Noce à Montreuil

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Chansons et chansonniers, Texte établi par Henri AvenelC. Marpon (p. 211-213).
Air : Mire dans mes yeux tes yeux.

Enfants, dis-je à deux confrères,
Nous avons bon pied, bon œil :
Au lieu d’ flâner aux barrières,
Si nous allions à Montreuil ?
Allons, viv’ment qu’on s’embarque.
J’ possède un’ couple d’écus.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
Ça sonne le monarque.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
Et n’en parlons plus.
A Charonn’ c’est l’ moins qu’on entre
Boire un p’tit coup chez Savart[1] ;
Mais l’un d’ nous s’ sent mal au ventre
En avalant son nectar.
Savart, craignant qu’i' n’ s’insurge.
Dit en r’versant un coup d’ssus :
Tapez, tapez-moi là-d’ssus.
C’est bon, mais ça purge.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
Et n’en parlons plus.
Nous y v’ià. Bonjour, la mère ;
Fricassez-nous un lapin.
— Bah ! fait’-en sauter un’ paire,
Histoir’ de goûter vot’ vin.
Nous somm’s en fonds, comm’ dit c’ t’ autre.
Les trois n’ s’ront pas superflus.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
Ça s’ra chacun 1’ nôtre.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus.
Et n’en parlons plus.

Tu cri’s à casser les vitres ;
Voyons, de quoi te plains-tu ?
A trois, nous n’avons qu’ douz’ litres ;
Vrai, nous aurons l’prix d’ vertu.
Moi, je n’ quitt’ pas la guinguette,
Qu’mes goussets n’ soient décousus.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
Qu’on mont’ la feuillette.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
Et n’en parlons plus.
Allons, qui prend la parole ?
L’un ou l’autr’, ça m’est égal ;
Mais n’ chantez pas d’ gaudriole,
J’trouv’ça trop sentimental.
Chantez, le vin nous excuse,
D’ Martin les r’frains les plus crus.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
N’y a qu’ ça qui m’amuse.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus.
Et n’en parlons plus.
Deux époux d’ la ru’ Saintonge
Sont avec nous dans la cour ;
L’mari boit comme une éponge,
Et la femm’ cri’ comme un sourd.
Avec quelle rag’ ell’ contemple
Les pichets qu’ son homme a bus !
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
Faut faire un exemple.
Tapez, lapez-moi là-d’ssus,
Et n’en parlons plus.
J’suis amoureux quand je chante
Et qu’j'ai pompé mou p’tit coup ;
Aussi, j’ vois bien qu’ la servante
N’est pas déchiré’ du tout.

Ses p’tits yeux gris semblent dire
De certains appâts charnus :
Tapez, tapez-moi là-dessus.
Ça m’ fait toujours rire.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
Et n’en parlons plus.
C’est fini ; faut s’ mettre en route.
Allons, somm’s-nous disposés ?
Quand nous aurons bu la goutte,
Tous nos gros sous s’ront usés.
Quand vous s’rez dans vot’ domaine
Sur vos divans étendus :
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
En v’ià pour la s’maine.
Tapez, tapez-moi là-d’ssus,
Et n’en parlons plus.

  1. M. Colmance était ami intime de Savart, surnommé Savart-l’ Esprit. Ce débitant de petit-bleu et de bons mots a souvent inspiré le chansonnier.