Paravents et Tréteaux/6

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Calmann Lévy, éditeur (p. 57-62).

LA CIGARETTE





Hier, pour la première fois
Depuis un mois, — tout un long mois ! —
Ô Georgette, que tu m’oublies,
Seul et triste, je retournai
Dans le petit coin fortuné
Où s’abritèrent nos folies.


Comme dans la chambre d’un mort
Je suis entré, faisant effort
Pour calmer mon cœur indocile,
Dans la chambrette aux rideaux sourds
Que pendant longtemps nos amours
Choisirent pour leur domicile.

Sur ces mille riens que tu sais,
Comme, tout rêveur, je laissais
Vagabonder ma main distraite…
Dans la petite tasse à thé
Que tu me donnas, cet été,
J’aperçus… une cigarette.

De quelque tabac étranger,
Sous ton doigt rapide et léger,
Tu l’avais faite, ma mignonne ;
Puis, quand ton amour s’envola,
La cigarette resta là…
Et, pour la fumer, plus personne.


Je la pris et je l’allumai.
Mais le nuage parfumé
Au plafond à peine s’élève,
Que ton fantôme gracieux
Soudain apparaît à mes yeux
Dans l’éblouissement d’un rêve.

Oui ! c’est toi !… vite ! ôte tes gants,
Ces gants maudits, ces intrigants
Qui me cachent tes mains mutines,
Et, montrant un peu de ton bas,
Au feu qui chantonne tout bas,
Grille le bout de tes bottines.

Faisons mille projets galants
Pour l’été qui vient à pas lents,
À travers un printemps morose,
Et que de beaux rêves dorés
Nous mènent là-bas, par les prés,
En coutil blanc, en robe rose !


Qu’ils nous emportent loin, bien loin,
Hors de la ville, dans un coin
Perdu sur la côte normande,
Où tous deux, la main dans la main,
Nous suivrons quelque vert chemin,
Tout petits, devant la mer grande !

Où, par les chauds après-midis,
Couchés dans le sable, engourdis
À l’ombre d’un rocher qui penche,
Nous verrons, — point brillant dans l’air, —
À la surface du flot clair
Se jouer la mouette blanche !

Et puis l’automne, les grands bois,
Et la forêt, où tant de fois
Nous errâmes à l’aventure,
Et les peintres de Barbizon
Peignant leurs « barbes de bison »
Bien mieux parfois que la nature !


Viens, ô Georgette !… L’univers
Est à nous, avec ses prés verts,
Et son soleil qui nous enivre…
Il est à nous avec ses fleurs,
Ses chants, ses parfums, ses couleurs…
Viens, ô Georgette, il fait bon vivre !

Eh ! quoi !… Tu ne me réponds pas ?
Voici que tu fuis de mes bras
Et t’arraches à mon étreinte…
Comme derrière un blanc linceul
Tu disparais… Seul, je suis seul !…
La cigarette s’est éteinte !

Mais mon amour s’est rallumé :
Je le sens !… je veux être aimé,
Ô Georgette, autant que je t’aime…
Quitter le chemin que tu suis !
Vivre loin de toi !… quand je suis
Une autre moitié de toi-même !


Ah ! reviens, fût-ce un seul moment !
Dans ce nid tranquille et charmant
Tout plein de nos amours discrètes…
Dans ce nid par toi délaissé,
Reviens bavarder du passé
Et me rouler des cigarettes !