Notes sur le Japon

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NOTES SUR LE JAPON[1].


VILLES.

Les villes du Japon sont grandes, belles et bien bâties. La plupart sont au centre de l’empire. Miakou (Méaco), qui en est la capitale, est située sur le bord septentrional d’un lac au trentième degré de latitude et au cent soixante-neuvième de longitude. C’était anciennement une ville fort importante, car son enceinte avait vingt-un milles de tour. Mais les habitans, dans leurs révoltes et dans les guerres qu’ils se faisaient, en ayant détruit la plus grande partie, elle n’est guère maintenant que le tiers de ce qu’elle fut autrefois. Mais ce qui reste de cette ville est encore fort beau et mérite d’être vu. C’est à Miakou que le souverain réside ; c’est là que se trouve le tribunal suprême, où trois personnes sont chargées du soin de rendre la justice[2].


Ouchakaïa est une ville considérable et importante. Les habitans y sont riches et aisés. Cette ville est aussi le centre du commerce, et c’est là que se réunissent tous les marchands. Le moins riche de ses habitans a un capital de 1000 piastres, et celui qui tient le milieu entre les plus riches et ceux qui le sont le moins possède un capital de 30,000 écus. Quant aux principaux commerçans, leur fortune est immense. Trois mille soldats environ, campés hors des murs, veillent sans cesse à la garde de la ville. Lorsqu’ils ont besoin d’y aller, ils y entrent un à un, deux à deux, et puis ils se retirent.

Boungoum est le chef-lieu d’une province. Cette ville est fort grande, et assise dans une belle position. On y trouve beaucoup de chrétiens. Il y a aussi un collége où ces derniers apprennent la langue japonaise, et où les naturels du pays vont étudier le latin et le portugais. Elle a un port excellent sur le bord de la mer.

Kouïa possède une idole, connue parmi les habitans sous le nom de Kounboudassy. C’est dans cette ville qu’on enterre les princes et les grands de l’empire. On vient de très-loin pour y ensevelir les morts. Mais si on éprouve de la difficulté à inhumer le cadavre, on lui arrache une dent. Aussi les habitans du pays croient que, quand on enterre là une seule partie du corps d’un individu, cette personne ressuscitera dans l’autre monde avec tout ce qui composait son être. Ils pensent que ce Kounboudassy est l’inventeur des lettres qu’ils emploient. Ils disent aussi que, pareil au Mahdy[3] que nous attendons, il n’est pas encore mort ; qu’il a fait creuser un tombeau, qu’il y est entré, qu’il est disparu et qu’il paraîtra de nouveau. On a bâti sur sa tombe un grand oratoire où les Bonzes se portent en foule, et où ils vont faire leurs prières.

Fioungou est située à dix-huit parasanges de Miakou. En l’année 1596 de Jésus-Christ, un tremblement de terre ayant renversé une partie de cette ville, et le reste ayant été brûlé et ruiné dans les révoltes des habitans, cette cité est maintenant déchue et n’offre rien de remarquable. Mais Nagouzaki (Nangasaki) est une ville grande et importante. Elle est située au milieu d’une île (l’île de Ximo). Dansiken, Founaloum et Toussa sont des villes fameuses et considérables. Voici le nom des autres, d’après le livre de Laurent  : Koungousima est auprès de la mer ; ses habitans embrassèrent les premiers le christianisme. Kakata est un grand port. Aux environs de Doukousada, on trouve les villes de Zéwaou, de Manéfati, de Boundyen, de Tchikoun, d’Iouvami, de Taïngou, de Doukhy, de Rima et de Fianouiama. Les Bonzes de ces contrées habitent la plupart cette dernière ville, ce qui lui donne une grande importance.

Trois choses donnent de la célébrité à la ville de Narabou : la première est une idole d’airain dont la grandeur surpasse le colosse de Rhodes ; la seconde, c’est qu’on y trouve beaucoup de cerfs apprivoisés : le peuple les adore. La troisième, c’est qu’il y a auprès de la ville un grand lac rempli de poissons ; comme ils sont consacrés aux idoles, on les nourrit tous les jours avec du riz. Il est défendu de les pêcher.

