Nouvelle Biographie générale/PÉTRARQUE

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PÉTRARQUE (François) (PETRARCA Francesco), un des plus grands poètes italiens, né à Arezzo, dans la nuit du 19 an 20 juillet 1304, mort à Arqua, le 18 juillet 1374. Son père se nommait Pietro ou Petracco (diminutif de Pietro), et remplissait les fonctions de notaire à Florence. Petracco fut banni avec Dante et plusieurs autres florentins du parti des blancs, et se retira à Arezzo. Là il eut un fils, qui s’appela d’abord Francesco di Petracco (François fils de Petracco), nom qu’il changea en celui de Francesco Petrarca. Il passa ses premières années à Incisa, dans le val d’Arno, avec sa mère, Eletta Canigiani, qui avait obtenu la permission de revenir à Florence. À l’âge de sept ans il alla rejoindre son père à Pise, où il eut pour premier maître un vieux grammairien nommé Convennole da Prato. Petracco, désespérant de rentrer dans sa ville natale, se rendit en 1313 à Avignon, qui était alors la résidence de la cour pontificale et le rendez-vous d’une foule d’étrangers et particulièrement des exilés italiens. Voyant que la vie était trop coûteuse à Avignon, il envoya sa famille à quelques lieues de là, dans la petite ville de Carpentras. Pétrarque y retrouva Convennole da Prato et reçut de lui des leçons de grammaire, de rhétorique et de logique. Il alla ensuite étudier le droit à l’université de Montpellier, où il resta quatre ans (1318-1322), moins occupé de jurisprudence que des lettres antiques. À une époque où les manuscrits des classiques latins étaient rares, il avait réussi à se procurer plusieurs ouvrages de Cicéron, les œuvres de Virgile et quelques autres auteurs anciens ; il les relisait sans cesse et se préparait à les imiter un jour. Son père aurait mieux aimé qu’il se préparât à suivre une des carrières lucratives qu’ouvrait la science des lois ; il l’envoya à Bologne, qui était alors plus célèbre école de droit. Pétrarque y passa trois années, qui n’ajoutèrent pas beaucoup à son savoir en jurisprudence, mais qui lui permirent de nouer d’utiles relations avec des hommes instruits, entre autres avec le poète légiste Cino de Pistoja. Apprenant la mort de son père, il revint à Avignon, où peu de temps après il perdit mère. Resté à vingt-deux ans sans fortune, il n’eut d’autre ressource que l’état ecclésiastique. Il prit l’habit clérical, mais sans entrer dans les ordres.

Vers ce temps s’accomplit l’événement intime qui exerça tant d’influence sur son génie. Le 6 avril 1327, tandis qu’il assistait au service divin dans l’église de Sainte-Claire, à Avignon, il fut frappé de la beauté d’une jeune dame qui trouvait près de lui, et il conçut pour elle une vive passion qui devait remplir le reste de son existence. Le nom de cette dame était Laura ou Laure. Suivant une opinion qui ne s’appuie point sur le témoignage de Pétrarque, car le poète ne dit rien de la famille de celle qu’il aime, Laure, alors âgée de vingt ans, « était fille d’Audibert de Noves, chevalier riche et distingué. Elle avait épousé, après la mort de son père, Ragues de Sade, patricien originaire d’Avignon, jeune, mais peu aimable et d’un caractère difficile et jaloux[1]. » Depuis que l’abbé de Sade, dans un ouvrage diffus et sans critique, a revendiqué pour sa famille la belle personne qui inspira les vers amoureux de Pétrarque, on a faiblement contesté cette prétention, très-contestable cependant. Avant de la discuter, nous résumerons rapidement ce que le poète lui-même nous apprend sur celle que la postérité appelle la belle Laure. Leopardi s’exprime ainsi dans la préface de son édition des Rime di F. Petrarca : « La force intime, la nature particulière et vive des poésies de Pétrarque apparaitrait sous un jour nouveau, si je pouvais écrire l’histoire de son amour telle que je la conçois. Cette histoire, racontée par le poète dans ses vers, n’a été jusqu’ici entendue et connue de personne, comme elle pourrait l’être, sans qu’il fut besoin d’employer à ce sujet d’autre science que celle des passions et des mœurs des hommes et des dames. Une telle histoire ainsi écrite serait aussi agréable à lire et plus utile qu’un roman. » On trouve en effet dans les vers italiens de Pétrarque et dans ses œuvres latines, des détails nombreux souvent vagues, mais toujours sincères, qui suffisent pour répandre la lumière sur cette passion célèbre. Laure était une des plus belles femmes de son temps. S’il ne reste d’elle aucun portrait bien authentique, son portrait brillant et durable subsiste dans les poésies de son adorateur. Un écrivain que nous aimons à citer parce qu’il reproduit avec savoir et talent l’opinion la plus accréditée, Ginguené, a recueilli dans les Œuvres de Pétrarque les traits épars de l’image de Laure.

« Ses yeux, dit-il, étaient à la fois brillants et tendres, ses sourcils noirs et ses cheveux blonds, son teint blanc et animé, sa taille fine, souple et légère ; sa démarche, son air avaient quelque chose de céleste. Une grâce noble et facile régnait dans toute sa personne. Ses regards étaient plein de gaieté, d’honnêteté, de douceur. Rien de si expressif que sa physionomie, de si modeste que son maintien, de si angélique et de si touchant que le son de sa voix. Sa modestie ne l’empêchait pas de prendre soin de sa parure, de se mettre avec goût, et lorsqu’il le fallait, avec magnificence. Souvent l’éclat de sa belle chevelure était relevé d’or ou de perles ; plus souvent elle n’y mêlait que des fleurs. Dans les fêtes et dans le grand monde elle portait une robe verte parsemée d’étoiles d’or, ou une robe couleur de pourpre, bordée d’azur semé de roses, on enrichie d’or et de pierreries. Chez elle et avec ses compagnes, délivrée de ce luxe dont on faisait (usage) dans des cercles de cardinaux, de prélats et à la cour d’un pape, elle préférait dans ses habits une élégante simplicité. »

