Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/407

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La postérité aura peine à croire que le roi de Portugal fit solliciter à Rome, pendant plus d’un an, la permission de faire juger chez lui des jésuites ses sujets, et ne put l’obtenir. La cour de Lisbonne et celle de Rome furent longtemps dans une querelle ouverte ; on alla même jusqu’à se flatter que le Portugal secouerait un joug que l’Angleterre, son alliée et sa protectrice, avait foulé aux pieds depuis si longtemps ; mais le ministère portugais avait trop d’ennemis pour oser entreprendre ce que Londres avait exécuté : il montra à la fois une grande fermeté et une extrême condescendance.

Les jésuites les plus coupables étaient en prison à Lisbonne ; le roi les y laissa, et prit le parti d’envoyer à Rome tous les jésuites de ses États. On les déclara bannis pour jamais du royaume ; mais on n’osait livrer à la mort trois jésuites accusés et convaincus de parricide. Le roi fut réduit à l’expédient de livrer du moins Malagrida à l’Inquisition, comme suspect d’avoir autrefois avancé quelques propositions téméraires qui sentaient l’hérésie.

Les dominicains, qui étaient juges du saint-office et assistants du grand-inquisiteur, n’ont jamais aimé les jésuites : ils servirent le roi mieux que n’avait fait Rome. Ces moines déterrèrent un petit livre de la Vie héroïque de sainte Anne, mère de Marie, dictée au révérend père Malagrida par sainte Anne elle-même. Elle lui avait déclaré que l’immaculée conception lui appartenait comme à sa fille, qu’elle avait parlé et pleuré dans le ventre de sa mère, et qu’elle avait fait pleurer les chérubins. Tous les écrits de Malagrida étaient aussi sages ; de plus, il avait fait des prédictions et des miracles : et celui d’éprouver, à l’âge de soixante et quinze ans, des pollutions dans sa prison, n’était pas un des moindres. (21 septembre 1761) Tout cela lui fut reproché dans son procès ; et voilà pourquoi il fut condamné au feu, sans qu’on l’interrogeât seulement sur l’assassinat du roi parce que ce n’est qu’une faute contre un séculier, et que le reste est un crime contre Dieu. Ainsi l’excès du ridicule et de l’absurdité fut joint à l’excès d’horreur. Le coupable ne fut mis en jugement que comme un prophète, et ne fut brûlé que pour avoir été fou, et non pas pour avoir été parricide.

Tandis qu’on chassait les jésuites du Portugal, cette aventure réveillait la haine qu’on leur portait en France, où ils ont toujours été puissants et détestés. Il arriva qu’un profès de leur ordre, nommé La Valette[1], qui était le chef des missions à la

  1. Voyez l’Histoire du Parlement, chapitre lxviii.