Pégase (extraits)

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Le Figaro du 09 juin 1902 (p. 2-4).


UN POÈME
de
José-Maria de Heredia


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Nous avons la bonne fortune de donner à nos lecteurs les magnifiques fragments d’un poème de José-Maria de Heredia « à la gloire de Victor Hugo ». Ces beaux vers de l’auteur des Trophées terminent le volume la Couronne de Victor Hugo, qui paraît demain, et qui est le recueil des hommages adressés au grand poète par tous les poètes qui l’ont connu. Jamais M. José-Maria de Heredia ne fut plus magnifiquement inspiré.


PÉGASE


Voici le monstre ailé, mon fils — lui dit la Muse —
Sous son poil rose court le beau sang de Méduse ;
Son œil réfléchit tout l’azur du ciel natal,
Les sources ont lavé ses sabots de cristal,
À ses larges naseaux fume une brume bleue
Et l’Aurore a doré sa crinière et sa queue…

Flatte-le, parle-lui. Dis-lui : « Fils de Gorgo,
Pégase ! écoute-moi : mon nom, Victor Hugo,
Vibre plus éclatant que celui de ta mère ;
Mieux que Bellérophon j’ai vaincu la Chimère…
Ne me regarde pas d’un œil effarouché ;
Viens ! Je suis le dernier qui t’aurai chevauché.
Par le ciel boréal où mes yeux ont su lire,
Ton vol m’emportera vers la céleste Lyre ;
Car mes doigts fatigués, sous l’archet souverain,
D’avoir fait retentir l’or, l’argent et l’airain,
Veulent, à la splendeur de la clarté première,
Faire enfin résonner des cordes de lumière !… »
....................

… Il renâcle, il s’ébroue, il hennit, et ses crins
Se lèvent ! C’est l’instant. Saute-lui sur les reins !
Déjà l’aile éployée en un frisson de plume
Palpite dans la nuit ou Sirius s’allume ;
Pars ! Tu l’abreuveras au grand fleuve du ciel
Qui roule à flots d’argent le lait torrentiel…
....................
Enfonce le zénith et, riant de l’abîme,
Monte plus loin, plus haut, dans l’azur plus sublime !
Que l’envergure d’or du grand Cheval ailé
Projette une ombre immense en l’éther étoilé
Et que son battement d’ailes multicolore
Fasse osciller la flamme aux astres près d’éclore.
Monte ! Pousse plus haut l’essor de l’étalon
Vertigineux ! Va, monte ! Et, battant du talon
Le monstre que ton bras irrésistible dompte,
Monte encore, toujours, éternellement ! Monte !

José-Maria de Heredia.