L’éloge des vertus de Laure revient aussi souvent dans les vers du poëte que l’éloge de sa beauté, mais on y chercherait vainement des détails précis sur sa vie. Les premiers biographes de Pétrarque n’essayèrent point de suppléer à son silence. L’auteur anonyme d’une Vita di F. Petrarca écrite vers le commencement de quinzième siècle et publiée dans l’édition du Canzoniere, Rome, 1471, s’exprima le premier d’une manière explicite sur cette liaison célèbre. Il nous apprend que la personne que Pétrarque rencontra dans l’église de Sainte-Claire était une très-belle jeune fille (bellissima giovane) nommée Lorette, laquelle habitait un petit château proche d’Avignon ; que le poëte en devint très-ardemment amoureux ; qu’il resta constant dans son amour vingt et un ans de suite, elle vivant ; que dans ses vers il l’appela du nom plus harmonieux de Laure (per miglior consonanza) ; que quand en la lui voulut donner en mariage à l’instance du pape Urbain V, qui l’aimait singulièrement et qui lui concédait de garder avec cette dame ses bénéfices ecclésiastiques, il n’y voulut jamais consentir, disant que le fruit qu’il retirait de son amour pour écrire se perdrait tout dès qu’il aurait obtenu la chose aimée[2]. Cette naïve histoire, malgré l’anachronisme qui la rend suspecte (celui du pape Urbain V, qui ne monta sur le trône pontifical qu’après la mort de Laure), montre que dans les premières années du quinzième siècle ou même, suivant l’opinion de Marsac, vers la fin du siècle précédent, lorsque vivaient encore beaucoup de personnes qui avaient vu Pétrarque, on pensait que Laure n’était pas mariée. Cependant l’opinion contraire trouva des partisans. Un Italien, Alexandre Vellutello, entreprit pour résoudre cette question un voyage en France : il fit à Avignon et à Vaucluse de nombreuses recherches, auxquelles ne présidèrent malheureusement ni une saine critique ni une parfaite bonne foi. Ses renseignements sont à bon droit frappés de discrédit ; mais sa conclusion n’est pas à dédaigner. La voici telle qu’on la lit dans ses commentaires sur le Canzoniere publié en 1525 : « Per cosa certa noi habbiamo da tenere che Laura non fosse mai maritata. » « Par des motifs certains nous maintenons que Laure ne fut jamais mariée. » Une fouille pratiquée en 1533 dans le tombeau vrai on supposé de Laure à Avignon n’amena aucune découverte importante, mais elle donna lieu à quelques vers du roi François Ier[3]qui, passant par cette ville, en septembre de la même année, voulut voir le tombeau de Laure. L’absence de documents positifs laissait la place libre aux hypothèses ; nous négligeons la plupart de celles qui furent émises à ce sujet, et nous arrivons à la plus spécieuse. L’abbé de Sade, dans ces volumineux Mémoires sur la vie de Pétrarque (1764-1767), établit par des pièces authentiques l’existence de Laurette de Noves, fille d’Audibert de Noves, mariée en 1325, à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, à Hugues de Sade. Laurette, mère de onze enfants, sept garçon et quatre filles, fit son testament le 3 avril 1348, et mourut peu après, puisque Hugues de Sade se remaria le 19 novembre 1348. Ces faits sont certains, mais il est beaucoup moins certain que Laurette de Noves fut la Laure de Pétrarque. Les arguments de l’abbé de Sade sont loin d’être convaincants. D’abord pour démontrer ce qui est le point essentiel, que Laure était mariée, il note que le poëte la qualifie de donna, madonna, mulier, femina, et jamais de vergine, virgo, puella, ce qui n’est pas rigoureusement vrai, puisque dans la huitième églogue il parle de la beauté de la jeune fille (forma puellae) qui le séduit, et ce qui ne prouve rien, puisque dans la poésie italienne les termes de donna et madonna s’appliquent à des jeunes filles, à la Beatrice de Dante, à la Selvaggia de Cino da Pistoja. De Sade prétend ensuite que Laure était mariée parce que dans le Triomphe de la chasteté, composé après sa mort, Pétrarque ne lui donne pour cortége que des femmes mariées, Lucrèce, Pénélope, Didon, etc. Cet argument ne prouve que la distraction de l’érudit, qui oublie que dans le Triomphe de la chasteté figurent le sacre benedette vergini, les neuf Muses, Virginie, une vestale, Hippolyte, Joseph, etc. L’argument suivant ne vaut pas mieux. On lit dans le traité de Pétrarque, De contemptu mundi, « que Laure approche chaque jour plus près de la mort, et que son beau corps, épuisé par les maladies et par de fréquentes secousses morales, a perdu beaucoup de son ancienne vigueur. » (Omnis dies ad mortem propriuss accedit, et corpus illud egregium rnorbis ac crebris perturbationibus exhaustum multum pristini vigors amisit). Pétrarque ajoute : « Et moi aussi je suis plus appesanti par les soucis et plus avancé en âge » (et ego quoque et curis gravior et aetate provectior factus suum) ; curis correspond ici à perturbationibus, qui dans le latin cicéronien est la traduction du grec πάθος. Cependant l’abbé de Sade, au lieu de perturbationibus propose de lire partibus (accouchements), sur la foi de quelques manuscrits qui offrent, dit-il, l’abréviation ptubus. Le fait est exact en ce qui concerne les deux manuscrits (du quinzième siècle), qui sont à la Bibliothèque impériale, mais il reste à décider si une variante qui n’est peut-être qu’une erreur de copiste doit l’emporter sur le sens clairement indiqué par le contexte. Nous ne prolongerons pas la discussion de ces minuties. Nous ne voyons dans la thèse de l’abbé de Sade qu’un point réellement fort, c’est la coïncidence entre la date connue de la mort de Laure (6 avril) et le testament de Laurette de Sade (3 avril) ; mais cette coïncidence s’expliquerait par les ravages de la peste qui fit à Avignon d’innombrables victimes, et put bien emporter en quelques jours ou le même jour deux dames du nom de Laure. Les autres arguments sont faibles ; l’auteur lui-même n’est pas bien assuré d’avoir raison. « Ce ne sont là, dit-il, après tout que de très-fortes conjectures qui, réunies ensemble, entraînent l’esprit, mais n’excluent pas tout doute. » Le doute subsiste en effet, et la lecture des œuvres de Pétrarque tend à le confirmer, ou du moins elle ne favorise pas l’hypothèse de l’écrivain du dix-huitième siècle. Pour nous, s’il fallait prendre un parti, nous admettrions plus volontiers la conclusion de Vellutello.

Laure, touchée du sentiment qu’elle inspirait, sut retenir le poète dans son amour sans lui permettre d’espérance coupable. Pétrarque passa dans la ville d’Avignon les trois années suivantes, occupé de sa passion, ne négligeant pas ses chères études classiques et cultivant l’amitié de Jacques Colonna, membre d’une des plus grandes familles romaines, que le jeune poète avait eu pour camarade d’études à Bologne et qu’il retrouvait à la cour pontificale. Jacques Colonna, devenu évêque de Lombès, emmena en 1330 Pétrarque dans son diocèse, au pied des Pyrénées. Là ils employèrent tout un été en discussions littéraires et en courses sur les montagnes avec deux autres amis, Louis, né sur les bords du Rhin, et Lello, gentilhomme romain, que le poète a célébrés sous le nom de Socrate et de Lœlius. De retour à Avignon, Jacques Colonna présenta Pétrarque à son frère le cardinal Jean Colonna, qui le logea dans son palais. Peu après arriva dans la même ville le père de Jean et de Jacques, Étienne Colonna, vieux et brave gentilhomme bien connu par ses démêlés avec Boniface VIII. Le rude guerrier aimait les lettres ; il accueillit avec faveur le jeune homme, qui au talent de la poésie joignait une telle ardeur pour l’étude des auteurs anciens. L’amitié des Colonna ne dédommageait pas Pétrarque des rigueurs de Laure. Sa passion avait pris une ardeur que l’on n’aurait pas attendue de sa nature studieuse et délicate, et que sa poésie ne révèle pas tout entière. Pour s’en distraire il entreprit un assez long voyage, visita Paris, la Flandre, Cologne, traversa la forêt des Ardennes, s’arrêta quelques jours à Lyon, et revint à Avignon, où il ne trouva plus l’évêque de Lombes, alors parti pour Rome, mais où il retrouva Laure, aussi sévère que jamais. Son chagrin amoureux le décida à se retirer dans la belle vallée de Vaucluse, à quelques lieues d’Avignon. Il y passait la plus grande partie de son temps, à la fois malheureux et charmé de sa passion, la chantant dans des vers immortels, et trouvant aussi des accents plus fiers pour appeler les princes chrétiens à une croisade[4] ou pour demander le rétablissement du saint-siége à Rome. Ni l’amour ni la poésie ne lui faisaient oublier l’étude, et l’étude ne l’absorbait pas au point de l’empêcher de songer à son avenir, assez précaire malgré l’amité des Colonna. Le pape Benoît XII lui donna en 1335 un canonicat de Lombès et l’expectative d’une prébende. Vers le même temps Azzo da Correggio, seigneur de Parme, étant venu à Avignon pour défendre devant le pape Benoît XII son titre à cette souveraineté, contre les réclamations de Marsiglio Rossi, se lia avec Pétrarque et le choisit pour son avocat à la cour pontificale. Le poète accepta la cause et la gagna. Ce fut pour lui une occasion de connaître Guillaume Pastrengo, savant homme que Azzo avait amené d’Italie. Il se lia aussi, mais un peu plus tard, avec le Calabrais Barlaam, envoyé auprès du pape par l’empereur Andronic le jeune en 1339, et apprit de ce moine les premiers éléments du grec. Un voyage à Rome, où l’appelaient l’amitié des Colonna et le désir de visiter les monuments de cette ville célèbre, ne l’éloigna d’Avignon que pour quelques mois, et vers la fin de 1337 il était de retour dans sa chère Vaucluse, tout entier à l’étude, à ses travaux littéraires et à son amour. Le temps passait sur sa passion et l’épurait sans l’affaiblir. Laure ne la partageait pas, mais elle était fière de l’inspirer, et l’entretenait avec un art délicat que l’on appellerait de la coquetterie s’il n’avait été parfaitement honnête. On suit dans les poésies de Pétrarque l’apaisement progressif de ce sentiment, si impétueux dans les dix premières années, et qui se changea peu à peu en une calme adoration.

