Notes et Sonnets/À M… Oh ! laissez-moi

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À M…


Oh ! laissez-moi quand la verve affaiblie
Par les coteaux m’égare avec langueur,
Quand pourtant la mélancolie
Demande à s’épancher du cœur,

Oh ! laissez-moi du poëte que j’aime
Bégayer le vague et doux son,
Glaner après lui ce qu’il sème,
Et de Collins, d’Uhland lui-même
Émietter quelque chanson.

Je vais, traduisant à ma guise
Un vers que je détourne un peu ;
C’est trop ma douceur et mon jeu
Pour qu’autrement je le traduise.

C’est proprement sur mon chemin
Tenir quelque branche à la main
Que j’agite quand je respire.
C’est sous mes doigts faire crier,
C’est mâcher un brin de laurier,
Comme nos maîtres l’osaient dire.

Quel mal d’avoir entrelacé,
Même d’avoir un peu froissé
Deux fleurs dans la même couronne ?
La fleur se brise dans l’essai ;
L’arbre abondant me le pardonne.

Et puis j’y mêle un peu de moi,
Et ce peu répare ma faute.
Souvent je rends plus que je n’ôte
Par un nouvel et cher emploi.

Ainsi, quand, après des journées
D’étude et d’hiver confinées,
Je quitte, un matin de beau ciel,
Mon Port-Royal habituel ;
Si devant mon cloître moins sombre,
Au bord extrême du préau,
M’avançant, je vois passer l’ombre,
Ombre ou blanc voile et fin chapeau
De jeune fille au renouveau
Courant au tournant du coteau,

Alors, pour peindre mon nuage,
M’appliquant tout à fait l’image
Du Brigand près du chemin creux,
Uhland, j’usurpe ton langage ;


Et, si je n’en rends le sauvage,
J’en sens du moins le douloureux.