Nouvelle Biographie générale/Abad iii

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Firmin-Didot (1p. 13-14-17-18).

ABAD III (Abou’l-Cacem, Mohammed-Al-Motamed-Billah), fils du précédent, né en 1039, mort en mars 1095. Il fut proclamé roi de Séville en 1069, sous les titres d’Al-Motamed, d’Al-Djafer et d’Al-Mowaïad, surnoms qui l’ont fait souvent confondre avec d’autres princes. Valeureux et prudent, et sachant par sa libéralité enflammer le zèle de ses serviteurs et s’assurer leur fidélité, Abad-Al-Motamed, aussi magnifique, aussi ambitieux que son père, ne fut ni cruel ni sanguinaire, et abusa rarement de la victoire. Il rendit les biens à ceux qui s’étaient dérobés par la fuite à la tyrannie du dernier règne. Il excellait dans la poésie, et rivalisait avec le roi d’Alméria, son ami : tous deux protégeaient les arts et les lettres. L’an 472 de l’hégire (1079 de J.-C), après une guerre longue et cruelle, Abad reprit Cordoue, acheva la conquête du royaume de Malaga par la prise d’Algéziras, et mit fin à la dynastie des Hamouides. Cependant il s’inquiétait des progrès d’Alphonse, roi de Castille, qui, depuis la prise de Tolède, étendait ses conquêtes sur les plaines arrosées par le Tage, et s’était emparé de Maglit, de Maquela et Guadalajara : il lui écrivit pour l’inviter à se contenter de sa capitale, et à se conformer aux clauses de leur traité d’alliance. Le Castillan répondit que les pays qu’il avait soumis appartenaient à ceux qui étaient maintenant ses vassaux. Afin de prouver en même temps qu’il était fidèle au traité, il envoya au roi de Séville 1500 hommes, armés de toutes pièces, pour le seconder dans ses guerres contre le roi de Grenade. Abad-Motamed fit la paix avec ce dernier, et se hâta de congédier ses dangereux auxiliaires. À la nouvelle qu’Alphonse venait d’envahir les États d’Al-Garb et de Saragosse, il invita les rois d’Alméria, de Grenade, de Badajoz, de Valence, à se joindre à lui, pour s’opposer aux progrès des chrétiens.