Dans sa retraite de Vaucluse, visitée seulement de quelques intimes, parmi lesquels on compte l’évêque de Cavaillon, Philippe de Cabassole, Pétrarque entreprit en latin une Histoire romaine et un poème sur Scipion l’Africain et la seconde guerre punique. Ce dernier ouvrage, dont il ébaucha rapidement plusieurs chants, fit concevoir aux amis des lettres les plus grandes espérances, et contribua plus que ses traités latins, et beaucoup plus que ses poésies vulgaires, à répandre son nom. Les amis de Pétrarque profitèrent de cette vogue pour satisfaire le désir qu’il avait exprimé d’obtenir la couronne de laurier qui, suivant une tradition populaire, avait été décernée à Horace et à Virgile. Les Colonna à Rome, Robert, roi de Naples, le Florentin Robert de Hardi, chancelier de l’université de Paris, y songèrent en même temps. Pétrarque raconte qu’il reçut à Vaucluse (le 1er septembre 1340) la lettre par laquelle le sénat romain lui offrait le laurier poétique, et que six ou sept heures après il reçut une lettre pareille du chancelier de l’université de Paris qui lui proposait la même couronne. Il opta pour Rome, mais au lieu de s’y rendre directement, il alla à Naples (février 1341) comme pour y faire vérifier ses titres littéraires par le roi Robert, le prince le plus éclairé de l’Europe. Après quelques conférences intimes, où le monarque et le poète se montrèrent enchantés l’un de l’autre, eut lieu l’examen solennel qui ne dura pas moins de trois jours et dont Pétrarque sortit vainqueur. Le roi le nomma son chapelain, et se dépouillant de la robe qu’il portait il la lui donna en disant qu’il voulait qu’il en fut revêtu le jour de son triomphe. Ce célèbre couronnement eut lieu à Rome, au Capitole, le jour de Pâques, 8 avril 1341. « Revêtu de la robe que le roi de Naples lui avait donnée, Pétrarque marchait au milieu de six principaux citoyens de Rome, habillés de vert et précèdes par douze jeunes gens de quinze ans vêtus d’écarlate, choisis dans les meilleures maisons de la ville. Le sénateur Osso, comte de L’Anguillara, ami de Pétrarque, venait ensuite, accompagné des principaux du conseil de ville et suivi d’une foule innombrable, attirée par le spectacle d’une fête interrompue depuis tant de siècles[5]. » On peut lire dans un annaliste contemporain, dans Lodovico Monaldesco[6], tous les détails du couronnement de misser Petrarca, nobile poeta e saputo. Si on était tenté aujourd’hui de sourire de cette pompeuse cérémonie, il faudrait songer au prix de quels efforts Pétrarque et ses émules ranimèrent le culte et la connaissance des lettres anciennes ; on trouverait alors naturel l’enthousiasme qu’ils excitèrent, et on comprendrait que cet enthousiasme était nécessaire pour les soutenir dans leur noble entreprise. Pétrarque fut le grand promoteur de la renaissance. C’est l’antiquité ressuscitée que le sénat et le peuple romain couronnaient sur sa tête.

Pétrarque reprit presque aussitôt le chemin d’Avignon ; mais en passant à Parme il fut retenu par son ami le prince Azzo da Correggio. Là, dans une demi-retraite, il termina son Afrique et acheva une année qui aurait été très-heureuse si elle n’avait été marquée par la perte de plusieurs de ses plus chers amis, entre autres de l’évêque de Lombès. Il venait d’être nommé archidiacre de l’église de Parme, lorsque les Romains, en 1342, le chargèrent, avec dix-huit de leurs principaux citoyens, d’aller exprimer au nouveau pape, Clément VI, le vœu qu’il revint s’établir dans leur ville. Il porta la parole en cette


occasion. Le pape admira la harangue, et donna à l’orateur le prieuré de Migliarino dans l’évêché de Pise, mais il ne quitta pas Avignon. Pétrarque, dégoûté par les vices de la cour pontificale, mais consolé par le plaisir de revoir Laure et ses anciens amis Lœlius et Socrate, rentra dans son asile de Vaucluse. Il en fut tiré par le pape, qui le chargea, en septembre 1343, d’une mission à Naples, où régnait, sous un conseil de régence, Jeanne, fille de Robert. Assez mal accueilli dans cette ville, ne trouvant pas de sécurité à Parme, alors désolée par la guerre (1344), il revit Avignon, mais pour peu de temps. Son patron le cardinal Colonna n’avait rien fait pour lui ; Azzo da Correggio le rappelait en Italie. Pétrarque résolut de quitter Avignon pour toujours. Il partit en effet en 1345 ; mais à peine était-il arrivé à Vérone que, sur des lettres pressantes de ses amis, il reprit le chemin de la ville pontificale. Le meilleur accueil l’y attendait. Le pape Clément VI lui offrit la place de secrétaire apostolique que le poète refusa, préférant la liberté aux dignités. Il reprit sa vie studieuse mêlée de chants d’amour. Un des plus singuliers épisodes de l’histoire de Rome au moyen âge l’arracha à sa retraite. Un de ses collègues dans l’ambassade envoyée à Clément VI, Nicolas Rienzi, avait formé le projet de détruire la puissance des nobles à Rome, de rétablir la liberté et de reconstituer l’Italie sous la suprématie romaine. Pétrarque, qui depuis son couronnement était citoyen romain, approuva chaleureusement cette entreprise[7], quoiqu’elle portât un coup mortel à l’influence de ses amis les Colonna, et, après l’avoir soutenue de toutes ses forces à la cour du pape, il résolut d’aller porter au tribun l’appui de ses conseils et de sa réputation. Il quitta donc encore une fois Avignon (1347) et fit à Laure des adieux qui devaient être les derniers. En arrivant en Italie, il apprit que Rienzi se livrait à des violences qui présageaient sa chute, et que presque tous les Colonna avaient été massacrés en essayant de le renverser (novembre 1347). Ce triste événement, dont le poète, ébloui par ses réminiscences classiques, ne s’affligea peut-être pas assez[8], ne précéda que d’un mois l’exil de Rienzi. Désolé de la ruine de ses patriotiques espérances, Pétrarque s’établit à Parme, puis à Vérone. Ce fut à Parme qu’il apprit la perte qu’il a consignée dans une note latine en tête de son manuscrit de Virgile. Ces lignes touchantes se lisent encore sur le précieux manuscrit déposé à la bibliothèque Ambroisienne de Milan ; en voici la traduction :

« Laure, illustre par ses propres vertus, et longtemps célébrée par mes vers, parut pour la première fois à mes yeux, dans le premier temps de mon adolescence, l’an du Seigneur 1327, le 6 du mois d’avril, dans l’église de Sainte-Claire à Avignon, à l’heure matinale ; et dans la même ville, au même mois d’avril, le même jour 6, et à la même première heure, l’an 1346, cette lumière fut ravie à la lumière du jour, lorsque j’étais à Vérone, hélas ! ignorant mon malheur. La triste nouvelle, apportée par une lettre de mon ami Louis, me trouva à Parme la même année, le 19 mai au matin. Ce corps très-chaste et très-beau fut déposé dans l’église des frères Mineurs le jour même de sa mort, vers le soir. Je suis persuadé que son âme, comme Sénèque le dit de Scipion l’Africain, est retournée au ciel d’où elle était venue. Pour conserver la mémoire douloureuse de cette perte, je trouve une certaine douceur mêlée d’amertume à écrire ceci, de préférence sur ce livre, qui revient souvent sous mes yeux, afin que, rien ne devant plus me plaire dans cette vie, et mon lien le plus fort étant brisé, je sois averti par la vue fréquente de ces paroles, et par la juste appréciation d’une vie si fugitive, qu’il est temps de sortir de Babylone ; ce qui, avec le secours de la grâce divine, me sera facile en songeant fortement et virilement aux soins superflus, aux vaines espérances, aux événements inattendus de mon temps passé[9].


Laure n’avait guère que quarante ans lorsqu’elle succomba, après trois jours de maladie, à la peste qui ravageait alors l’Europe. Sa mort fut calme. Pétrarque en a fait une admirable peinture dans son Triomphe de la mort : « Près d’elle, dit-il, étaient toutes ses amies, toutes ses voisines ; alors de cette blonde tête la Mort enleva un cheveu d’or ; ainsi elle ravit la plus belle fleur du monde… Non comme une flamme qui est éteinte par force, mais qui se consume d’elle-même, l’âme contente s’en alla en paix ; telle qu’une suave et claire lumière à qui l’aliment manque peu à peu, gardant jusqu’à la fin sa manière habituelle. Pâle non pas, mais plus blanche que la neige qui par un temps calme tombe sur une belle colline, elle semblait se reposer comme une personne fatiguée. On eût dit qu’un doux sommeil fermait ses beaux yeux, lorsque déjà l’esprit s’était séparé de son corps ; c’était là ce que les insensés appellent mourir. La mort paraissait belle sur son beau visage. » Toutes les poésies que Pétrarque composa après cette triste date sont pleines des témoignages de sa douleur et de sa passion. Sa vie, qui se prolongea encore vingt-six ans, et qui fut assez agitée, plus par les inquiétudes de son caractère, porté à la tristesse, que par les événements extérieurs, resta constamment sous l’influence de cette noble et chère mémoire. Il s’imaginait qu’il était en fréquente communication avec l’esprit de Laure ; il la décrit comme lui apparaissant au milieu de la nuit, le consolant et lui montrant au ciel la place de leur prochaine réunion. Il faut citer ici, pour couronner le récit de ce long amour, si sincère et si idéal, un admirable sonnet, le plus beau peut-être des sonnets du poëte.

