Noëls anciens de la Nouvelle-France/XXI

La bibliothèque libre.
Dussault & Proulx, imprimeurs (p. 179-190).
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XXI.


J’ai cru être agréable à mes lecteurs en publiant, au cours de cette étude, comme spécimen de la musique en vogue au dix-septième siècle, un noël[1] écrit sur un air de vaudeville, d’un caractère absolument distingué. Le même motif m’engage à me servir du même procédé vis-à-vis d’eux pour mieux leur faire connaître, et partant apprécier, le recueil Daulé. De tous les cantiques de Noël qu’il renferme, Votre divin Maître en est, à mon humble avis, le plus remarquable au point de vue littéraire et musical. Il a ceci de particulier que chacun de ses couplets est écrit sur un air différent. Cette singularité me paraît assez rare et mérite d’être signalée.

VOTRE DIVIN MAÎTRE.


L’Ange.

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    }
\addlyrics {
Vo -- tre di -- vin Maî -- tre, Ber -- gers, vient de
nai -- tre, Ras -- sem -- blez- vous, Vo -- lez à ses ge-
-noux. Aux hymnes _ des an -- ges Mê -- lez vos lou-
-an -- ges_; De vos concerts _ Remplissez _  _ l’u -- ni -- vers.
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Chœur des Bergers
Notre divin Maître,

Bergers, vient de naître,
Rassemblons-nous,
Volons à ses genoux.
Aux hymnes des anges
Mêlons nos louanges ;
De nos concerts

Remplissons l’univers.
l’Ange.



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\addlyrics {
Ten -- dre vic -- ti -- me, Sau -- veur ma -- gna-
-ni -- me, Il vient de tout cri -- me La -- ver les pé-
-cheurs. Mais les pré -- mi -- ces De ses dons pro-
-pi -- ces, Et de ses fa -- veurs, Sont pour les pas -- teurs.
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Chœur des Bergers : Notre divin Maître, etc.
l’Ange.




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    }
\addlyrics {
Ô qu’Il est puis -- sant, Au -- guste, a -- do-
-ra -- ble_! Mais qu’il est af -- fa -- ble, Humain, _ doux, ai-
-ma -- ble, Ce Dieu fait en -- fant_! Qu’Il est beau_! qu’Il est
grand, Qu’Il est bien -- fai -- sant_! Qu’Il est char -- mant_!
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Chœur des Bergers : Notre divin Maître, etc.
l’Ange.




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\addlyrics {
À ce Dieu qui vous ai -- me Ve -- nez sans fray-
-eur_; Vos a -- gneaux mê -- me N’ont pas sa dou-
-ceur. La timide _ in -- no -- cen -- ce, La sim --  ple can-
-deur, L’humble in -- di -- gen -- ce, Plai -- sent à son
cœur. Pour être à vous sem -- blable Il naît dans une é-
ta -- ble_; il ha -- bite un ha -- meau, U -- ne crè -- che
fait son ber -- ceau. À vous que tout s’u-
-nis -- se_; Que dans ce saint jour Tout re -- ten-
tis -- se De vos chants d’a -- mour_; Pour Lui mu -- set -- te
ten -- dre, Haut- bois, cha -- lu -- meaux, Fai -- tes en-
ten -- dre Vos sons les plus beaux.
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Chœur Final.




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    d4 g,8 g g g | e c c' c e c | \break
    \stemUp b g \stemNeutral d' g4 g8 | e c d e f d | c4 \bar "|."
    }
\addlyrics {
No -- tre di -- vin Maî -- tre, Ber -- gers, vient de
naî -- tre, Rassem- _ blons- nous, Vo -- lons à ses ge-
noux. Aux hym -- nes des an -- ges Mê -- lons nos lou-
an -- ges_; De nos concerts _ Remplissons _ _ l’u -- ni -- vers.
} %lyrics
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— Daulé : Nouveau recueil de Cantiques, pages 218, 219 et 220, et numéro 132 des Airs notés. C’est sur les quatre motifs de ce cantique que l’abbé Perrault écrivit le Gratias agimus, le Quoniam tu solus et le Cum sancto Spiritu de sa Messe de Noël.

Votre divin Maître doit-il être mis au nombre des Noëls anciens de la Nouvelle-France ? Le caractère seul de la musique me justifierait de répondre dans l’affirmative, car elle fut écrite, au plus tôt, à la fin du dix-septième siècle, au plus tard, dans la première moitié du dix-huitième. Le distingué sulpicien, Messire Lazare-Arsène Barbarin, qui publia, en 1870, la biographie de l’abbé Perrault et la critique de ses œuvres,[2] prétend que la musique de Votre divin maître, « est celle d’un air ancien, tout à fait connu, fameux même autrefois : Hélas ! tout sommeille ! du vieux compositeur L’Isle-Adam, et sur lequel fut mis, dans le temps, le noël, aussi très connu, Votre divin maître.»

