P’tit Bonhomme/Première partie/Chapitre 10

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Hetzel (p. 121-132).

X

ce qui s’est passé au donegal


Le moment est venu de mentionner que le fermier Mac Carthy avait eu l’idée de faire quelques recherches relatives à l’état civil de son enfant adoptif. On connaissait son histoire depuis le jour où de charitables habitants de Westport l’avaient arraché aux mauvais traitements du montreur de marionnettes. Mais, antérieurement, quelle avait été l’existence de ce pauvre être ? P’tit-Bonhomme, on le sait, conservait une vague idée d’avoir demeuré chez une méchante femme, avec une et même avec deux fillettes, au fond d’un hameau du Donegal. Aussi fut-ce de ce côté que M. Martin dut porter les investigations.

Ces recherches ne donnèrent d’autres renseignements que ceux-ci : à la maison de charité de Donegal, on retrouva la trace d’un enfant de dix-huit mois, recueilli sous le nom de P’tit-Bonhomme, puis envoyé dans un hameau du comté chez une de ces femmes qui font le métier d’éleveuses.

Qu’il nous soit donc permis de compléter ces renseignements par ceux que nous a révélés une enquête plus approfondie. Ce ne sera, d’ailleurs, que la commune histoire de ces petits misérables abandonnés à la merci de l’assistance publique.

Le Donegal, avec sa population de deux cent mille âmes, est peut-être le plus indigent des comtés de la province d’Ulster, et même de toute l’Irlande. Il y a quelques années, on y trouvait à peine deux matelas et huit paillasses par quatre mille habitants. Sur ces ces arides territoires du Nord, ce ne sont pas les bras qui manquent à la culture, c’est le sol cultivable. Le plus opiniâtre des travailleurs s’y épuise en vain. À l’intérieur, on ne voit que ravins stériles, gorges ingrates, terrains tourmentés, noyaux pierreux, dunes sablonneuses, tourbières béantes comme des écorchures malsaines, landes marécageuses, chevauchées de montagnes, les Glendowan, les

Derryveagh, en un mot, un « pays rompu », disent les Anglais. Sur le littoral, baies et fjords, anses et criques, dessinent autant d’entonnoirs caverneux où s’engouffrent les vents du large, gigantesque orgue granitique que l’océan remplit à pleins poumons de ses tempêtes. Le Donegal est au premier rang des régions offertes à l’assaut des tourmentes venues d’Amérique, gonflées sur un parcours de trois mille milles, du cortège des bourrasques qu’elles attirent à leur passage. Il ne faut pas moins qu’une côte de fer pour résister à ces formidables galernes du nord-ouest.

Et, précisément, la baie de Donegal sur laquelle s’ouvre le port de pêche de ce nom, découpée en mâchoire de requin, doit aspirer ces courants atmosphériques, saturés de l’embrun des lames. Aussi, la petite ville, située au fond, est-elle largement éventée en toute saison. Ce n’est pas son écran de collines qui peut arrêter les ouragans du large. Ils n’ont donc rien perdu de leur véhémence, quand ils attaquent le hameau de Rindok, à sept milles au-delà de Donegal.

Un hameau ?… Non. Neuf à dix huttes éparses aux abords d’une étroite gorge, ravinée par un cours d’eau, simple filet l’été, gros torrent l’hiver. De Donegal à Rindok, nul chemin tracé. Quelques sentes seulement à peine praticables aux charrettes du pays, attelées de ces chevaux irlandais, prudents d’allure, sûrs de pied, et parfois à des « jaunting-cars ». Si divers railways desservent déjà l’Irlande, le jour semble assez éloigné où leurs trains parcourront régulièrement les comtés de l’Ulster. À quoi bon, d’ailleurs ? Les bourgades et les villages sont rares. Les étapes du voyageur aboutissent plutôt à des fermes qu’à des paroisses.

Cependant çà et là apparaissent quelques châteaux, environnés de verdure, qui charment le regard par leur fantaisiste ornementation d’architecture anglo-saxonne. Entre autres, plus au nord-ouest, du côté de Milford, se dresse l’habitation seigneuriale de Carrikhart, au milieu d’un vaste domaine de quatre-vingt-dix mille acres, propriété du comte de Leitrim.

