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connoître Soy-meme.

teressée & que nous aimons en elle les secrets rapports qu’elle a avec nous.

Au reste, il ne faut point excepter du nombre de ceux qui aiment ainsi les vertus, les gens vicieux & déreglés. Au contraire il est certain que par cela même qu’ils sont vicieux, ils doivent trouver la vertu plus aimable. L’humilité applanit tous les chemins à notre orgueil, elle est donc aimée d’un orgueilleux ; la liberalité donne, elle ne sçauroit donc déplaire à un interessé ; la tempérance vous laisse en possession de vos plaisirs, elle ne peut donc être desagréable à un voluptueux, qui ne veut point de rival ni de concurrent. Auroit-on cru que l’affection que les hommes du monde témoignent avoir pour les gens vertueux, eût une source si mauvaise, & me pardonnera-t-on bien ce paradoxe, si j’avance qu’il arrive souvent que les vices qui sont au-dedans de nous, font l’amour que nous avons pour les vertus des autres ?

Je passe bien plus avant & j’oserai dire que l’amour de nous-mêmes a beaucoup de part aux sentimens les plus épurés que la morale & la religion nous fassent avoir de Dieu. On distingue trois sortes d’amour divin, un amour d’interêt, un amour de reconnoissance, & un amour de pure amitié. L’amour d’interêt se confond avec l’amour de nous-mêmes selon l’idée que tout le monde en a ; l’amour de reconnoissance a encore la même source que celui d’interêt, selon ce que nous avons remarqué ci-dessus ; l’amour de pure amitié semble naître independamment de tout interêt & de tout amour de nous-mêmes. Cependant si vous y regardez de près, vous trouverez qu’il a dans le fonds le même principe que les autres, Car premierement il est remarquable que l’amour de pure amitié ne naît pas tout d’un coup dans l’ame d’un homme à qui l’on fait connoître la religion. Le premier dégré de notre sanctification, c’est de se détacher du monde.