« Je m’élevai par la pensée jusqu’aux lieux où est celle que je cherche et que je ne retrouve pas sur la terre. Là parmi les âmes que le troisième cercle enserre, je la revis plus belle et moins altière. Elle me prit par la main et me dit : « Dans cette sphère tu seras encore avec moi, si mon désir ne me trompe pas : Je suis celle qui te fis tant la guerre, et qui achevai ma journée avant le soir. Une intelligence humaine ne peut comprendre ma félicité. Je n’attends que toi seul, et cette belle enveloppe de mon âme que tu as tant aimée et qui est restée sur terre. » Ah ! pourquoi cessa-t-elle de parler, et ouvrit-elle la main qui tenait la mienne ? Au son de ces paroles si tendres et si chastes, peu s’en fallut que je ne restasse au ciel. »

Les crimes et la chute de Rienzi, la catastrophe des Colonna à Borne, bientôt suivie de la mort du cardinal Jean à Avignon, la perte de Laure, l’éloignement ou la mort de plusieurs amis, marquèrent pour Pétrarque cette triste période de 1347-1348. Deux ans après il se rendit à Rome au jubilé, et en passant par Florence il vit Boccace, qu’il avait connu à Naples et avec lequel il contracta une plus étroite amitié. Cette année 1350 et la suivante nous le montrent à Arezzo, à Padoue, à Venise, partout fêté, consulté sur les plus grandes affaires et intervenant peur les apaiser dans les querelles des États italiens. C’était un spectacle nouveau et de bon augure pour la grandeur future des lettres, que l’influence de cet écrivain, qui comptait panai ses flatteurs et ses clients des princes et des républiques. Le 6 avril 1351, anniversaire doublement sacré, il reçut un message du sénat de Florence qui lui annonçait qu’il était rétabli dans ses biens et ses droits de citoyen. Boccace, qui lui porta le message, lui transmit en même temps l’offre d’être directeur de l’université que l’on venait de fonder à Florence. Pétrarque fut touché de la proposition, mais il ne l’accepta pas et il repartit bientôt pour Vaucluse. Partagé entre sa chère retraite et les tracas de la cour pontificale, entre le souvenir de Laure et son zèle pour la cause italienne, donnant an pape Clément VI de généreux conseils sur le rétablissement de l’ordre et de la liberté à Rome, protégeant Rienzi prisonnier, Pétrarque vit sa réputation s’étendre et s’ouvrir devant lui la perspective des hautes dignités ecclésiastiques et politiques. Mais il préférait l’indépendance aux grandeurs, et, loin de s’attacher à la cour pontificale, il quitta pour toujours Avignon au mois de mai 1353. Les princes et les seigneuries de l’Italie se le disputaient. Jean Visconti, prince-archevêque de Milan, l’emporta par son insistance presque tyrannique. En 1354, Visconti envoya Pétrarque à Venise pour négocier la paix entre cette république et celle de Gènes ; il fut reçu avec beaucoup de distinction, mais il ne réussit pas dans sa mission. Jean Visconti mourut peu après, et ses trois neveux se partagèrent ses domaines. Pétrarque s’attacha à Galéas, le plus jeune et le plus capable des trois.

En novembre 1354 l’empereur Charles IV arriva d’Allemagne à Mantoue, et appela près de lui Pétrarque, avec qui il était en correspondance. Depuis la chute méritée de Rienzi, Pétrarque avait reporté sur Charles IV ses espérances pour la pacification de l’Italie ; il lui avait adressé à ce sujet, en 1350, une lettre éloquente qui resta trois ans sans réponse et qui devait rester sans résultat. Cependant, à l’approche de ce médiateur, qu’il appelait de tous ses vœux, il sentit rebattre son espoir patriotique. Il se rendit à Mantoue, passa plusieurs jours auprès de l’empereur et raccompagna à Milan. Il aurait voulu qu’il se fixât en Italie ; mais Charles IV, après s’être fait couronner à Milan et à Rome et avoir rétabli la paix entre Venise et Gênes, retourna en Allemagne. En 1336 les Visconti, soupçonnant l’em-


pereur d’intentions hostiles à leur égard, lui envoyèrent Pétrarque. Celui ci rencontra Charles à Prague, s’assura que les craintes des Visconti n’étaient pas fondées, et revint à Milan avec le titre de comte palatin. Dans les années suivantes, il vécut à Garignano près de l’Adda, dans une jolie maison de campagne qu’il appela Linternum en mémoire de Scipion l’Africain Objet de l’admiration générale, il aurait été heureux, si un fils naturel nommé Jean, qu’il avait eu d’une femme d’Avignon, ne lui eut donné du chagrin. La mauvaise conduite de son fils, peut-être aussi sa propre inquiétude, le décidèrent à quitter Linternum et à s’établir dans le monastère de Saint-Simplicien près de Milan. Galéas Visconti l’en tira, en 1360, pour l’envoyer à Paris complimenter le roi Jean sur sa délivrance. Il a décrit dans ses Épîtres familières le misérable état de la France dévastée par la guerre. Le roi et le dauphin lui firent le meilleur accueil et s’efforcèrent de le retenir ; vers le même temps, l’empereur l’appelait en Allemagne. A toutes ces instances accompagnées de magnifiques promesses, il opposa son amour de la patrie, et cette passion de l’indépendance qu’il nommait « sa paresse ». Il revint dans son Italie, qui n’était pas exempte des fléaux qui dévastaient le monde. La peste et la guerre le forcèrent de quitter le Milanais pour Padoue, et Padoue pour Venise en 1362. Peu après son arrivée il offrit sa bibliothèque à l’église de Saint-Marc. La république accepta le don, et assigna un palais pour le logement de Pétrarque et de ses livres. Ce fut le commencement de la célèbre bibliothèque de Saint-Marc, qu’augmentèrent ensuite les dons du cardinal Bessarion et d’autres. Pétrarque passa plusieurs années à Venise, honoré par le doge et les principaux sénateurs, et faisant de temps en temps des excursions à Padoue, Milan et Pavie pour visiter ses amis les Carrara et Galéas Visconti. En 1368 il assista au mariage de Violante, fille de Galéas, avec le prince Lionel d’Angleterre. De retour à Padoue, il reçut une pressante invitation du pape Urbain V, qui avait fixé sa résidence à Rome et qui désirait ardemment le voir. Pétrarque avait une grande estime pour le caractère d’Urbain, et malgré son âge et ses infirmités il résolut de répondre à rappel du pontife (1370). Ses forces le trahirent ; il s’évanouit en arrivant à Ferrare, et resta comme mort pendant trente heures. Nicolas d’Este, seigneur de Ferrare et son frère Hugo, l’entourèrent de soins qui le ramenèrent à la vie ; mais les médecins déclarèrent qu’il était incapable de continuer son voyage, et on le reconduisit à Padoue en bateau. Il s’établit dans l’été de 1370 à Arqua, agréable village situé dans les monts Euganéens. Il fit bâtir au haut de ce village une petite maison. C’est la seule des nombreuses demeures qu’il avait à Parme, Padoue, Venise, Milan, Vaucluse, qui existe encore et que l’on montre aux voyageurs. Là, entouré de Tullia, sa fille naturelle, de son gendre, d’un ecclésiastique, il reprit avec une nouvelle ardeur ses études et ses travaux littéraires, occupant quelquefois jusqu’à cinq secrétaires. Entre autres ouvrages, il composa son traité De sa propre ignorance et de celle de beaucoup d’autres (De sui ipsius et multorum aliorum ignorantia), destiné à combattre certains jeunes libres penseurs vénitiens qui, fiers de la science qu’ils avaient acquise dans les commentaires d’Averroès sur Aristote, récemment traduits en latin, se moquaient du récit de la création par Moïse et des Écritures en général. Quatre de ces jeunes gens avaient recherché la société de Pétrarque pendant son séjour à Venise. Les trouvant instruits, spirituels, amoureux de l’étude, il se plut d’abord beaucoup dans leur société ; mais cette sympathie ne dura pas longtemps. Il n’avait pas une aveugle vénération pour Aristote, et encore moins pour Averroès. Il croyait aux saintes Écritures, et avait peu de goût pour l’histoire naturelle, qui attirait particulièrement ses visiteurs. Il avait l’habitude de dire qu’il est plus important d’approfondir la nature de l’homme que celle des quadrupèdes, des oiseaux et des poissons. Les quatre admirateurs d’Aristote furent scandalisés de la liberté avec laquelle il traitait leur oracle, et dans une sorte de tribunal littéraire, tenu pour prononcer sur les mérites de Pétrarque, ils décidèrent que c’était un homme de talent qui manquait de savoir, Bonus vir sine literis. Ce jugement fit beaucoup de bruit à Venise ; Pétrarque se contenta d’abord d’en rire, puis, sur les instances de ses amis, il consentit à se défendre dans le traité que nous avons cité ; il y convient de son ignorance et démontre celle de ses adversaires. D’Aristote lui-même il dit : que c’était un grand et puissant esprit qui savait beaucoup de choses et en ignorait encore plus. L’air pur des collines Euganéennes ne rendit pas la santé à Pétrarque. En vain son médecin, Jean Dondi, l’avertissait que son régime était trop austère, qu’il ne devait pas boire de l’eau, ni manger des fruits et des légumes crus, ni jeûner aussi souvent qu’il le faisait. Le malade ne croyait pas à la médecine ; il a même écrit quatre livres d’invectives contre les médecins. Il estimait Dondi comme philosophe et non comme médecin. La nouvelle du retour d’Urbain V à Avignon bientôt suivi de la mort du pontife lui causa un vif chagrin. Grégoire XI, successeur d’Urbain, connaissait Pétrarque, il lui écrivit une lettre aimable et pressante pour l’attirer à sa cour en 1371 ; mais Pétrarque était incapable d’entreprendre un aussi long voyage. Il répondit à Francesco Bruni, secrétaire apostolique, « qu’il n’avait rien à demander au pape, à moins que sa sainteté ne voulût lui accorder un bénéfice sans charge d’âmes, car il avait bien assez de prendre soin de la sienne ; ce bénéfice assurerait l’aisance de sa vieillesse, et il en serait reconnaissant, quoiqu’il sentit qu’il n’était pas pour longtemps au


