Napoléon et la conquête du monde/II/37

La bibliothèque libre.
H.-L. Delloye (p. 445-448).

CHAPITRE XXXVII.

UNITÉ. — § 3.



L’imprimerie et la librairie furent soumises à l’action une et puissante de Napoléon. Armé du mot de liberté de la presse, il dirigeait cette liberté dans le sens de son pouvoir ; et on ne sait ce qui serait arrivé si la pensée ainsi reproduite et versée sur tous les points du globe se fût élevée jusqu’à lui autrement qu’en encens, et si, atteint par elle, il en eût été blessé.

Il y eut un journal officiel du monde, intitulé La Terre, il allait porter partout les ordres du monarque universel.

Le Moniteur fut conservé pour le seul empire français.

Un autre journal, Le Globe, occupé exclusivement de science, de littérature et de beaux-arts, paraissait toutes les semaines par les ordres du gouvernement, et allait répandre une instruction complète et transcendante dans tout l’univers.

On comprend qu’il n’était plus question de politique. La politique n’est qu’un mot sans valeur et sans idée là où existe un pouvoir universel et complet ; la politique n’est qu’une science de transition apparaissant à la ruine des états, lorsque chacun s’occupe de ces ruines, disserte sur elles et donne son plan pour les reconstruire ; c’est encore une science, qui, rêvant sur les rapports des nations entre elles, s’applique à nuire à quelques-unes en cherchant le bien des autres : mais dans la terre ainsi constituée en un seul gouvernement et avec un tel pouvoir, le mot politique n’était plus qu’un non-sens.

Il y avait bien une politique, permise seule à l’empereur, c’était la police, immense réseau enveloppant l’univers, que tout le monde sentait, et que personne n’osait apercevoir.

Napoléon fit aussi des règlements universels, sur les théâtres, sur les télégraphes, aboutissant tous à Paris et rayonnant de cette ville à toutes les extrémités du globe, machines merveilleuses qui lui permettaient d’entendre la moindre parole murmurée aux dernières limites de la terre ; sur le clergé, les invalides, sur sa maison, sa cour, sur le sceau de la monarchie universelle représentant une aigle enserrant un globe, sur le code des récompenses, placé en face du code des peines, sur les titres de noblesse, sur la Légion-d’Honneur et les nouveaux ordres de chevalerie, parmi lesquels se distinguait au premier rang l’ordre des rois, représentant un globe avec deux sceptres en croix et ces mots autour : nemo nisi rex ; distinction extraordinaire, accordée aux rois seuls et avec une extrême réserve ; sur les inhumations et la salubrité générale, et encore sur de nombreuses matières qui toutes réglaient le monde, le réduisaient à des formes simples et à cette unité qui le rendait léger et commode dans la main de Napoléon.

La plus singulière de ces tentatives d’unité dont l’histoire a conservé la trace, est sans doute cette pensée de Napoléon de lutter contre la nature et les climats et de faire disparaître ces variétés de races et de couleurs qui existent chez les hommes. Cette humanité à formes si diverses, à couleurs blanche, rouge, jaune, noire, à intelligences et à pensées si contraires, l’importunait ; il aurait voulu faire de cette humanité un seul homme, et ayant réuni à cet effet un conseil des plus grands philosophes et mathématiciens de la terre, il leur soumit ce problême :

Pourrait-on par des alliances, mathématiquement combinées, entre les diverses races des hommes, arriver à la suite de quelques générations à une unité de race et de couleur, et à quelle époque cette transformation complète de l’humanité pourrait-elle être effectuée ?

À une question aussi inattendue, les savants ne savaient que répondre, tant leur stupéfaction était grande ; cependant, remis un peu de leur surprise, ils établirent que sept générations suffiraient à cette refonte de l’humanité, mais ils ajoutaient en même temps que ces formules mathématiques justifiées sur le papier par les calculs étaient cependant inexécutables.

Et Napoléon renonça avec quelque regret à cette singulière prétention.