Nono/11

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Éd. Monnier et Cie (p. 378-381).

CHAPITRE XI



Une lampe fumeuse éclairait la bière découverte. Il était là, étendu comme un enfant endormi, et personne n’aurait deviné que ce beau corps ne vivait plus.

La mère avait obtenu cette dernière consolation de le mettre dans un cercueil bien solide.

Au fond du caveau de la prison, quelqu’un pleurait en se balançant la tête sur les genoux. C’était Césarine. Elle avait tellement épuisé ses sanglots, la petite sœur, qu’elle berçait son chagrin pour l’empêcher de crier.

Mme Maldas l’appela.

— Il faut l’embrasser avant que je rejette le drap, » fit-elle.

La petite fille se prosterna auprès de la vieille femme.

On ne voyait rien que la bière très illuminée dans la clarté de la lampe.

Nono avait tout le buste hors du drap et nu.

Un buste adolescent. À peine une frisure brune estompait le creux de la poitrine et la blancheur de la peau faisait ressortir les deux taches roses des seins, épanouies comme deux fleurs.

La tête était tournée un peu de côté. À la naissance du cou, une torsade de perles fines, toute une fortune, cachait la sinistre raie sanglante où avait passé le couperet.

Les cils retombaient sur ses joues leur donnant l’apparence d’un paisible sommeil.

Ses cheveux rasés avaient des reflets de velours et une radieuse expression relevait le coin des lèvres, devenues sensuelles dans la mort comme elles ne l’avaient jamais été dans l’amour.

Autour de lui, jusque dans les replis les plus secrets de sa chair, couraient des perles défilées… les unes mates, semblables aux tons jaunis de ses bras d’hercule, les autres brillantes comme le duvet de ses joues d’enfant.

La mère lui avait obéi : il avait désiré être enterré couvert du joyau des vierges et le rustre emportait de mystérieuses caresses pour l’éternité.

— Fils, dit la veuve, traçant une croix sur lui, nous te pardonnons !… »

Elle déploya le drap et posa un rameau béni au-dessus du cœur. Puis, aidée de Césarine, elle replaça le couvercle de la bière.

À ce moment, une porte s’ouvrit. Un pas lourd résonna, tandis qu’une voix saccadée disait aux gardiens :

— Laissez-moi entrer… je suis le général Fayor ! »

La mère se retourna effrayée.

— Que me voulez-vous ? interrogea-t-elle. On ne peut pas m’empêcher d’ensevelir mon fils ?… »

Elle recula… L’homme qui venait n’était plus reconnaissable.

Il marchait le dos voûté, ses jambes vacillaient comme les jambes d’un centenaire et sa moustache était de la couleur des cheveux de la vieille femme.

— Madame ! dit l’homme en balbutiant, vous avez refusé hier les secours que je vous offrais au nom de ma fille. Aujourd’hui, je n’ai plus de fille !… et je viens chercher celle-ci ! »

Le général appuya ses doigts tremblants sur le front de Césarine.

La veuve ne devinait pas.

— Lisez ! continua-t-il, en lui tendant un papier. C’était une dépêche.

Elle eut un geste d’amère tristesse.

— Je ne sais pas lire ! répondit-elle. »

Alors, ce fut Césarine qui, lentement, épela ces lignes brèves datées de Londres, de la résidence du duc de Pluncey.

« Ce matin, à cinq heures et demie, la duchesse Renée, après une crise de folie furieuse, a rendu le dernier soupir.

» Edmond. »

— Vous ne comprenez pas, bégaya le vieux soldat suffoqué. Moi, j’ai compris !… Ils sont morts tous les deux à la même minute…

— Venez ! Tout ce que j’ai vous appartient. Cette enfant me fermera les yeux… bientôt… allez !… »

Il glissa quelque chose à l’intérieur du cercueil, juste au-dessus du rameau béni ; c’était sa croix d’officier de la Légion d’honneur !…

Césarine, défaillante, s’agenouilla pour remercier comme on voit s’agenouiller les petits anges de marbre sur la tombe des rois, et dans le doux regard de la sœur rayonna un instant le doux sourire du frère réhabilité.

FIN.