monde, car il dépérissait et se réduisait à l’état d’ombre. Il n’était pas dans le besoin ; il avait deux chevaux et généralement cinq ou six secrétaires, quoique pour le moment il n’en eût que trois, parce qu’il n’avait pas pu en trouver davantage. Il serait plus facile de se procurer des peintres que des copistes. Quoiqu’il eût préféré prendre ses repas seul ou avec le prêtre du village, il était généralement assiégé par une armée de visiteurs ou d’hôtes qui s’invitaient eux-mêmes, et il ne pouvait pas les traiter comme un avare. Il désirait bâtir un oratoire à la vierge Marie ; mais pour exécuter ce projet il devait vendre ses livres ou les mettre engage. »

Quelques mois après (janvier 1372) écrivant de Padoue à son vieil ami Matthieu, archidiacre de Liège, il lui disait : « J’ai été malade dans ces deux années, et plusieurs fois dans un état désespéré, mais je vis encore. J’ai été quelque temps à Venise, et maintenant je suis à Padoue, remplissant mes fonctions de chanoine. Je suis heureux d’avoir quitté Venise à cause de la guerre entre la république et le seigneur de Padoue. A Venise j’aurais été un objet de soupçon, tandis qu’ici je suis chéri. Je passe la plus grande partie de mon temps à la campagne ; je lis, je pense, j’écris ; telle est mon existence, telle qu’elle était dans ma jeunesse. » En septembre 1373, la paix fut conclue entre Venise et François de Carrare, seigneur de Padoue. D’après une des conditions du traité, François dut envoyer son fils à Venise demander pardon et jurer fidélité à la république. Il pria Pétrarque d’accompagner le jeune prince. Le poète parut devant le sénat, et y prononça un discours qui fut très-applaudi. L’année suivante sa santé devint plus mauvaise ; une fièvre lente le consumait. Suivant son habitude, il se rendit à sa villa d’Arqui pour y passer l’été. Le matin du 18 juillet, un de ses serviteurs entra dans sa bibliothèque, et l’aperçut assis sans mouvement, la tête penchée sur un livre. Comme on le voyait souvent dans cette attitude, on ne s’en effraya pas d’abord ; mais on s’assura bientôt qu’il n’était plus. A la nouvelle de sa mort, François de Carrare, accompagné de toute la noblesse de Padoue, l’évêque et son chapitre, avec la plus grande partie du clergé, allèrent à Arqua et assistèrent à ses funérailles. Seize docteurs de l’université portèrent ses restes à l’église paroissiale d’Arqua, où il fut enseveli dans une chapelle qu’il avait construite en l’honneur de la Vierge. François da Brossano, son gendre, lui éleva un monument en marbre.

Pétrarque eut deux enfants naturels pendant son séjour à Avignon : un fils et une fille. Le fils mourut avant son père ; la fille épousa François da Brossano, gentilhomme milanais, qui fut le principal héritier de Pétrarque. Parmi les autres légataires du poète, on remarque Boccace, qui ne lui survécut pas longtemps. Les portraits de Pétrarque sont nombreux, mais ils offrent des différences sensibles. On regarde comme le plus authentique celui qui se trouve à Padoue dans le palais épiscopal, au-dessus de la porte de la bibliothèque ; c’est une peinture à la fresque détachée de la maison de Pétrarque à Padoue en 1581. Ce portrait a été gravé en tête de l’édition des Rime de Pétrarque par Marsand. Pétrarque avait reçu de la nature une taille élégante, de beaux yeux, des traits nobles et réguliers. Dans sa jeunesse, il tirait vanité de ces avantages et cherchait à les rehausser par l’élégance de la parure : c’est une faiblesse qu’il déplora amèrement dans son âge mûr, mais sur laquelle il revient si souvent que l’on suppose qu’il ne s’en corrigea jamais entièrement.

Petrarque eut une existence des plus brillantes et des mieux remplies. La postérité s’est trop habituée à ne voir en lui que le poète amoureux. L’harmonieuse beauté « des vers épars où l’on entend le son de ces soupirs dont il nourrissait son cœur dans sa première erreur juvénile, quand il était en partie un homme autre que ce qu’il devint », ne doit pas nous faire oublier qu’il fut aussi un homme politique, mêlé aux plus importantes affaires de son temps, aimant passionnément la grandeur de l’Italie et s’efforçant, d’associer la papauté à cette grandeur ; elle ne doit pas surtout nous faire oublier qu’il fut le glorieux précurseur de la renaissance, le premier véritable restaurateur des belles-lettres en Europe. Son bon goût naturel lui apprit à chérir les beautés de Virgile et de Cicéron, et son enthousiasme pour les nobles productions classiques, se communiquant à ses contemporains, donna lieu à ce mouvement intellectuel qui eut de si merveilleux résultats dans les siècles suivants. Quelques critiques, Heeren entre autres, ont pensé que sans l’initiative et l’influence de Pétrarque, la plupart des manuscrits des auteurs latins auraient péri, abandonnés à la poussière et aux vers dans les monastères. Sans admettre absolument cette supposition, nous croyons qu’on ne saurait estimer trop haut le service que Pétrarque rendit aux lettres par lui-même ou par ses amis et disciples Boccace et Jean de Ravenne. Grand voyageur pour son temps, il visita toutes les contrées de l’Italie, la France, l’Allemagne et alla jusqu’en Espagne. Partout où il passait, il recueillait ou copiait des manuscrits, achetait des médailles, et d’autres restes de l’antiquité. A Arezzo, il découvrit les Institutions oratoires de Quintilien ; à Vérone, les Lettres familières de Cicéron ; dans une autre ville, les Lettres à Atticus ; à Liége il trouva deux discours de Cicéron. Il parle aussi du traité de Cicéron, de Gloria, du traité de Varron, de Rebus divinis et humanis et d’un recueil de lettres et d’épigrammes d’Auguste, qu’il avait vus ou possédés, mais qui ne sont pas venus jusqu’à nous. La bibliothèque Laurentiane à Florence contient les Lettres familières et les Lettres à Atticus copiées de sa main. S’il ne reculait devant aucune fatigue pour se procurer des livres, il n’en était