On trouve ensuite les villes de Nagzou, de Tounoukatou, d’Owiad, de Mini et de Kawatchitou, qui est la principale ville de la tribu de Soun. On voit à Bandou le grand collége des Bonzes. Akoutia est une ville fameuse, où les marchands se réunissent pour leur commerce ; mais comme elle est située au nord de l’île, le froid y est très-rigoureux. Il y a dans le Japon un grand nombre de ports de mer ; le plus fameux est celui d’Okhinoufamanous, où l’on voit aborder en tout temps une qualité innombrable de vaisseaux.

DES ÉDIFICES ET DES MONUMENS.

Le Japon possède des temples magnifiques, et des monastères pour les religieux des deux sexes. Les palais y sont vastes et somptueux. Le toit du palais du roi, d’après le récit de Polo[4], est couvert de planches dorées au lieu de plomb. Les plafonds de ses maisons de campagne sont recouverts de feuilles d’or ; ils sont aussi ornés de peintures, et ils s’élèvent à une hauteur prodigieuse. Le roi de ce pays, appelé Taïkou, a fait bâtir, de nos jours, un palais magnifique. On a employé, pour le couvrir, mille nattes d’un prix inestimable, connues sous le nom de tatamis. Les extrémités de ces nattes sont garnies de soie et d’or, et travaillées avec un art admirable. Chacune d’elles a huit coudées de long sur quatre de large. Les planches qui ont servi à bâtir cet édifice sont d’un bois très-précieux, et confectionnées avec le plus grand soin. Il est presque impossible de décrire les belles choses et les ornemens que renferme ce palais. Devant le portique, on voyait une grande place (destinée à plusieurs espèces de jeux), en forme d’amphithéâtre, de façon que les deux côtés étaient séparés l’un de l’autre. De grandes tours à trois et à quatre étages ornaient encore l’édifice. On trouve au Japon un grand nombre de bâtimens pareils à celui dont nous venons de faire la description ; mais comme cette île éprouve très-souvent des tremblemens de terre, la plupart des maisons sont en bois. Cependant on voit de temps en temps des édifices bâtis en pierres de taille.

DES FLEUVES ET DES MONTAGNES.

Il y a au Japon une grande quantité de petits fleuves, et on trouve dans certains endroits des eaux thermales dont l’effet est certain et immédiat. À côté de Miakou, on voit un grand lac rempli de poissons, et dont les bords sont entourés de jardins appartenant aux Bonzes. Il y a aussi au Japon de très-hautes montagnes : deux surtout sont célèbres et remarquables par leur élévation. À chaque instant, on voit sortir des feux du sommet de l’une d’elles, et le diable, dit-on, porté sur un nuage éclatant de lumière, se montre à quelques dévots adorateurs d’idoles qui, s’inclinant à ses pieds, lui adressent des prières. La seconde de ces montagnes se nomme Kidjienouiama ; elle est plus élevée que les autres de quelques parasanges.

J. Dumoret.


  1. Traduit de l’ouvrage turc, Djihan Numa, de Hadji-Khalfah, premier secrétaire et ministre des finances d’Amurat iv.
  2. Méaco ou Miaco, grande et célèbre ville impériale, dans l’île de Niphon, dont elle était autrefois la capitale. Le Daïri, c’est-à-dire l’empereur ecclésiastique, y fait sa résidence avec une ombre d’autorité religieuse pour le consoler de la véritable, dont le Kubo, ou empereur séculier, l’a dépouillé.

    Méaco est le grand magasin de toutes les manufactures du Japon et la principale ville de commerce. Elle est bâtie régulièrement, et toutes ses rues sont coupées à angles droits. On y comptait, en 1675, d’après un recensement qui divisait le peuple par religions, plus de six cent mille âmes. Le célèbre voyageur Kœmpfer écrit Miaco dans son histoire du Japon. Ce nom, en japonais, ne signifie que ville ; on le donne par excellence à Méaco, de même que les Romains disaient Urbs, pour désigner la ville de Rome. Elle est située dans la province de Jamatto.

    Le père Riccioli, dans sa Géographie réformée, établit une double position de Méaco, savoir :

    Longitude 156° 24’ ou 157° 23’.
    Latitude 35° 45’ ou 36° 0’.

    et Mac Carthy, dans son nouveau Dictionnaire géographique :

    Latitude nord 35° 24’.
    Longitude est 151° 10’.
  3. Voyez sur le Mahdy attendu par les Musulmans la notice sur l’apparition d’un nouveau prophète musulman en Afrique, publiée dans un des précédens numéros de la Revue des deux Mondes.
  4. C’est le célèbre voyageur Marco Pol qui le premier a signalé en Europe l’existence du Japon.