Une junte, composée des oulémas et des cadhis attachés aux mosquées métropolitaines de l’Espagne, se tint à Cordoue l’an 478 de l’hégire (en 1085 de J.-C) ; et le résultat de ses délibérations fut de proclamer l’Al-Djehad (la guerre sainte), et d’en confier le commandement à Yousouf-ben-Taschfyn, second roi de Maroc. Celui-ci débarqua, pendant la nuit du mois de rabi IIe, 479 de l’hégire (août 1086 de J.-C.), à Algéziras, et y fut reçu par tous les émirs de la Péninsule. Séville était le rendez-vous général des troupes musulmanes. À la première nouvelle de l’arrivée du monarque africain, Alphonse avait levé le siège de Saragosse, et réclamé le secours de tous les princes chrétiens de l’Espagne et de la France méridionale. À la tête de cent mille hommes il s’était avancé dans les plaines de Zallaka, entre Badajoz et Mérida. Là se rencontrèrent les deux armées le 12 redjeb 479 de l’hégire (23 octobre 1086). Attaqués par une troupe de chrétiens, sous les ordres d’Al-Barhanis ou Bérenger-Raimond II, comte de Barcelone, les musulmans d’Espagne plièrent après une assez courte résistance ; bientôt leurs chefs prirent la fuite, et gagnèrent Badajoz. Le roi de Séville seul demeura à son poste avec ses fidèles Andalousiens, et donna le temps au roi de Maroc de lui envoyer des renforts, qui l’aidèrent à combattre avec avantage. L’issue de la bataille était encore incertaine, lorsque Yousouf, débouchant de la montagne derrière laquelle sa réserve était cachée, assaillit le camp du roi de Castille, égorgea les troupes qui le gardaient, s’empara de tous les bagages, mit l’armée chrétienne en déroute et décida la victoire. Alphonse parvint à se sauver avec cinq cents cavaliers, et n’arriva à Tolède qu’après avoir vu périr la plus grande partie de son escorte. Les musulmans eurent trois mille hommes tués, au rapport des historiens arabes, qui paraissent avoir exagéré la perte des chrétiens. Le roi de Séville, malgré les blessures qu’il reçut dans cette journée, s’empressa d’en envoyer la nouvelle à son fils aîné, par une lettre qu’il attacha sous l’aile d’un pigeon. Après le partage du butin, le roi de Maroc retourna en Afrique, laissant des troupes en Espagne, sous le commandement de son parent Schyr ou Sayr-ben-Abou-Bekr. Les hostilités continuelles entre les chrétiens et les musulmans, la discorde de ceux-ci, les lettres pressantes de Schyr-ben-Abou-Bekr, éveillèrent l’ambition du roi de Maroc, et le déterminèrent à une nouvelle expédition. Cette fois il vint sans être appelé par ses alliés, qui malheureusement avaient compris trop tard ses secrètes intentions. Yousouf assiége d’abord Tolède, où le roi de Castille s’était renfermé ; il saccage les environs de cette capitale, fait périr ou réduit en servitude un grand nombre de chrétiens ; puis, sous le prétexte que les émirs avaient refusé de se joindre à lui, il lève le siége, et va détrôner Abdallah, dernier roi de Grenade. Charmé du climat de cette ville, il y séjourne quelque temps, renvoie, sans leur donner audience, les ambassadeurs des rois de Séville et de Badajoz, et, laissant entrevoir ses projets ultérieurs, il retourne à Maroc en ramadhan 483 (novembre 1090). Abad, prévoyant le sort qui le menace, se repent alors d’avoir attiré les Maures en Espagne : il fortifie à la hâte les murs et le pont de Séville, et met toutes ses places en état de défense. Schyr, général de Yousouf, après avoir vainement employé la ruse et les promesses pour engager le roi de Séville à se soumettre, le somme de livrer ses places, et de venir jurer obéissance à Yousouf, émir suprême des musulmans. Abad entreprit une lutte inégale, perdit successivement les places les plus importantes de ses États, et fut réduit à implorer le secours d’Alphonse, roi de Castille. Celui-ci, moins par générosité peut-être que pour arrêter les progrès alarmants des Africains, envoya, sous les ordres du comte Gomez, une armée de soixante mille hommes qui fut complètement battue. Schyr prit possession de Séville le 19 ou 22 redjeb 484 (ou 9 septembre 1091), et fit embarquer pour l’Afrique le roi Abad avec ses femmes et ses enfants. Yousouf reçut ces malheureux à Ceuta, et les envoya prisonniers à Aghmat. Renfermé dans une tour, Abad y vécut quatre ans, servi par ses propres filles, qui étaient réduites à filer de la laine pour vivre. Il composa sur ses revers une élégie, pleine de sensibilité ; car la poésie, qui avait fait ses délices dans la prospérité, le consola dans le malheur. Ses romances devinrent populaires. Abad mourut dans sa prison, à l’âge de cinquante-six ans. En lui s’éteignit la dynastie des Abadides, qui, après avoir eu un règne de plus de soixante et dix ans, se termina par une catastrophe semblable à celle dont son père et lui-même avaient rendu victime le dernier roi de Cordoue, Mohammed-ben-Djahwar. Les fils d’Abad finirent leurs jours en Afrique, dans l’indigence et l’obscurité.

Masdeu, Historia critica de España, t. XII, p. 350. — Cardonne, Histoire de l’Afrique et de l’Espagne sous la domination des Arabes, t. IT, p. 200. — Conde, Histoire de la domination des Arabes.