pas moins disposé à les prêter aux autres, et c’est ainsi qu’il en perdit plusieurs. Nous avons dit comment une libéralité de sa part fut l’origine de la bibliothèque Saint-Marc à Venise. Il s’attacha aussi à l’histoire diplomatique des plus sombres périodes du moyen âge, et rechercha les moyens de distinguer les diplômes et les chartes authentiques de beaucoup d’autres pièces apocryphes. Enfin il ne négligea pas les auteurs grecs, quoiqu’il ne connût que les éléments de cette langue, et que dans sa vieillesse il s’y fût appliqué avec plus d’ardeur que de succès (1)[10]. Dans sa correspondance étendue avec les personnes les plus distinguées de son temps, il insiste sans cesse sur les avantages de l’étude, de la recherche de la vérité ; il proclame à chaque instant l’immense supériorité des plaisirs intellectuels sur les plaisirs du corps. On lui a reproché d’avoir poussé trop loin son enthousiasme pour les anciens. Il est certain que son admiration, n’étant pas tempérée et éclairée par la critique, qui ne naquit que beaucoup plus tard, le jeta dans des erreurs qui ne furent pas uniquement littéraires. Sa ferveur classique, plus sincère que judicieuse, le conduisit à soutenir Rienzi et à attacher trop d’importance à la tentative du tribun romain. Son noble patriotisme ne fut pas exempt de dangereuses illusions. A force de ramener l’Italie vers le passé, en l’invitant à redevenir ce qu’elle ne pouvait plus être, la reine du monde, il la détournait du but plus modeste et plus sûr qu’elle pouvait atteindre. Sans nier cette erreur d’un beau génie, il suffit de constater qu’elle prenait sa source dans un sentiment généreux, et que cet enthousiasme exagéré était indispensable pour arriver à la renaissance.

Les œuvres latines de Pétrarque étaient aux yeux de ses contemporains et aux siens propres son principal titre de gloire ; cependant elles sont oubliées aujourd’hui. Ce discrédit n’est pas mérité ; il serait peu équitable de les juger par nos connaissances actuelles ; si on se reporte à l’époque où elles furent composées, on trouve qu’elles ne sont pas indignes de l’admiration qu’elles excitèrent ; elles comprennent un poème épique intitulé Africa, trois livres d’Epîtres, des Églogues, des traités de morale et une volumineuse correspondance. L’Africa est un poëme en neuf livres sur les exploits de Scipion l’Africain ; l’auteur, qui l’avait commencé avec enthousiasme, le poursuivit avec fatigue et le termina avec découragement ; il n’y mit jamais la dernière nain et songea plus d’une fois à le brûler. Ses amis, moins sévères que lui, le publièrent après sa mort, et quoiqu’on en pense aujourd’hui, ils rendirent service à sa mémoire. Bien que l’Africa soit une œuvre froide et sans invention et plutôt une histoire versifiée qu’un poëme, on y trouve de beaux passages, et il n’est pas indifférent à la gloire de Pétrarque d’être l’auteur du meilleur poëme latin composé entre la chute de l’empire d’Occident et la renaissance. Ses Épîtres à la manière d’Horace ne sont pas toujours indignes de leur modèle ; elles en rappellent la philosophie aimable et en ont parfois l’aisance spirituelle. Les Églogues sont des satires déguisées sous la forme pastorale. Ginguené et d’autres critiques ont cherché avec plus ou moins de succès la clef de ces allégories. Il est évident que la sixième et la septième églogues sont dirigées contre Clément VI ; la douzième, intitulée Conflictatio, et relative à la querelle de l’Angleterre avec la France, contient une violente invective contre la courtisane Faustula, qui est la cour d’Avignon. Dans beaucoup d’autres endroits de ses écrits, particulièrement dans sa correspondance, Pétrarque attaque librement les désordres et les vices de la cour pontificale, qu’il appelle la nouvelle Babylone, la Babylone de l’Occident. On a conclu témérairement de ces invectives qu’il était un hérétique, un ennemi de la papauté. La vérité est qu’il blâmait les vices de la cour d’Avignon dans l’intérêt même de la papauté, et qu’en s’élevant contre des abus qui ne touchaient qu’à la discipline, il repoussait tout changement dans le dogme. Du reste les impositions dogmatiques n’étaient pas à la mode en Italie. Ou eût trouvé plus facilement dans ce pays des libres penseurs niant radicalement le christianisme que des hérétiques songeant à le modifier. Pétrarque n’était ni un libre penseur, ni un hérétique ; c’était un catholique convaincu, régulier et même zélé dans les pratiques religieuses, mais exempt de superstitions. Ses sentiments modérés et éclairés, qui se reconnaissent dans ses poésies, se montrent surtout dans sa curieuse correspondance, qui a tant de prix pour l’histoire politique et littéraire du quatorzième siècle ; ils se montrent aussi dans ses traités de morale, où, s’inspirant des philosophes païens et des pères de l’Église, de Cicéron et de saint Augustin, il développe des idées judicieuses dans une latinité quelquefois élégante, toujours animée, qui a la liberté et la chaleur d’une langue vivante. Le traité des Remèdes contre l’une et l’autre fortune est plein de sens et se lirait encore avec intérêt, s’il n’était gâté par la subtilité scolastique et par cette manie, générale an quatorzième siècle, d’introduire dans les distensions morales des personnages allégoriques. Le traité de la Vie solitaire, dédié à Philippe de Cabassole, quoique surchargé d’une érudition qui aujourd’hui nous paraît déplacée, vaut beaucoup mieux. Dans un sujet qu’il connaissait par une longue expérience, l’auteur a trouvé des remarques délicates et ingénieuses et des accents d’une éloquence persuasive. Ses Dialogues sur le mépris du monde (en 1343), dont l’idée lui fut inspirée par la lecture des Confessions de saint Augustin, son Épître à la postérité, contiennent sur lui-même des révélations qui sans avoir la familiarité piquante et la portée philosophique des confidences de Montaigne, ont beaucoup de prix pour la biographie de l’auteur et l’étude du cœur humain. Quelle que soit la valeur des Œuvres latines de Pétrarque, c’est à ses poésies italiennes qu’il doit la meilleure part de sa gloire. En racontant sa vie nous avons exposé les principaux incidents du sentiment qui s’empara de lui à l’âge de vingt-trois ans, et qui ne le quitta plus. Pour célébrer celle qu’il aimait il inventa une poésie nouvelle, qui n’avait point de modèle chez les anciens et qui ne trouvait chez les troubadours que des devanciers très-imparfaits. Il doit beaucoup à Dante, qu’il n’estimait pas assez, et dont il parle avec une froideur voisine de l’envie ; mais venant immédiatement après le grand créateur de la poésie italienne, il sut être créateur à son tour. Il dut beaucoup aussi aux poètes provençaux, mais il perfectionna infiniment les emprunts qu’il leur fit. Il donna à leur galanterie subtile une sincérité et une beauté d’expression qui la transformèrent. Il a sans doute quelques-uns de leurs défauts ; il abuse des ornements, il prodigue les métaphores, qui ne sont pas toujours justes, les antithèses souvent forcées, les hyperboles puériles, les jeux d’esprit et de mots ; il raffine quelquefois ses pensées jusqu’à les rendre insaisissables ou les complique jusqu’à les rendre inintelligibles ; mais ces défauts altèrent à peine l’effet de sa poésie, élaborée avec un soin infini, sans que le travail le plus minutieux refroidisse son inspiration. La vivacité et la parité des sentiments, la variété et l’éclat des images, l’art exquis de la composition, l’élégance et la fraîcheur du langage dont aucune tournure n’a vieilli, la mélodie de la versification donnent à ses sonnets et à ses canzones amoureuses un charme que peut-être aucun autre poète n’a égalé. Il serait difficile de faire un choix parmi ces chefs-d’œuvre délicats. Les meilleurs juges s’accordent à placer les vers composés après la mort de Laure fort au-dessus de ceux qu’il composa pendent sa vie. Dans la première partie du canzoniere (in vita di Madonna Laura), ils signalent particulièrement le sonnet qui commence par ces mots Solo e pensioso, la canzone XIe : Chiare, fresche e dolci acque, la XIIIe : Di pensier in pensier, di monte in monte, et les trois célèbres canzones sur les yeux de Laure ; dans la seconde (in morte di Madonna Laura), l’admirable sonnet Levonemi il mio pensier ; les canzones Che debbio far ? Che mi consigli, amore ?Quando il soave mio fido conforto, et la belle canzone à la Vierge qui clôt les Rime in morte di Laura. Pétrarque n’est pas tout entier dans ses vers amoureux ; pour apprécier la souplesse, la vigueur et l’élévation de son génie, il faut lire les trois canzones que Leopardi regardait comme les seules véritables productions lyriques de la poésie moderne (1)[11]. La première (O aspettata in ciel), est adressée à son ami Jacques de Colonna, au sujet d’une croisade que méditait le pape ; la seconde (Spirto gentil), adressée à Étienne Colonna, et non pas à Rienzi, comme l’ont pensé plusieurs auteurs, et la troisième (Italia mia) déplorent les malheurs de l’Italie et invitent ses habitants à secouer leur apathie en leur rappelant les exploits de leurs ancêtres. Les Triomphes sont un poème moral écrit dans la forme majestueuse et sévère du tercet, que Dante a portée à la perfection ; c’est une suite de visions allégoriques sur la puissance de l’Amour, de la Mort, de la Gloire, du Temps, de l’Éternité. L’idée des Triomphes, empruntée aux troubadours n’est pas heureuse, et l’exécution, très-inégale, se ressent de l’âge de l’auteur. Le poëte, languissant sous le poids des années et des chagrins, ne se ranime que lorsqu’il parle de Laure ; il retrouve alors la flamme et la sensibilité de ses meilleurs ouvrages.