Les cabanes ou huttes du hameau de Rindok — ce qu’on appelle vulgairement des « cabins » — n’ont de la chaumière que le chaume, toiture insuffisante contre les pluies hivernales, égayée par la capricieuse floraison des giroflées et des joubarbes. Ce chaume recouvre une hutte en boue séchée, renforcée d’un mauvais cailloutis, étoilée de lézardes, qui ne vaut point l’ajoupa des sauvages ou l’isba des Kamtchadales. C’est moins que la bicoque, moins que la masure. On n’imaginerait même pas que pareil taudis pût servir de logement à des créatures humaines, n’était le filet de fumée qui s’échappe du faîte émaillé de fleurs. Ce ne sont ni le bois, ni la houille qui produisent cette fumée, c’est la tourbe, extraite du marais voisin, « le bog » à teintes roussâtres, aux flaques d’eau sombre, tout enverdi de bruyères, et dans lequel les pauvres gens de Rindok taillent à même leurs morceaux de combustible[1].

On ne risque donc pas de mourir de froid au sein de ces âpres comtés, mais on risque d’y mourir de faim. À peine le sol fait-il l’aumône de quelques légumes et de quelques fruits. Tout y languit, à l’exception de la pomme de terre.

À ce légume, que peut ajouter le paysan du Donegal ? Parfois, l’oie et le canard, plutôt sauvages que domestiques. Quant au gibier, lièvres et grouses, il n’appartient qu’au landlord. Il y a aussi, éparses à travers les ravins, quelques chèvres, donnant un peu de lait, puis des cochons aux soies noires, qui trouvent à s’engraisser en fouillant de leur grouin les maigres détritus. Le cochon est le véritable ami, le familier de la maison, comme l’est le chien en de moins misérables pays. C’est le « gentleman qui paie la rente », suivant la juste expression recueillie par Mlle de Bovet.

Voici ce qu’était à l’intérieur l’une des plus lamentables huttes de ce hameau de Rindok : une chambre unique, close d’une porte vermoulue à vantaux déjetés ; deux trous, à droite et à gauche, laissant filtrer le jour à travers une cloison de paille sèche, et l’air aussi ; sur le sol, un tapis de boue ; aux chevrons, des pendeloques de toiles d’araignée ; un âtre au fond, avec cheminée montant jusqu’au chaume ; un grabat dans un coin, une litière dans l’autre. En fait de meubles, un escabeau boiteux, une table estropiée, un baquet zébré de moisissures verdâtres, un rouet à manivelle criarde. Comme ustensiles, une marmite, un poêlon, quelques écuelles, jamais lavées, essuyées à peine, sans compter deux ou trois bouteilles que l’on remplissait au ruisseau, après les avoir vidées du wiskey ou du gin qu’elles contenaient. Çà et là, pendues ou traînant, des loques, des guenilles, n’ayant plus forme de vêtements, des linges sordides trempant dans le baquet ou séchant au bout d’une perche au dehors. Sur la table, en permanence, un faisceau de verges, effilochées par l’usage.

C’était la misère dans toute son abomination — la misère telle qu’elle s’étale et croupit au milieu des pauvres quartiers de Dublin ou de Londres, à Clerkenwell, à Saint-Giles, à Marylebone, à Whitechapel, la misère irlandaise, la plus épouvantable de toutes, renfermée dans ces ghettos au fond de l’East-End de la capitale ! Il est vrai, l’air n’est pas empesté entre ces gorges du Donegal ; on y respire la vivifiante atmosphère exhalée des montagnes ; les poumons ne s’y empoisonnent pas de miasmes délétères, sueur morbide des grandes cités.

Il va sans dire que, dans ce bouge, le grabat était réservé à la Hard, et la litière aux enfants — les verges aussi.

La Hard ! oui, c’est ainsi qu’on la désignait, la « dure », et elle méritait ce nom. C’était bien la plus odieuse mégère que l’on pût imaginer, quarante à cinquante ans d’âge, longue, grande, maigre tignasse ébouriffée de harpie, yeux bridés sous la broussaille rousse des sourcils, dents en crocs, nez en bec, mains décharnées et osseuses, plutôt des pattes que des mains, avec des doigts en griffes, haleine saturée d’émanations alcooliques, vêtue d’une chemise rapiécée et d’une jupe en lambeaux, les pieds nus et d’un cuir si épais qu’ils ne s’écorchaient point aux cailloux.

