Panthéon égyptien/72

La bibliothèque libre.
Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l'ancienne Égypte, d'après les monuments
Firmin Didot (p. 161-162).

L’IBIS,

EMBLÊME VIVANT DE THOTH LE SECOND HERMÈS.
Planche 30 (E)

L’instituteur des sciences et des arts, le dieu qui civilisa l’espèce humaine, avait pour emblême l’ibis, oiseau dont les archéologues et les naturalistes modernes ont eu beaucoup de peine à reconnaître le genre et l’espèce, puisqu’on le confondit d’abord avec le héron et la cigogne, malgré le nombre immense de ses images gravées sur les monuments égyptiens existants en Europe. Bruce et les savants de l’expédition française en Égypte, ont, depuis, retrouvé ce même oiseau vivant, en Éthiopie comme en Égypte. M. Cuvier lui a conservé le nom d’ibis, et l’a rangé dans le genre Numenius.

Les Égyptiens connurent deux espèces d’ibis qui, toutes deux, jouaient un rôle important dans les mythes sacrés. La première, l’ibis blanc, connu en Éthiopie sous le nom d’Abou-Hannès, et en Égypte sous celui d’Abou-Mengel, a une partie de la tête et toute la gorge dénuées de grandes plumes ; son plumage est blanc, à l’exception de la tête, du cou, de l’extrémité des ailes et de la queue, qui sont de couleur noire. Celui de la seconde espèce, l’ibis noir appelé Hareiz par les habitants actuels de l’Égypte, est d’un noir à reflets très-riches, verts et violets ; le dessous du corps est d’un noir cendré qui devient marron foncé dans les vieux individus[1]. L’ibis blanc était consacré à Thoth ainsi qu’à la Lune[2], astre dont ce dieu paraît avoir été considéré comme le régulateur : car, suivant le dire des Égyptiens, cet oiseau s’occupe de ses œufs pendant toute la durée de la croissance et de la décroissance de la Lune. Il accommodait son régime d’après ses phases ; on ajoutait même que ses intestins se resserraient toujours au déclin de l’astre, et reprenaient toutes leurs dimensions lorsque la Lune reparaissait brillante de toute sa lumière[3].

Comme le dieu Thoth, l’ibis affectionnait particulièrement l’Égypte ; il habitait de préférence cette contrée, la plus humide de toutes, de la même manière que Thoth avait fixé sa demeure dans la Lune, la plus humide des planètes, suivant les Égyptiens. Selon Ælien, si quelqu’un emportait de force ou par surprise un ibis hors de l’Égypte, cet oiseau se laissait mourir de faim, et se vengeait ainsi de ses ravisseurs, en leur montrant l’inutilité de leurs efforts pour l’éloigner du pays qu’il aime exclusivement. Du reste, l’Ibis représentait convenablement le plus sage et le plus savant des dieux, s’il est vrai, comme le disaient les Égyptiens, que les ibis marchent d’une manière grave et posée, comme une jeune vierge, ne cheminant que pas à pas[4].

C’est principalement la première espèce d’ibis, l’ibis blanc, qui fut vénérée et nourrie avec soin par l’Égypte entière : c’est celle, du moins, dont l’image est la plus fréquente dans les peintures et les sculptures de style égyptien. Presque toutes les momies d’ibis, ouvertes et observées avec soin, ne présentent que l’espèce blanche ; d’où il résulte que l’ibis blanc était l’oiseau favori de Thoth, son symbole et celui de la Lune sur la Terre. Le dieu et l’oiseau étaient tellement identifiés dans les idées égyptiennes, qu’on attribuait le principe de la connaissance des nombres et des mesures à l’ibis même[5], et que son pas était devenu un étalon métrique.

Les récits populaires attribuaient surtout à l’ibis noir la destruction des serpents ailés. Ces serpents venaient de l’Arabie ; les ibis noirs se postaient, dit-on, sur les frontières de l’Égypte, combattaient ces redoutables ennemis, et les empêchaient de pénétrer dans l’intérieur du pays[6]. Hérodote prétend avoir vu des amas immenses d’os et d’arêtes de ces serpents détruits par les ibis noirs[7]. L’antiquité entière a reproduit cette assertion d’après le père de l’histoire ; mais les connaissances positives que la science moderne possède de la constitution et des habitudes des deux espèces d’ibis, ne permettent d’attacher aucune confiance à cette opinion sur l’oiseau consacré à Thoth, considéré comme le sauveur de l’Égypte parce qu’il détruisait de dangereux reptiles, les sauterelles, les chenilles, et éloignait les maladies contagieuses[8]. On disait aussi que l’ibis blanc rendait un service semblable à l’autre extrémité de l’Égypte vers l’Éthiopie, en empêchant les serpents des pays méridionaux d’entrer sur la terre sacrée. Ainsi, dans la croyance vulgaire, l’Égypte était défendue contre les reptiles venimeux par les deux espèces d’ibis ; les ibis noirs défendaient les frontières vers le nord, et les ibis blancs les frontières du sud.

L’ibis blanc fut nourri dans les temples et dans les maisons particulières, comme l’image vivante de Thoth sur la Terre : lorsque ces animaux mouraient, on déposait leurs corps, embaumés avec soin, dans des catacombes, soit à Hermopolis magna, dont les médailles portent la figure de cet oiseau[9], soit dans d’autres lieux de l’Égypte et surtout dans le voisinage de Memphis, où existe encore une incroyable quantité de momies de cette espèce d’oiseau, puisqu’on les y a comptées par milliers.


Notes
  1. Hérodote, liv. II, § LXXVI. Savigny, Histoire naturelle et mythologique de l’lbis, pag. 19 et suiv., 36 et suiv.
  2. Clément d’Alexandrie, Strom., lib. V. Ælien, De Naturâ Animal., lib. II, cap. XXXVIII.
  3. Ælien, De Natur. Animal., lib. II, cap. XXXV et XXXVIII ; lib. X, cap. XXIX.
  4. Idem, lib. II, cap. XXXVIII.
  5. Clément d’Alexandrie, Stromat., lib. V.
  6. Ælien, De Natur. Animal., lib. II, cap. XXXVIII.
  7. Livre II, § LXXVI.
  8. Cicéron, De Natur. Deor., lib. I, XXXVI. Eusèbe, Præp. Evangel., lib. II, § I, p. 49.
  9. Tochon, Recherches sur les Médailles de Nomes, pag. 114 et 116.

——— Planche 30 (E) ———