L’édition la plus complète des œuvres de Pétrarque est celle de Bâle, 1581, 2 vol. in-fol. : elle comprend, outre les poésies italiennes et les poésies latines (l’Africa, trois livres d’Épitres et douze Églogues), les ouvrages suivants : une correspondance (Epistolae familiares ; variae ; ad veteres illustres ; seniles ; sine titulo) très-volumineuse, quoique elle ne contienne pas toutes les lettres de Pétrarque ; — De remedius utriusque fortunae libri II ; — De vita solitaria lib. II ; — De otio religiosorum lib. II ; — Apologia contra Gallum ; — De officio et virtutibus imperatoris ; — Rerum memorandaruas liv. IV ; — De vera sapientia ; — De contemptu mundi ; — Vacuum virorum illustrium epitome ; un autre ouvrage, beaucoup plus étendu, de Pétrarque sous le même titre est resté inédit ; mais il en parut à Venise, en 1527, une traduction italienne imparfaite par Donato degli Albanzoni ; — De vite beata ; — De obedientia ac fide uxoria ; c’est une traduction de la nouvelle de Griselidis de Boccace ; — Itinerarium syriacum, opuscule qui prouve que Pétrarque s’était occupé sérieusement de recueillir des connaissances géographiques indispensables pour l’intelligence des auteurs an-


ciens ; — plusieurs discours : De Avaritia vitanda ; De libertatis capessenda, etc. La plus ancienne édition des Œuvres latines porte l’indication de Bâle, 1496, in fol. Le traité De remediis utriusque fortunae, imprimé à Cologne, 1471, in-4o, a été traduit en français d’abord par Nicolas Oresme, d’après l’ordre de Charles V (publié à Paris, 1534), puis par Grenaille, sous ce titre : Le sage résolu contre la fortune, Rouen, 1662, 2 vol. in-12, et une troisième fois par un anonyme, Paris, 1673, in-12. Ses poésies italiennes intitulées : Il cansoniere ou Rime del Petraca, consistant en plus de 300 sonnets, 50 canzones environ et 6 courts poèmes en terza rima, intitulés : Trionfo d’Amore, Trionfo della Castita, Trionfo della Morte, Trionfo della Fama, Trionfo del Tempo, Trionfo della Divinita, ont eu plus de 300 éditions avec ou sans commentaires. La première est celle de Venise ; 1470, gr. in-4o ; les principales sont celles d’Alde Manuce : Le cose volgari di Messer Francesco Petrarcha, Venise, 1501, in-8o ; Il Petrarca con nuove spositioni, Lyon, 1574, in-12 ; Le Rime del Petrarca, Padoue, 1722, in-8o, avec un catalogue raisonné des principales éditions précédentes ; l’édition de Muratori, Venise, 1727, in-4o ; celle de Bodoni, Parme, 1799, 2 vol. in-fol, et in-8o ; celle de Morelti, avec les remarques inédites de Beccadelli, Vérone, 1799, 2 vol. petit in-8o, etc. La première édition moderne où le texte de Pétrarque ait été solidement établi d’après les éditions anciennes est celle de Marsand ; Padoue, 1819-1820, 2 vol. in-4o. Leopardi, dans son excellente édition, Milan, 1826, in-16, plusieurs fois réimprimée, entre autres à Florence, chez Félix Le Monnier, a adopté le texte de Marsand, en y joignant un commentaire explicatif complet, concis et parfaitement clair, sur un des plus grands et des plus délicats mais aussi des plus difficiles poètes italiens. Les traductions françaises de Pétrarque ne sont ni nombreuses ni importantes. On peut signaler du moins comme curiosités bibliographiques celles qui parurent au seizième siècle. Les Triomphes du Pétrarque, traduits par le baron d’Opède ; Paris, 1538, in-8o ; — Toutes les œuvres vulgaires de Françoys Pétrarque, contenant quatre livres de M.-D. Laure d’Avignon, sa maistresse : jadis par luy composez en langage tuscan, et mis en françoys par Vasquin Philieul de Carpentras, docteur en droicts. Avecques briefs sommaires ou argumens requis pour plus facile intelligence du tout ; Avignon, 1555, in-8o : traduction littérale et presque vers par vers ; — Le Pétrarque en rimes françaises, avec ses commentaires par Philippe de Maldeghem, seigneur de Leyschot ; Bruxelles, 1600, in-8o. Parmi lm traducteurs plus récents on cite Lévirpte (17s7), Léonce de Saint-Géniés (1818 ), F. de Gramont (1841), A. de Montesquiou (1842). Les autres langues de l’Europe n’offrent aussi que des versions imparfaites d’un poëte dont les beautés délicates échappent an traducteur ; il faut peut-être faire exception pour quelques sonnets anglais, où Lady Dacre n’est pas restée trop loin de l’original (1)[12].

Léo Joubert.

Bandini. De viris claris virtute vel vitio. — F. Villani, dans les Vitae Dantis, Petrarchae et Boccacii a Phil. Villani scriptae, pub. par Moreni ; Florence, 1826. — Schroeder, Vita Franc. Petrarchae, litterarum phoenicis ac parentis ; 1622, in-4. — Tomasini, Petrarcha redivivus, integrum poetae celeberrini vitam iconibus aere caelatis exhibens ; accessit nobilissimae foemine Laurae brevis historia ; Padoue, 1635, in-4 ; 1650-4o : cette dernière édition contient d’anciennes notices sur Pétrarque par Paolo Vergerio, Gianozzo Manettl, Leonardo Aretino et la précieuse biographie de Ludovico Beccadelli. — La Bastie, Mémoires sur la vie de Pétrarque, dans les Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t. 21-17 ; travail inestimable, qui n’a pas été surpassé. — Jacques de Sade, Mémoires pour la vie de Fr. Pétrarque ; Amsterdam. 1761- 1767, 3 vol. in-N. — S. Dobson, Life of Petrarch ; Londres, 1776, 1 vol. lu-5• — Bettinelli, Delle lodi di Fr. Petrarca ; Bassano, 1756. — Meinart, Franc. Petrarca’s Bioprafia ; 1754. — Baldelli, Del Petrarcae delle sue opere ; 1727. — Fabroni. Fr. Petrarchae Vitae ; 1759. Woodhouselee, Essay historical and critical on the live and writings of Fr. Petrarca ; édimboorg, 1610. in-8o. — Levati, Viaggi di Franc. Petrarca in Francia, in Germania ed in Italia ; Milan, 1620, 6 vol. in-16 : ouvrage qui, dans un cadre romanesque, contient beaucoup de bons renseignements tirés des œuvres de Pétrarque. — Th. Campbell, Life of Petrarch ; Londres, 2 vol. in-8o. — Ugo Foscolo, Essay on Petrarch ; Londres, 1825, in-8o. — Rastoul de Mongeot, Pétrarque et son siècle. — Rossetti, Raccolta di edizioni di tutti le opere del Petrarca, Venise, 1822, in-12. — Ant. Marsand, Biblioteca Petrarchesca ; Milan, 1621, in-8o. — Tiraboschi, Storia della letteratera italiana, t. V. — Ginguené, Histoire littér. d’Italie, t. II. — Bruce White, Histoire des langues romanes ; Paris, 1841, 3 vol. in-8o. — Meiners, Vergleichung der Sitten, III. — G. Voigt, Die Wiederbelung des classischen Alterthums. — Ersch et Gruber, Allgemeine Encyclopädie. — Ferrari, Histoire des révolutions d’Italie, t. III, p. 398-404.