À quelle époque vivait L’Isle-Adam ? Hoefer, Fétis, Michaud, que j’ai consultés, ne font pas à L’Isle-Adam l’honneur de le nommer dans leurs biographies dites universelles. On n’en doit pas conclure que ce vaudevilliste n’ait pas existé, ou qu’il soit aussi obscur que ces auteurs le prétendent en l’ignorant de la sorte.

Rien ne prouve d’ailleurs que ce cantique soit postérieur à l’année 1763 ; conséquemment, il est permis de croire encore, sans commettre une hérésie historique, que Votre divin Maître appartient à la catégorie des Noëls anciens de la Nouvelle-France. Le recueil Daulé, malgré la pénurie de ses renseignements, fournit toutefois un précieux indice aux chercheurs ayant du loisir, un clue qui leur permettra peut-être de fixer la date précise du noël que nous étudions, partant de le classer suivant l’ordre de son identification. Daulé nous donne le vers initial du vaudeville — le caractère de la musique le prouve clairement — sur lequel est écrit ce cantique : Eh quoi ! tout sommeille ! C’est évidemment le même vers initial que nous a donné Barbarin : Hélas ! tout sommeille ! Les archivistes de bonne volonté n’auront plus qu’à feuilleter les répertoires de messieurs les vaudevillistes des 17ième et 18ième siècles, répertoires qui se trouvent… à Paris, à la Bibliothèque Nationale. Je n’ai pas la prétention de diriger, à cette distance, les fouilles laborieuses de ces braves gens ; seulement, s’il m’était permis de leur donner un conseil, je commencerais par les œuvres de Cassanea de Mondonville, maître de chapelle de la maison de Louis XV. Cassanea (Jean-Joseph) naquit à Narbonne en 1715, et mourut à Belleville, près de Paris, en 1773. Le nom de Mondonville, que Cassanea accoupla au sien, pour lui donner plus de relief, était celui d’une terre qui avait appartenu à sa famille.

Cet artiste se livra, très à bonne heure, à l’étude du violon et devint l’un des plus habiles exécutants de son époque. Mais sa célébrité comme compositeur ne tarda pas à surpasser celle qu’il s’était acquise comme virtuose. Telles de ses mélodies devinrent célèbres et furent classées plus tard parmi les Airs populaires de France qui sont censés n’avoir jamais eu d’auteur, quoiqu’il en fallut bien un pour les écrire. C’est la raison déterminante que j’offre aux archivistes-musiciens pour les induire à commencer leurs recherches dans le répertoire de Cassanea[3].

En attendant que ces messieurs découvrent la pièce à conviction, je maintiens que Votre divin Maître appartient aux Noëls anciens de la Nouvelle-France. Strictement, je n’ai pas, à l’appui de mon assertion, une preuve directe et positive, mais enfin pourquoi refuser à cette pastorale le bénéfice de la certitude comme on accorde à des œuvres d’art le bénéfice du doute, le mystère de leur origine ajoutant au charme de leurs beautés archaïques ?

Un autre cantique très populaire chez nous — j’entends la province de Québec — est le noël languedocien : Les anges dans nos campagnes, qu’à mon grand étonnement je n’ai pas retrouvé dans les cinq vieux recueils consultés aux archives de l’Hôtel-Dieu de Québec. Migne nous le signale comme fort ancien. « Nous nous sommes empressés, dit-il, à la préface de son Dictionnaire de Noëls et de Cantiques, nous nous sommes empressés d’introduire dans notre dictionnaire des sortes de romances ou complaintes dont les airs et les paroles ont longtemps joui d’une très grande popularité, telle que celle qui débute ainsi : Entends ma voix fidèle, — Pasteur, suis-moi ; celle qui commence par ce vers : Allons tous à la crèche ; la complainte du Mauvais Riche : Venez ouïr avec crainte ; les vieux noëls Chantons avec réjouissance, J’entends, là-bas, dans la plaine[4], Je suis le maître de la grange, » etc.

Il se chantait donc en France au dix-septième siècle, ou, plus tard, dès le commencement du dix-huitième, puisque, d’après Migne, il est le contemporain du noël de de Pellegrin : Entends ma voix fidèle, publié en 1701. Mais ici, au Canada, sous le régime français ? Rien ne me permet d’en affirmer le fait ; et je ne puis que le supposer. Des vieillards que j’ai consultés à ce propos m’assurent que de leur temps, c’est-à-dire dans leur jeunesse, ce qui nous reporterait à l’année 1840, ce noël était tout nouveau pour eux, et qu’il était absolument inconnu de leur enfance.