Le métier de ce dragon femelle était de filer le lin, ainsi qu’on le fait d’ordinaire dans les villages de l’Irlande, et plus spécialement chez les paysannes de l’Ulster. Cette culture linière est assez fructueuse, bien qu’elle n’arrive pas à compenser ce qu’un meilleur sol devrait produire en céréales.

Mais, à ce travail qui lui rapportait quelques pence par jour, la Hard adjoignait d’autres fonctions qu’elle était inapte à remplir. Elle faisait métier d’élever les enfants en bas âge que lui confiait le « baby-farming. »

Lorsque la maison de charité des villes est trop pleine, ou quand la santé des petits malheureux exige l’air de la campagne, on les envoie à ces matrones, qui vendent des soins maternels comme elles vendraient n’importe quelle marchandise, au prix annuel de deux ou trois livres. Puis, dès que l’enfant atteint l’âge de cinq ou six ans, il est rendu à la maison de charité. D’ailleurs, l’affermeuse ne peut guère gagner sur lui, tant la somme allouée pour son entretien est infime. Aussi, par malheur, quand le baby tombe entre les mains d’une créature sans entrailles — et le cas n’est que trop fréquent — n’est-il pas rare qu’il succombe à d’odieux traitements et au manque de nourriture. Et combien de ces larves humaines ne rentrent pas à la maison de charité !… C’était ainsi, du moins, avant la loi de 1889, loi de protection de l’enfance, qui, grâce à de sévères inspections chez les exploiteuses du « baby-farming », a notablement diminué la mortalité des enfants élevés hors des villes.

Observons qu’à cette époque, la surveillance ne s’exerçait que peu ou pas. Au hameau de Rindok, la Hard n’avait à redouter ni la visite d’un inspecteur, ni même la plainte de ses voisins, endurcis dans leur propre misère.

Trois enfants lui avaient été confiés par la maison de charité de Donegal, deux petites filles de quatre et six ans et demi, et un petit garçon de deux ans et neuf mois.

Des enfants abandonnés, cela va sans dire, peut-être même des orphelins recueillis sur la voie publique. Dans tous les cas, on ne connaissait point leurs parents, on ne les connaîtrait jamais sans doute. S’ils revenaient à Donegal, c’était le travail au work-house qui les attendait, lorsqu’ils auraient l’âge — ce work-house, dont sont pourvus non seulement les villes, mais les bourgades et parfois les villages de la Grande-Bretagne.

Quel était le nom de ces enfants, ou plutôt lequel leur avait-on donné à la maison de charité ? Le premier venu. Du reste, peu importe le nom de la plus petite des deux fillettes, car elle va bientôt mourir. Quant à la plus grande, elle s’appelait Sissy, abréviation de Cecily. Jolie enfant, aux cheveux blonds, qu’un peu de soins eût rendus doux et soyeux, grands yeux bleus, intelligents et bons, dont la limpidité était déjà altérée par les larmes ; mais les traits hâves et tirés, le teint décoloré, les membres amaigris, la poitrine creuse, les côtes saillant sous ses haillons comme celles d’un écorché. Voilà à quel état l’avaient réduite les mauvais traitements ! Et cependant, douée d’une nature patiente et résignée, elle acceptait la vie qu’on lui faisait sans se figurer « que cela eût pu être autrement ». Et où aurait-elle appris qu’il y a des enfants choyés de leur mère, entourés d’attentions, enveloppés de caresses, auxquels ne manquent ni les baisers, ni les bons vêtements, ni la bonne nourriture ? Ce n’était pas dans la maison de charité, où ses pareilles n’étaient pas mieux traitées que des petits d’animaux.

Si l’on demande le nom du garçon, la réponse sera qu’il n’en a même pas. Il avait été trouvé au coin d’une rue de Donegal, à l’âge de six mois, enroulé d’un morceau de grosse toile, la figure bleuie, n’ayant plus que le souffle. Transporté à l’hospice, on l’avait mis avec les autres bébés, et personne ne s’était occupé de lui donner un nom. Que voulez-vous, un oubli ! D’habitude, on l’appelait « Little-Boy », P’tit-Bonhomme, et, nous l’avons vu, c’est ce qualificatif qui lui est resté.

