Obermann/XIX

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Obermann (1804 - 2e éd, 1833)
Charpentier (p. 86-87).

LETTRE XIX.

Fontainebleau, 18 août, II.

Il est pourtant des moments où je me vois plein d’espérance et de liberté ; le temps et les choses descendent devant moi avec une majestueuse harmonie, et je me sens heureux, comme si je pouvais l’être : je me suis surpris revenant à mes anciennes années ; j’ai retrouvé dans la rose les beautés du plaisir et sa céleste éloquence. Heureux ! moi ? cependant je le suis ; et heureux avec plénitude, comme celui qui se réveille des alarmes d’un songe pour rentrer dans une vie de paix et de liberté ; comme celui qui sort de la fange des cachots, et revoit, après dix ans, la sérénité du ciel ; heureux comme l’homme qui aime... celle qu’il a sauvée de la mort ! Mais l’instant passe ; un nuage devant le soleil intercepte sa lumière féconde ; les oiseaux se taisent ; l’ombre en s’étendant entraîne et chasse devant elle et mon rêve et ma joie.

Alors je me mets à marcher ; je vais, je me hâte pour rentrer tristement, et bientôt je retourne dans les bois, parce que le soleil peut paraître encore. Il y a dans tout cela quelque chose qui tranquillise et qui console. Ce que c’est ? je ne le sais pas bien ; mais, quand la douleur m’endort, le temps ne s’arrête pas, et j’aime à voir mûrir le fruit qu’un vent d’automne fera tomber.