En 1842, l’abbé Louis Lambillotte publia chez Poussielgue-Rusand, libraires, Paris, rue Hautefeuille, No 9, un Choix de cantiques sur des airs nouveaux pour toutes les fêtes de l’année. Ce recueil, spécialement dédié aux maisons d’éducation, renfermait (pages 8 et 9, cantique No 3) le noël languedocien que nous cherchons : Les anges dans nos campagnes. Des exemplaires de cet ouvrage furent apportés à Québec l’année même de sa publication en France et se vendaient, sur la rue La Fabrique, à la librairie Crémazie. On pourrait donc vraisemblablement fixer à 1842 l’apparition ou le retour au Canada du vieux cantique que nos ancêtres connurent peut-être mais qu’ils ne chantaient certainement pas sur l’air modernisé de Lambillotte.

Les friands de littérature fantastique savent par cœur un tout petit chef-d’œuvre datant de la première jeunesse d’Edgar Poe, et que, dans son admirable traduction française, Baudelaire a placé, je ne sais trop pourquoi, aux dernières pages des Nouvelles histoires extraordinaires[5].

Cette bluette macabre — une perle noire d’un grand prix — a pour titre un mot vague, incolore, absolument inoffensif en apparence : L’Ombre ! Mais cette étiquette très simple cache un récit très poignant, secoué d’émotions violentes, où le froid de la peur vous gèle à mort.

« Une nuit, nous étions sept, au fond d’un noble palais, dans une sombre cité appelée Ptolémaïs, buvant un vin pourpre de Chios. Et notre chambre n’avait d’autre entrée qu’une haute porte d’airain façonnée par l’artisan Corinnos, d’une rare main-d’œuvre. Pareillement, de noires draperies, protégeant cette chambre mélancolique, nous épargnaient l’aspect de la lune, des étoiles lugubres et des rues dépeuplés par la Peste…… Il y avait autour de nous, auprès de nous, une pesanteur dans l’atmosphère — une sensation d’étouffement, une angoisse affreuse. Un poids mortel nous écrasait…… et toutes choses semblaient opprimées et prostrées dans cet accablement, — tout, excepté les flammes des sept lampes de fer qui éclairaient notre orgie. S’allongeant en minces filets de lumière, elles restaient toutes ainsi, et brûlaient pâles et immobiles ; et dans la table ronde d’ébène autour de laquelle nous étions assis, et que leur éclat transformait en miroir, chacun des convives contemplait la pâleur de sa propre figure et l’éclair inquiet des yeux mornes de ses camarades……

« Et voilà que du fond de ces draperies noires où s’en allait mourir le bruit des chansons — car nous étions gais à notre manière, — une façon hystérique de chanter les chansons d’Anacréon, qui ne sont que folies — et de boire largement, quoique la pourpre du vin nous rappelât la pourpre du sang — voilà, dis-je, que s’éleva du fond de ces draperies une ombre sombre, indéfinie, — une ombre semblable à celle que la lune, quand elle est basse dans le ciel, peut dessiner d’après le corps d’un homme. Mais ce n’était l’ombre ni d’un homme, ni d’un dieu, ni d’aucun être connu. Frissonnant un instant parmi les tentures, elle resta enfin visible et droite, sur la surface de la porte d’airain.

« Mais nous, les sept compagnons, ayant vu l’ombre, comme elle sortait des draperies, nous n’osions pas la contempler fixement ; nous baissions les yeux, et nous regardions toujours dans les profondeurs du miroir d’ébène. Et, à la longue, moi, Oinos, je me hasardai à prononcer quelques mots à voix basse, et je demandai à l’ombre sa demeure et son nom. Et l’ombre répondit :

— Je suis Ombre, et ma demeure est à côté des Catacombes de Ptolémaïs !

« Et alors, tous les sept nous nous dressâmes d’horreur sur nos sièges, et nous nous tenions tremblants, frissonnants, effarés ; car le timbre de la voix de l’Ombre n’était pas le timbre d’un seul individu, mais d’une multitude d’êtres ; et cette voix, variant ses inflexions de syllabe en syllabe, tombait confusément dans nos oreilles en imitant les accents connus et familiers de mille et mille amis disparus ! »

Voulez-vous maintenant, lecteurs, par un de ces merveilleux coups de baquette magique que frappe, au caprice de notre volonté, la Fée Imagination, voulez-vous, instantanément, transformer en un paroxysme de joie ce paroxysme d’épouvante ?