Il était très probable, d’ailleurs, quoique Grip d’une part, miss Anna Waston de l’autre, dussent penser de lui, qu’il n’appartenait point à une famille riche, à laquelle on l’aurait volé. C’est bon pour les romans, cela !

Des trois produits de cette portée — n’est-ce pas le mot ? — remise à la garde de la mégère, P’tit-Bonhomme était le plus jeune — deux ans et neuf mois seulement — brun, avec des yeux brillants qui promettaient d’être énergiques un jour, si la mort ne les fermait pas prématurément, une constitution qui deviendrait robuste, si l’air méphitique de ce taudis, l’insuffisance de nourriture, ne frappaient pas son développement d’un rachitisme précoce. Toutefois, ce qu’il convient d’observer, c’est que ce petit, possédant une grande force de résistance vitale, devait opposer une endurance peu ordinaire à tant de causes de dépérissement. Toujours affamé, il ne pesait que la moitié de ce qu’il aurait dû peser à son âge. Toujours grelottant durant les longs hivers de l’Irlande, il ne portait, par-dessus sa chemise en lambeaux, qu’un vieux morceau de velours à côtes, auquel on avait fait deux trous pour ses bras. Mais ses pieds nus s’appuyaient carrément sur le sol, et il était solide des jambes. Les soins les plus élémentaires eussent vite donné sa valeur à cette délicate machine humaine, qui l’eût rendue plus tard en intelligence et en travail. Ces soins, il est vrai, à moins d’un concours inespéré de circonstances, où les aurait-il trouvés, et de quelle main pouvait-il les attendre ?…

Un seul mot sur la plus jeune des fillettes. Une fièvre lente la consumait. La vie se retirait d’elle comme l’eau d’un vase fêlé. Il lui eût fallu des remèdes, et les remèdes sont coûteux. Il lui eût fallu un médecin, et un médecin viendrait-il de Donegal pour une pauvre marmotte, née on ne sait où dans ce lamentable pays des enfants abandonnés ? Aussi la Hard ne pensait-elle pas qu’il y eût lieu de se déranger. Cette petite, une fois morte, la maison de charité lui en fournirait une autre, et elle ne perdrait rien des quelques shillings qu’elle s’essayait à gagner sur ces enfants.

La Hard ! Ainsi qu’on la désignait. (Page 124.)
Il est vrai, puisque le gin, le wiskey, le porter, ne coulent pas dans le lit des ruisseaux de Rindok, il s’ensuit que la satisfaction de ses penchants d’ivrognesse absorbait le plus clair de l’allocation versée entre ses mains. Et, en ce moment, des cinquante shillings reçus en janvier par tête d’enfant pour l’année entière, il n’en restait que dix à douze. Que ferait la Hard pour subvenir aux besoins de ses pensionnaires ? Si elle ne risquait pas de mourir de soif, étant donné un certain
Saisissant un bâton, elle frappa à tour de bras. (Page 132.)

nombre de bouteilles cachées au fond d’une encoignure du cabin, les petits mourraient d’inanition.

Telle était la situation, et c’est à cela que réfléchissait la Hard, autant du moins que le permettait son cerveau noyé d’alcoolisme. Demander un supplément d’allocation à la maison de charité ?… Inutile. On refuserait. Il y avait d’autres enfants, nombreux et sans famille, auxquels l’assistance publique suffisait à peine. Serait-elle donc forcée de rendre les siens ?… Alors elle y perdait son gagne-pain — il serait plus juste de dire son « gagne-gin ». C’est bien là ce qui lui saignait le cœur, et non la pensée que cette pauvre nichée n’avait pas mangé depuis la veille.

