Observations sur quelques grands peintres/Van Dyck

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VAN DYCK.


Élève, rival et ami de Rubens, Van Dyck a fait des tableaux d’histoire, d’une très-belle couleur, de la plus belle harmonie ; ils ont du mouvement et de l’expression ; par eux seuls il pourroit avoir beaucoup de célébrité : l’on peut s’en convaincre en voyant ceux du Musée Napoléon, et particulièrement celui dans lequel S. Martin partage son manteau, et celui connu sous le nom de la Mère de Pitié, deux chefs-d’œuvres de force, de richesse et d’harmonie de ton : mais il a fait bien plus de portraits, ouvrages admirables, et il a bien moins de rivaux dans ce genre, où s’est étendue et fixée sa grande réputation. Sans doute un talent extraordinaire et particulier pour le portrait l’a entraîné vers cette sorte de peinture, où tant de travaux lui ont été offerts, qu’il n’a guère pu faire autre chose ; carrière brillante, dans laquelle il moissonnoit, en courant, et les trésors et les lauriers.

Ses caractères distinctifs sont une couleur parfaite, une manière de peindre spirituelle et facile, un clair-obscur d’autant plus étonnant que l’art s’y montre moins : et ce qui le distingue principalement encore, est d’avoir réuni la grâce et l’énergie. On diroit que les hommes qu’il a peints, étoient ces héros que les poëtes nous représentent doux, sensibles, compatissans loin du champ de bataille, et terribles au milieu des combats. Il prit dans l’École de Rubens les principes et l’habitude d’un beau coloris, qu’il perfectionna à Venise, et qu’il rendit plus excellent encore par l’étude de la nature.

Rubens a senti fortement la poésie de la couleur, Van Dyck en a mieux saisi la finesse et la vérité. L’étude du portrait doit nécessairement obliger à faire des recherches profondes pour arriver à une exacte imitation de la couleur des objets représentés : comme c’est un des moyens de ressemblance, on s’y attache plus que dans tout autre genre : les meubles, les étoffes qu’on est obligé de faire d’après nature, rendent les yeux plus sensibles à sa véritable harmonie. Le genre historique ne sauroit exiger une aussi scrupuleuse exactitude. Le dessin de Van Dyck a de la chaleur et de la vérité ; il n’a pas autant d’énergie, il n’a pas un caractère si mâle que celui de Rubens, mais il est plus correct. Il dessinoit surtout admirablement les portraits ; et jamais, dans ce genre, une tête sans esprit, sans noblesse et sans vie, n’est sortie de sa main. Le seul Titien peut lui disputer le rang du premier peintre de portraits ; ils ont l’un et l’autre autant de beauté, mais elle est différente : sa différence vient beaucoup de celle de leurs modèles. Titien a peint des Italiens, dont les traits ont le plus souvent un caractère noble, et dont la couleur est vigoureuse ; aussi est-il plus grand, plus sévère, plus imposant que son rival : les modèles de Van Dyck ont presque toujours été des Flamands, des Anglais, dont la couleur est riche et brillante, dont la peau a plus de transparence, plus de délicatesse que celle des Italiens ; de là vient que son coloris est plus brillant, que ses teintes ont plus de fraîcheur et plus de variété que celles du Titien.

Quand les portraits qu’il a peints cessent d’avoir une famille, ils n’ont pas moins d’amis ; et lorsque les âges les enlèvent aux appartemens, aux palais où ils prirent naissance et les entraînent dans des salles de vente, ils y trouvent une foule d’amateurs qui, sans s’occuper de leur ressemblance, se les disputent à l’envi, et donnent, avec joie, des sommes très-fortes pour en devenir possesseurs. Leur sort est bien différent de celui de ces tableaux, froides images d’aïeux sans postérité, qui, arrachés des murs antiques, où longtemps on encensa leur noblesse, viennent porter leur costume gothique sur nos quais ; où, tristes jouets de la pluie et des vents, ils meurent bien souvent sans trouver un acheteur, à quelque bas prix qu’ils se mettent.

