Orgueil et Préjugé (Paschoud)/1

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Traduction par anonyme.
J. J. Paschoud (1p. 1-7).

CHAPITRE PREMIER.

S’il est une idée généralement reçue, c’est qu’un homme fort riche doit penser à se marier.

Quelque peu connues que soient ses habitudes et ses intentions, cette idée est si fortement gravée dans l’esprit de toutes les familles du pays dans lequel il se fixe, qu’il est à l’instant considéré comme la propriété légitime des jeunes personnes qui l’habitent. Il ne s’agit plus que de savoir laquelle fixera son attention.

Mon cher Monsieur Bennet, dit un jour Mistriss Bennet à son mari, avez-vous ouï dire que Netherfield-Parck fût enfin loué ?

Monsieur Bennet répondit qu’il n’en avoit pas entendu parler.

Cela est ainsi cependant, car je le tiens de Mistriss Long, qui sort d’ici.

M. Bennet ne répondit pas.

Mais ne désirez-vous donc point savoir à qui, s’écria sa femme avec impatience ? — Vous désirez me le dire ; et je n’ai aucune raison de vous refuser de l’entendre. — C’étoit un encouragement suffisant pour Mistriss Bennet. Vous saurez donc, mon cher, que Netherfield-Parck vient d’être loué par un jeune seigneur fort riche ; il arriva lundi, en voiture à quatre chevaux, dans l’intention de voir la maison ; il en fut si enchanté que, de suite il convint du prix et des conditions avec M. Morris, qu’il doit en prendre possession avant un mois, et qu’il enverra plusieurs de ses domestiques pour faire les préparatifs nécessaires à la fin de la semaine prochaine.

— Quel est son nom ?

— Bingley.

— Est-il marié ?

— Non, certainement, mon cher ! Un homme qui a une grande fortune, quatre ou cinq mille livres sterlings, peut-être ; quelle bonne affaire pour mes filles !

— Comment, quel rapport a-t-il donc avec elles ? — Mon cher Monsieur Bennet, que vous êtes désagréable ; ne voyez-vous pas que je pense à lui en faire épouser une ?

— Est-ce son intention en venant s’établir ici ?

— Son intention, quelle absurdité ! Comment pouvez-vous parler ainsi ? Il ne les connoît pas ; mais il est très-probable qu’il deviendra fort amoureux de l’une d’elles. Ainsi, vous devez lui faire une visite aussitôt qu’il sera arrivé. — Je ne vois pas que ce soit nécessaire ; vous et vos filles, à la bonne heure, et peut-être même seroit-il encore mieux de les y envoyer seules ; votre beauté pourroit leur faire tort. Il seroit fâcheux que M. Bingley vous donnât la préférence.

— Vous me flattez, mon cher Monsieur Bennet, je n’ai certainement pas à me plaindre ; j’ai été très-belle dans mon temps, mais, à présent, je ne crois pas être fort remarquable. Lorsqu’une femme a cinq grandes filles, elle ne doit plus penser à sa beauté. Il est bien rare alors qu’elle puisse s’en occuper, à moins que ce ne soit pour en déplorer la perte.

Mais, mon cher, vous devez vraiment aller voir M. Bingley dès qu’il sera dans notre voisinage.

— C’est plus que je ne puis promettre.

— Songez donc à vos filles ! Pensez au bel établissement que ce seroit pour l’une d’elles ! Sir Williams et Lady Laws sont décidés à lui faire visite sur ce qu’ils en ont ouï dire seulement ; vous savez qu’en général, ils ne recherchent point les nouveaux venus, et vous devez faire de même, car il nous seroit impossible d’être en relation avec lui, si vous ne commencez pas.

— Vous êtes trop scrupuleuse, je crois que M. Bingley seroit charmé de vous voir, et je pourrais même vous charger de quelques lignes pour l’assurer de mon consentement à son mariage avec celle de mes filles qu’il choisira ; quoique cependant je dusse dire un mot en faveur de ma chère petite Lizzy.

— Je vous prie de ne point le faire. Lizzy n’est pas supérieure aux autres ; elle n’est à beaucoup près ni si belle que Jane, ni si gaie que Lydie ; mais vous lui donnez toujours la préférence.

— On ne peut tirer vanité ni des unes ni des autres, répliqua-t-il, elles sont sottes et ignorantes comme toutes les jeunes filles, mais Lizzy a quelque chose de plus animé que ses sœurs.

— Je ne sais quelle jouissance vous avez à rabaisser ainsi vos enfans, Monsieur Bennet ? Il semble que vous preniez plaisir à me faire de la peine. Vous n’avez aucun égard pour mes pauvres nerfs.

— Pardonnez-moi, ma chère, j’ai beaucoup de respect pour vos nerfs. Ce sont pour moi d’anciennes connaissances. Depuis vingt ans au moins, je vous en entends parler avec considération.

— Vous ne savez pas ce que je souffre !

— J’espère, ma chère, que vous vous guérirez et que vous vivrez encore long-temps pour voir beaucoup de jeunes seigneurs, jouissant de quatre ou cinq mille livres de rentes, venir s’établir dans notre voisinage.

— Il en arriveroit vingt, que cela nous seroit bien inutile, puisque vous ne voulez pas seulement aller leur faire une visite.

— Vous pouvez compter, ma chère, que, lorsqu’il y en aura vingt, j’irai les voir tous.

M. Bennet offroit un mélange si extraordinaire de réparties promptes, d’humeur railleuse, de réserve et de caprices, que vingt-trois ans de mariage n’avoient pas suffi à sa femme pour bien connoître son caractère. Elle étoit moins difficile à définir. C’étoit une femme ignorante, d’une intelligence médiocre, et d’un caractère foible. Lorsqu’elle étoit mécontente, elle se plaignoit de ses nerfs. Son désir le plus ardent étoit de voir ses filles mariées ; sa principale occupation les visites, et son plaisir les nouvelles.