Résultat de ces réflexions, la Hard se remettait à boire. Et, comme les deux fillettes et le petit garçon ne parvenaient pas à retenir leurs gémissements, elle les frappait. À une demande de pain, elle répondait par une poussée violente qui renversait la victime ; à une supplication, elle ripostait par des coups. Cela ne pouvait durer. Les quelques shillings qui sautillaient au fond de sa poche, il faudrait les dépenser afin d’acheter si peu que ce fût de nourriture, car on ne lui aurait fait crédit nulle part…

« Non… non !… non !… répétait-elle. Qu’ils crèvent plutôt, les gueux ! »

On était au mois d’octobre. Il faisait froid à l’intérieur de cette masure à peine close, criblée de pluie à travers son toit chauve par places comme la tête d’un vieillard. Le vent aboyait entre les ais disjoints de la charpente. Ce n’était pas le maigre feu de tourbe qui aurait pu maintenir une température supportable. Sissy et P’tit-Bonhomme se serraient étroitement l’un contre l’autre, sans parvenir à se réchauffer.

Tandis que la petite malade suait la fièvre sur la bottée de paille, la mégère allait de-ci de-là d’un pas mal assuré, se raccrochant aux murs, évitée du petit garçon qu’elle eût envoyé rouler en quelque coin. Sissy venait de s’agenouiller près de la malade, dont elle humectait les lèvres d’eau froide. De temps en temps, elle regardait l’âtre où les tourbes menaçaient de s’éteindre. La marmite n’était pas sur le trépied, et d’ailleurs il n’y aurait rien eu à mettre dedans.

La Hard grommelait à part :

« Cinquante shillings !… Nourrissez donc un enfant avec cinquante shillings !… Et si je leur demandais un supplément à ces sans-cœur de la maison de charité, ils m’enverraient au diable ! »

C’était probable, c’était même certain, et lui eût-on accordé ce supplément, que les trois pauvres êtres n’en auraient pas obtenu un morceau de plus.

La veille, on avait achevé ce qui restait du « stirabout », grossière bouillie de farine d’avoine, cuite à l’eau comme les grous de la Bretagne, et, depuis, personne n’avait mangé dans la hutte — pas plus la Hard que les enfants. Elle se soutenait de gin et entendait bien ne point dépenser en nourriture un seul penny de ce qu’elle avait en réserve. Elle en serait donc réduite à ramasser au coin de la route quelques pelures de pommes de terre pour le souper…

En ce moment, des grognements retentirent au dehors. La porte fut repoussée. Un cochon, qui errait à travers les rues boueuses, pénétra dans le cabin.

Cette bête affamée se mit à fureter dans les coins, reniflant à grands coups. La Hard, après avoir refermé la porte, ne chercha même pas à le chasser. Elle regardait l’animal de cet œil de l’ivrogne qui ne se fixe nulle part.

Sissy et P’tit-Bonhomme se relevèrent afin de se garer du pourceau. Tandis que l’animal fouillait du groin les ordures du sol, son instinct lui fit découvrir derrière le foyer éteint, sous la tourbe grisâtre, une grosse pomme de terre qui avait roulé en cet endroit. Il s’en empara, et, après un nouveau grognement, il la saisit entre ses mâchoires.

P’tit-Bonhomme l’aperçut. Cette grosse pomme, il la lui fallait. D’un bond s’élançant sur le porc, il la lui arracha au risque de se faire piétiner et mordre. Alors, appelant Sissy, elle et lui la dévorèrent à belles dents.

L’animal était demeuré immobile ; puis, la rage le prenant, il bondit sur l’enfant.

P’tit-Bonhomme essaya de s’enfuir avec le morceau de pomme de terre qu’il tenait à la main ; mais sans l’intervention de la Hard, ayant été renversé par l’animal, il n’aurait pas échappé à de cruelles morsures, bien que Sissy fût venue à son secours.

L’ivrognesse hébétée, qui regardait, parut comprendre enfin. Saisissant un bâton, elle frappa à tour de bras le pourceau qui semblait décidé à ne pas lâcher prise. Ces coups mal assurés risquaient de briser la tête de P’tit-Bonhomme, et on ne sait trop comment cette scène aurait fini, lorsqu’un léger bruit se produisit à la porte.



  1. Les tourbières en Irlande, bogs rouges ou bogs noirs, occupent plus de douze mille kilomètres carrés, soit le septième de l’île, et, sur une épaisseur moyenne de huit mètres, comprennent quatre-vingt-seize milliards de mètres cubes.