Dans les ventes, on est étonné de l’immense différence des sommes que donnent les amateurs pour les portraits de Van Dyck, à celles dont on paye la plupart des ouvrages des autres peintres de portraits, particulièrement ceux de Rigaud. Il semble que la différence de talent ne soit pas en proportion de l’argent avec lequel on les achète : cherchons quelles en peuvent être les causes : deux des principales sont la supériorité de la couleur de l’un sur celle de l’autre, et la supériorité de l’entente du clair-obscur. Les têtes de Rigaud sont environnées d’accessoires si brillans, qu’elles ne frappent pas assez : ses calculs mêmes ne sont pas justes dans sa manière de finir les détails, et leurs parties principales n’ont pas l’empire qu’elles devroient avoir. Dans les portraits de Van Dyck tout est subordonné à la tête ; le fond, les vêtemens, les accessoires ne paroissent pas négligés, et cependant la tête attire toujours tous les regards. Les mains même, quoique d’une bonne forme, d’une très-belle couleur, sont disposées et peintes de façon qu’elles ne jouent jamais que des seconds rôles. Dans les têtes, les principales parties dominent ; et l’on voit, au premier aspect, tout ce qui frappe d’abord dans la nature. Il connoissoit bien mieux que Rigaud, ces momens où la vérité est saisie avec précision et abandon ; ces momens heureux, où l’on peut presque dire que la nature se rencontre avec l’âme de l’artiste au bout de ses pinceaux. Les ouvrages de Rigaud sont plus travaillés, ceux de Van Dyck sont mieux finis ; les portraits de l’un sont beaux, ceux de l’autre vivent : ajoutez que le costume que Van Dyck a peint, est bien plus agréable, bien plus favorable à l’art que celui dont le peintre Français a été forcé de revêtir ses figures ; et les immenses perruques des personnages de Rigaud leur donnent une teinte de ridicule qui rend leur accès difficile dans les cabinets.

On conserve dans le Musée Napoléon plusieurs des plus célèbres portraits de Van Dyck, parmi lesquels on peut citer comme un miracle de l’art, celui de Jean Richardot, président du conseil privé des Pays-Bas : le modèle respiroit-il avec plus d’énergie ? c’est une question à faire. Un de ses plus beaux ouvrages, est le tableau connu sous le nom de l’ex-Voto à la Vierge, riche et harmonieuse réunion du genre historique, et des portraits les plus vigoureux et les plus vrais qu’on ait jamais peints. Rien n’est beau par l’esprit, la grâce et la chaleur, comme quelques têtes gravées par lui-même à l’eau-forte, et rien ne fait mieux connoître son sentiment fin, délicat et brûlant, que ces piquans et faciles chefs-d’œuvres.

Le genre du portrait est celui qui se soutiendra le plus long-temps ; il doit survivre au goût que l’on a pour la peinture. On cessera d’être sensible au charme d’un beau tableau, on le sera toujours à l’image de ceux qu’on révère et qu’on aime. Si les siècles et les révolutions peuvent jamais anéantir jusqu’aux traces des arts, ils renaîtront par le portrait, ils renaîtront toujours par l’amour. Ce genre prouve aussi combien la peinture a quelquefois d’avantage sur la poésie ; il montre bien à cette superbe sœur aînée qu’elle est bien loin d’imiter la nature comme sa cadette : elle peut bien décrire et chanter tout ce qui intéresse les hommes ; la peinture seule le fait voir ; avec elle, le sordide intérêt, la tyrannie ne peuvent nous séparer des objets de notre amour ; malgré l’immensité des mers, malgré les verrous et les geôliers affreux, nous voyons encore les traits d’une épouse, d’une amante adorée ; nos larmes, nos baisers peuvent en couvrir l’image ; la mort même ne peut nous ravir tout-à-fait les êtres qui nous sont chers. Une mère qui vient de perdre son fils, dans les transports de sa douleur, ne s’adresse point à la poésie afin qu’elle le chante ; ah ! son cœur le chante mille fois mieux : elle court, les yeux en pleurs, se jeter aux pieds de la peinture ; elle lui demande le fils qu’elle a perdu, et souvent la peinture le lui fait voir encore.

Il est aisé d’imaginer que Van Dyck, avec un aussi rare talent pour un genre si intéressant, dût être bien chéri, bien fêté des hommes qui avoient besoin de lui. Il acquit, en effet, beaucoup de richesses, de considération et de réputation : mais, comme la fortune fait toujours acheter ses faveurs, il mourut à quarante-deux ans, épuisé par ses grands travaux ; c’est presque dire, par les jouissances de son art.