. Grand et mémorable événement que ce départ du conquérant et de ses vaisseaux, laissant, après quatre années d’occupation, de succès et de conquêtes, l’Asie à laquelle il n’avait plus rien à demander ! À mesure que le vaisseau s’éloignait, Napoléon regardait sans cesse cet immense continent qui diminuait et s’effaçait dans les brouillards de l’horizon ; il semblait retenir encore du dernier de ses regards la dernière apparence de ces contrées devenues les siennes. Avec elles il avait gagné la moitié de l’univers, et il ne cachait déjà plus ses pensées, lorsque, perdant les côtes de vue, il s’écria : « Adieu donc, Asie ; avec toi j’ai accompli la moitié de mon œuvre. »

Il ne consentit pas à suivre l’avis des officiers de marine, qui avaient tracé la route à la flotte impériale dans la mer de Chine vers le détroit de Malaca, pour la faire rentrer dans la mer des Indes, et de là se diriger vers l’Europe. Sa volonté aventureuse se plut à braver les dangers en se frayant une route à travers les archipels et les rescifs de l’Océanie. Il fit marcher ses navires en avant, et de par lui, jusqu’au milieu de la mer des Moluques. Sa fortune et l’habileté de ses pilotes gardaient miraculeusement les vaisseaux à travers ces terres amphibies qui dardent du fond de l’Océan leurs flèches aiguës et douteuses, tandis que les courants les plus rapides les entourent en mugissant, et augmentent encore les dangers. Lui cependant touchait à Bornéo, abordait à Batavia, traversait les mers redoutables des Moluques, et allait faire reposer son pavillon et sa flotte dans le golfe de Carpentaria.

Quel étrange spectacle n’était-ce pas que cette apparition du Napoléon de l’Europe et de l’Asie sur les côtes sauvages de la Nouvelle-Hollande ! Mais il y avait là une énigme irritant la sagacité du souverain du vieux monde. Cette contrée vierge, dont on ne connaissait jusque-là que la ceinture toute brodée des noms illustres de navigateurs français, offrait un mystère étrange à l’histoire et à la géographie. Les côtes seules avaient été visitées, sans qu’on eût pu pousser les découvertes au-delà de quelques lieues dans l’intérieur. Il semblait que la nature eût interdit aux hommes l’accès de ce monde inconnu ; elle l’avait entouré d’obstacles, et à peu de distance des côtes élevé de toutes parts des chaînes continues de montagnes, murailles immenses et naturelles qui gardaient pour toujours ces contrées des découvertes.

Pour toujours ! jusqu’à ce que l’homme fût arrivé qui, après avoir vaincu les hommes, savait aussi dominer la nature. Cette barrière insurmontable fut à son tour surmontée quand Napoléon le voulut.

La flotte ayant pris terre à l’extrémité la plus méridionale et la plus profonde de la baie de Carpentaria, l’empereur fit débarquer deux mille hommes de troupes avec de grands approvisionnements, et, se portant directement vers le midi, il déclara qu’il voulait aussi faire ses découvertes.

À mesure qu’on avançait vers le centre de l’île, le sol s’élevait, et des montagnes ardues se dressaient à l’horizon, paraissant n’être que la continuation des chaînes circulaires dont une partie a reçu le nom de montagnes Bleues, près de Sidney et de la baie Botanique. Quoiqu’elles parussent impraticables, la nouveauté de l’entreprise inspira tant d’énergie à la petite armée, qu’elle les eut bientôt dépassées, et que, vers le mois de juin 1825, elle avait atteint les cols les plus élevés, et se trouvait sur les versants opposés et méridionaux.

Arrivés là, l’empereur et l’armée eurent le plus étrange des spectacles : au lieu des terres que l’on avait cru découvrir, se développa aux yeux une grande mer méditerranée, un océan nouveau, du milieu duquel, à de lointaines distances, s’élevaient des collines enflammées et des volcans sans nombre, dont l’éruption fut bientôt reconnue être continuelle.

Napoléon, frappé de surprise à cette vue, n’en fut que plus porté à continuer et à compléter sa découverte ; il fit construire sur les côtes encore vierges de cette mer nouvelle le premier bâtiment qui eût vogué sur ses flots. Il y posa le premier le pied, et s’embarqua sur cette onde inconnue.

Une petite flotte fut bientôt créée avec une célérité surprenante ; elle s’éparpilla sur cette mer, en reconnut les côtes et les sinuosités, et s’approcha des volcans et des îles, toutes inhabitées, mais dont quelques-unes étaient chargées d’une végétation admirable. Napoléon se plut à donner aux plus importantes les noms de ses généraux les plus chers, et quand on lui demanda de donner à son tour son nom à cette mer, il refusa, car c’était depuis long-temps une décision arrêtée dans sa pensée de garder son nom pour lui-même ou pour un monde peut-être, comme s’il eût dédaigné de le rétrécir aux étroites proportions d’une mer ou d’un continent.

Il donna à cette méditerranée le nom de mer Neuve.

Les géographes et les mathématiciens de l’expédition reconnurent et mesurèrent son étendue, qui est d’environ sept cents lieues de longueur dans sa plus grande dimension, sur cinq cents lieues de large. Aucun canal ne paraît la réunir à l’Océan ; elle occupe ainsi le centre de la Nouvelle-Hollande, qui l’entoure de ses terres comme d’un anneau, ou semblable à un vase immense qui renfermerait ses ondes.

Sur les versants intérieurs de ces montagnes aucun objet nouveau ne parut mériter l’attention des voyageurs. Çà et là se rencontraient quelques peuplades misérables et abruties des deux races malaise et nègre qui se partagent la Nouvelle-Hollande. L’histoire naturelle découvrit un assez petit nombre d’animaux nouveaux, offrant toujours ces types bizarres déjà signalés dans ces contrées, et elle eut à reconnaître dans les autres règnes quelques rares mais non moins extraordinaires caprices de la nature.

Cette grande question géographique désormais éclaircie, l’empereur poursuivit sa navigation sur la mer Neuve, aborda aux côtes du sud-est, franchit les montagnes Bleues, jusqu’alors infranchies, et entra, vers les premiers jours du mois de septembre de la même année, dans sa jeune et belle ville de Sidney, qui, nouvellement fondée, offrait déjà à cette extrémité du globe la civilisation avancée des premières villes de l’Europe.

La flotte laissée dans la baie de Carpentaria avait reçu l’ordre de rejoindre l’armée de découverte sur ces côtes ; elle y avait devancé l’arrivée de Napoléon : il put donc s’embarquer aussitôt pour l’Europe. Mais, avant de lever l’ancre, et au moment de se séparer de la plus grande partie de ses vaisseaux, il les divisa en plusieurs escadres, et leur donna mission de se répandre dans les archipels de l’Océanie, afin de tout soumettre et de planter dans chaque île de la mer Pacifique ses aigles et ses étendards tricolores.

Lui-même, n’ayant conservé avec lui que cinq vaisseaux, quitta le port magnifique de Sidney, peu de jours après y être arrivé, et fit voile vers le cap de Bonne-Espérance pour retourner en Europe.