  1. Guinguené, Hist. litt. d’Italie, t. II, p. 342
  2. E quantumque gli volse essere data per donna ad instanza di papa Urbano Quinto, il quale lui singularmente amava, concedendogli di tener colla donna I beneficii insieme, noi voise mai consentire ; dicento che il frutto che prendea dell’amore a scrivere, di por que la cosa amata consequito avesse lutto si perderia.
  3. Voici les vers de François Ier :

    En petit lieu compris vous pourrez voir
    Ce qui comprend beaucoup par renommée,
    Plume, labeur, la langue et le savoir
    Furent vaincus par l’aymant de l’aymée
    O gentil âme, étant tant estimée
    Qui te pourra louer qu’en se taisant !
    Car la parole est toujours réprimée
    Quand le sujet surmonte le disant.

  4. Au sujet d’une croisade que méditait le pape Jean XXII, Il adressa à l’évêque de Lombès l’admirable canzone : O aspettata la ciel beata e belle, Anima…
  5. Guinguené, Hist. Litt., t. II, p. 360.
  6. Muratori, Rerum ital. Scriptores, vol. XII, p. 340.
  7. Voy. L’Epistola hortatoria de republica capassenda de Pétrarque à Rienzi, opp., p. 538-540.
  8. dans une lettre à ce sujet (Fam, VII, 13), il dit : Nulla toto orbe principum familia carior ; carior tamen respublica, carior Roma, carior Italia.
  9. Voilà le texte de cette note célèbre : « Laura, propriis virtutibus illustris et meis longum celebrata carminibus, primum oculis meis apparuit, sub primum adolescentiae meae tempus, anno domini 1327, die 6 mensis aprilis, in ecclesia Sanctae Clarae, Avenione, hora matutina ; et in cadem civitate, eodem mense aprilis, eodem die sexto, eadem hora prima, anno autem 1348, hab haec luce lux itia subtracta est, quum ego fortunae Veronae essem, heu fati mei nescius ! Rumor autem infelix, per litteras Ludovici mei, me Parinae repperit, anno eodem, mense majo, die 19, mane. Corpus illud castissimum atque pulcherrinum in loco fratrum Minorum repositum est, ipso die mortis, ad vesperam. Animam quidem ejus, ut de Africano ait Seneca, in Coelum, unde erat, redusse mihi persuadeo. Hoc autem ad acerbam rei memoriam amara quadam dulcedine scribere visum est, hoc potissimum loco qui saepe sub oculis meis redit, ut cogitem nihil esse deberre quod amplius mihi placeat in hac vita, et effracto majori laqueo tempus ense de Babylone fugiendi, crebra horum inspectione se fugacissimae aetatis aestimatione commoneat. Quod praevbia Dei gratia facile erit, praeteriti temporis curas supervacuas, apes inanes, et inexpectatos exitus acriter et viriliter cogitandi. » On a contesté, mais sans motifs plausibles, l’authenticité de cette note. Le manuscrit de Virgile qui la contient servait à l’usage de Pétrarque dès sa jeunesse. La note relative à Laure est superposée à une autre note, où le poëte a consigné que le manuscrit lui fut volé aux kalendes de novembre 1326, et lui fut rendu à Avignon le 17 avril 1338. Après la mort de Pétrarque, le précieux Virgile passa à son ami Jean Doadi ; il fut placé, vers 1380, dans la bibliothèque de Pavie, et y resta jusque vers la fin du quinzième siècle ; il en sortit à l’époque de la prise de cette ville par les Français ; mais on a pu suivre sa trace entre les mains de ses différents propriétaires jusqu’à son acquisition par le cardinal Borromée, fondateur de la bibliothèque Ambroisienne. Il resta dans cette bibliothèque jusqu’en 1796. À cette époque les commissaires de la république française l’enlevèrent et l’envoyèrent à Paris à la bibliothèque Nationale, où il resta déposé jusqu’en 1815. Après la chute de l’empire il fut restitué à la ville de Milan et réintégré dans la bibliothèque Ambroisienne. La note sur la mort de Laure se trouve aussi sur un des plus anciens manuscrits des épîtres de Pétrarque dans la bibliothèque Laurentienne à Florence ; elle est accompagnée de cette observation : « Ce qui suit se trouve écrit, et, à ce qu’on dit, de la propre main de François Pétrarque, sur un Virgile qui lui appartenait, et qui est maintenant à Pavie dans la bibliothèque du duc de Milan » Voir sur cette question : Tomasini, Petrarca redivivus ; l’abbé de Sade, Mémoires sur Pétrarque, vol. II, note 8 ; Baldelli, Petraca e sue opere.
  10. (1) Barlaam, dés 1339 peut-être, mais plus probablement en 1342, l’avait initié à quelques chefs-d’œuvre de la littérature grecque, entre autres aux Dialogues de Platon. En 1363, Léonce Pilate lui donna encore des leçons et lui céda plusieurs livres écrits dans cette langue, parmi lesquels se trouvait un Sophocle. Plus tard une traduction latine de l’Iliade et d’une partie de l’Odyssée faite par le même Leonce Pilate fut communiquée à Pétrarque. Voilà à peu prés tout ce qu’il connut de l’antiquité grecque, dont l’influence sur ses écrits est peu sensible. Platon lui-même, bien qu’on ait appelé amour platonique le sentiment célébré dans le canzoniere, peut à peine être compté parmi ses maîtres. En général ce restaurateur des études classiques a peu emprunté, du moins pour sa poésie italienne, aux auteurs profanes ; il s’est plus souvent inspiré des Saintes Écritures et des Pères de l’Église.
  11. (1) Il ne faut pas oublier que Pétrarque étaitv musicien, et que ses canzones sont de véritables compositions lyriques comme les odes de Pindare. Phil. Villani a dit (Vit. Petr.) « Doctus insuper lyra mire cecinit. Fuit vocis sonora atque redundantis suavitatis atyque dulcedinis. »
  12. (1) Il existe dans la bibliothèque de Munich un manuscrit du quinzième siècle renfermant des sonnets italiens sur des sujets politiques, philosophiques ou amoureux. D’après M. Thomas, éditeur du catalogue de la bibliothèque de Munich, le manuscrit contient deux dessins légèrement coloriés : la figure d’une femme à plusieurs têtes (peut-être la prostituée de Babylone), et un laurier sous lequel est assis un Amour, les yeux bandés, l’arc et le carquois déposés à ses côtés. Les vers suivants ont trait à cette dernière image :

    Tu il fai pingier gnudo con due ali
    Amor fauciullo con la benda agli occhi
    E par che a Laura voli e nulla tocchi
    Con larco a flanchl e la phareira e strali

    « Les sonnets politiques ont trait à l’état de l’Église et de la papauté romaine au temps du séjour des papes en France et de l’établissement de la république romaine par Nicolas Rienzi. Le f° 10 contient un sonnet philosophique sur la fragilité de la vie humaine. Du f° 11 au f° 58, on trouve des sonnets d’amour et quelques sonnets philosophiques, les uns d’un caractère plus sévère, les autres d’un caractère plus gai. On remarque beaucoup de jeux de mots sur le nom de Laure, comme laure, l’Aura, Lauro, ainsi que d’autres artifices et raffinements de versification et de langage. La langue est très-ancienne et en certains endroits tout à fait hors d’usage, mais se rapproche néanmoins de l’idiome toscan du grand siècle : les formes des mots sont dures, les pensées obscures et d’une compréhension difficile, par la construction des mots aussi bien que par la pensée. Beaucoup de fautes doivent être attribuées au copiste. » M. Thomas attribue ces poésies à Petrarque ; il y voit un premier recueil que le poëte corrigea ensuite, et qui, augmenté, remanié et refait, devint le recueil que nous possédons. Pour les raisons et les développements de cette hypothèse, voy. G -M. Thomas : Francisci Petrarcae carmina incognita ; Munich, 1859, in-8o.