Panthéon égyptien/4

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Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 7-8).

AMON-RA.

(l’esprit des quatre éléments, l’ame du monde matériel.)
Planche 2 ter.

C’est parmi les riches décorations d’un cercueil de momie, faisant partie du Musée royal égyptien de Turin, que nous avons trouvé la divinité représentée sur cette planche. Les insignes qui surmontent sa coiffure, une sorte de vase flanqué de deux plumes d’autruche vertes, les cornes de bouc surmontées du disque, et deux uræus, furent, comme on le verra dans la suite, communs à plusieurs divinités égyptiennes ; le trait caractéristique de cette image sacrée consiste dans les quatre têtes de bélier, dont deux sont tournées vers la droite, et les deux autres vers la gauche. La coiffure bleue qui est censée les recouvrir, prend ici une forme toute particulière. Le corps du dieu, qui tient dans ses mains le sceptre de la bienfaisance et l’emblème de la vie, est tout entier de couleur verte, et l’inscription hiéroglyphique Ⲁⲙⲛ-ⲣⲏ ⲛⲏⲃ (ⲛ) ⲧⲡⲑ Amon-Ra seigneur du ciel, nous apprend que cette singulière image se rapporte à la plus grande des divinités de l’Égypte.

On trouve que cet Amon à quatre têtes de bélier est reproduit sur des monuments de divers genres. Il est sculpté sur la poitrine du Torse égyptien du Musée Borgia[1], fragment de statue du plus beau travail et d’un haut intérêt, puisqu’il est couvert d’une foule d’images, en pied, de divinités égyptiennes, accompagnées pour la plupart de légendes explicatives. Le dieu Amon est représenté assis, tenant les sceptres d’incitateur et de modérateur, au milieu d’un disque soutenu par les bras élevés, symbole de la supplication et des offrandes : quatre ailes partant des épaules du dieu rapprochent cette image de celle d’Amon-Ra Panthée, publiée dans notre planche 5.

On reconnaît encore cette image sur un genre particulier de monuments funéraires que nous avons nommés hypocéphales, parce qu’ils sont souvent placés sous la tête des momies humaines. Ce sont des disques, soit en bronze, soit en cartonnage de toile[2], gravés ou peints, et couverts de tableaux symboliques accompagnés de légendes. Amon à quatre têtes de bélier assis, et tenant les deux sceptres déjà indiqués, en occupe toujours le centre. Les scènes emblématiques dont ces hypocéphales sont couverts, sont toutes relatives à la cosmographie religieuse ; par leur forme, ces monuments rappellent celle du monde matériel ; et la place du grand-être cosmogonique duquel tout a procédé, était naturellement marquée au centre même de cette composition symbolique.

Il resterait à remonter au sens caché des quatre têtes de bélier qui caractérisent cette forme d’Amon-Ra ; et les monuments nous satisfont pleinement à cet égard.

Dans les textes égyptiens, en écriture sacrée, le bélier est très-fréquemment employé à la place de l’oiseau à tête humaine, et d’un oiseau de la classe des échassiers, tout-à-fait semblable à la grue. Ces trois caractères expriment l’idée générale ame ou esprit ; mais chacun d’eux présente cette idée avec une nuance particulière : le bélier désigne une ame ou un esprit divin du premier ordre ; la grue, une ame divine dans la quiétude, et l’oiseau à tête humaine, une ame humaine, unie au corps ou qui en a été séparée ; ces trois caractères symboliques sont alors accompagnés de l’image d’un encensoir, lequel est, soit la lettre b, initiale du mot bai, qui, suivant Horapollon[3], signifiait ame en langue égyptienne, soit l’emblème de l’adoration et du respect que méritent ces essences divines. Enfin les divinités considérées comme l’ame ou l’esprit directeur de l’univers, ou de l’une de ses subdivisions, sont toujours représentées avec une tête de bélier[4]. Les quatre têtes de cet animal, que porte l’image d’Amon-Ra, nous présentent donc ce dieu comme réunissant en lui-même les quatre ames ou esprits principaux qui régissent le monde.

Cette conclusion, tirée de faits généraux, est clairement confirmée par l’autorité irréfragable des monuments. Le zodiaque circulaire de Dendéra nous montre, en effet, dans la bande inférieure, celle qui représente les trente-six décans, quatre têtes de bélier groupées et surmontées du disque soutenu par deux cornes : c’est l’image du second décan des Poissons ; la petite légende qui la surmonte signifie simplement l’étoile ou la constellation des esprits ou des ames, et ce décan est situé entre le midi et l’orient, la région particulière d’Amon-Chnouphis. La même légende se lit également au-dessus du même décan, représenté, comme l’Amon-Ra, gravé sur notre planche, par un homme à quatre têtes de bélier, sur l’un des tableaux astronomiques[5], copiés dans les temples de l’Égypte : enfin un bas-relief du temple d’Esné va nous apprendre quels sont les quatre esprits représentés par cette image symbolique, lesquels étaient censés réunis dans Ammon-Ra, dont chacun d’eux n’était qu’une émanation.


Notes
  1. Aujourd’hui au Musée des Studj, à Naples.
  2. Le Musée royal du Louvre en possède six sous les nos P. 22 à 27.
  3. Livre IIe, hiérogl., 140.
  4. Voir nos planches 2, 3, et leur explication.
  5. Description de l’Égypte, A, vol. I, Edfou.

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