Opérez, comme au théâtre, un changement à vue de décors et de personnages, remplacez le palais fantaisiste d’Edgar Poe par l’église centenaire de nos paroisses ; les tentures funèbres de la salle du banquet par les feux éblouissants du sanctuaire ; les constellations néfastes du ciel empesté de Ptolémaïs par l’étoile miraculeuse de Bethléem ; la table de l’orgie par le joyeux Réveillon de Noël : les sept lampes de fer, aux flammes immobiles et pâles comme le visage des sept convives fantastiques, par les douze enfants traditionnels de la famille canadienne-française. Au spectre hideux échappé du sépulcre, remonté de l’abîme, substituez un ange au radieux visage, penché, comme celui de Reboul, sur le bord d’un divin Berceau. Regardez fixement ce fantôme ami, demandez-lui sans crainte sa demeure et son nom. Et l’esprit répondra :

— Je suis Lumière, mon séjour est auprès du Très-Haut dont je chante éternellement la louange : Gloria in altissimis Deo, et in terra pax hominibus bonæ voluntatis !

Et alors tous les sept, c’est-à-dire tous ensemble, nous les convives de la vie humaine, encore assis à son banquet, nous tressaillerons d’allégresse — une allégresse délirante, égale en intensité à cette horreur macabre qui faisait lever de leurs sièges, avec une brusquerie de détente mécanique, les personnages fictifs d’Edgar Poe — tous ensemble émus, frissonnants, effarés — la joie fait peur comme la mort — nous écouterons chanter cet Ange dans un silence extatique, « car le timbre de sa voix ne sera plus le timbre d’un seul individu, mais d’une multitude d’êtres, et cette voix, variant ses inflexions de syllabe en syllabe, tombera distinctement dans nos oreilles en imitant les accents connus, familiers de mille et mille amis disparus, » qui chantaient avec nous autrefois sur la terre, et avec Lui maintenant dans le ciel, les Noëls anciens de la Nouvelle-France.

Un noble poète de l’école contemporaine, Sully-Prudhomme, a écrit ce vers immortel :


Les yeux qu’on ferme voient encore !


J’emprunte l’autorité de son magnifique talent pour dire à son exemple :


Bouches closes chantent toujours !


Lèvres muettes de nos enfants, lèvres scellées de nos ancêtres, lèvres silencieuses de nos chers morts — élus qui nous attendent dans les joies de la vie éternelle — chantent encore, chantent ailleurs que dans la solitude des cimetières ou le passé des générations évanouies. Defuncti adhuc loquuntur ! Non seulement ils parlent, ces bien-aimés absents, mais ils chantent, si près, si près de nous, que leurs voix semblent nôtres. Cette pensée sereine, consolante, délicieuse à méditer, prête un charme exquis, une grâce suprême aux mélodies quatre fois centenaires des Noëls anciens de la Nouvelle-France ainsi écoutées dans le majestueux silence de nos cathédrales, lui-même agrandi par le recueillement ému de nos propres âmes attentives et vibrantes aux plus lointains de leurs échos.



  1. Cher Enfant qui viens de naître, etc. Cf : page 137 de ce livre.
  2. Cf : Notice sur Messire J. J. Perrault et sur ses ouvrages (page VII) publiée en tête de la Messe de Noël : Deo Infanti.
  3. Son meilleur ouvrage est une pastorale en patois languedocien : Daphnis et Alcidamure, jouée à Paris, en 1754. Les critiques de l’époque ne se génèrent pas pour crier sur tous les toits que le travail du compositeur s’était borné à arranger en opéra de vieux airs populaires du midi, ceux-là même que Fléchier avait entendus bien souvent alors qu’il professait la rhétorique à Narbonne. Qui sait ? on trouverait peut-être, en cherchant dans les motifs de Daphnis et Alcidamure, la mélodie tant aimée sur laquelle le futur évêque de Nîmes écrivit son délicieux noël : Dans cette étable.
  4. Le vers initial et le premier couplet du noël languedocien, Échos de Bethléem, varient, suivant qu’ils appartiennent à la version ancienne ou à la version moderne de ce cantique.

    xxxxxxxxVERSION ANCIENNE.
    J’entends, là-bas, dans la plaine,
    Les anges, descendus des cieux,
    Chanter à perte d’haleine
    Ce cantique mélodieux :
    Ce canGloria in excelsis Deo.
    xxxxxxxxVERSION MODERNE.
    Les anges dans nos campagnes
    Ont entonné l’hymne des cieux,
    Et l’écho de nos montagnes
    Redit ce chant mélodieux :
    Ce canGloria in excelsis Deo.
  5. Edgar Poe : Nouvelles histoires extraordinaires, pages 267, 268 et 269.