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COMMENTAIRE

L’Académie en corps, M. le duc de Choiseul, Mme la duchesse de Grammont, Mme de Pompadour, et plusieurs seigneurs, donnèrent pouvoir à M. de Voltaire de signer pour eux au contrat de mariage. C’est une des plus belles époques de la littérature.

Dans le temps qu’il préparait ce mariage, qui a été très-heureux, il goûtait une autre satisfaction, celle de faire rendre à six gentilshommes, presque tous mineurs, leur bien paternel, que les jésuites venaient d’acheter à vil prix. Il faut reprendre la chose de plus haut. L’affaire est d’autant plus intéressante que son commencement avait précédé la fameuse banqueroute du jésuite La Valette et consorts, et qu’elle fut en quelque façon le premier signal de l’abolition des jésuites en France.

MM. Desprez de Crassy, d’une ancienne noblesse du pays de Gex, sur la frontière de la Suisse, étaient six frères, tous au service du roi. L’un d’eux, capitaine au régiment de Deux-Ponts, en causant avec M. de Voltaire son voisin, lui conta le triste état de la fortune de sa famille. Une terre de quelque valeur, et qui aurait pu être une ressource, était engagée depuis longtemps à des Genevois.

Les jésuites avaient acquis tout auprès de ce domaine des possessions qui composaient environ deux mille écus de rente, dans un lieu nommé Ornex. Ils voulurent joindre à leur domaine celui de MM. de Crassy. Le supérieur de la maison des jésuites, dont le véritable nom était Fesse, qu’il avait changé en celui de Fessy, s’arrangea avec les créanciers genevois pour acheter cette terre : il obtint une permission du conseil, et il était sur le point de la faire entériner à Dijon. On lui dit qu’il y avait des mineurs, et que, malgré la permission du conseil, ils pourraient rentrer dans leurs biens. Il répondit, et même il écrivit, que les jésuites ne risquaient rien, et que jamais MM. de Crassy ne seraient en état de payer la somme nécessaire pour rentrer dans le bien de leurs aïeux.

À peine M. de Voltaire fut-il instruit de cette étrange manière dont le Père Fesse voulait servir la compagnie de Jésus, qu’il alla sur-le-champ déposer au greffe du bailliage de Gex la somme moyennant laquelle la famille Crassy devait payer les anciens créanciers et reprendre ses droits. Les jésuites furent obligés de se désister ; et, par un arrêt du parlement de Dijon, la famille fut mise en possession, et y est encore[1].

  1. Voyez tome XVI, page 100, la variante du chapitre LXIX de l’Histoire du parlement.