Paris en l’an 2000/Corps législatif

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 117-123).

CHAPITRE V

GOUVERNEMENT.


§ 1er.

Pouvoir législatif.

Le Gouvernement de la République sociale est constitué par deux pouvoirs distincts ayant des attributions nettement séparées.

Le pouvoir législatif qui fait connaître les volontés du Peuple et leur donne la forme de lois.

Le pouvoir exécutif qui exécute les lois votées par les législateurs.

Du reste ces deux pouvoirs ont une origine commune, le suffrage universel. Les hommes qui les composent sont tous élus directement par le vote de leurs concitoyens et ne sont ainsi que les simples délégués du Peuple qui est et demeure le véritable souverain.

Les citoyens jouissent tous du droit de suffrage dès qu’ils ont atteint l’âge de leur majorité arrivant à 18 ans, et ils ne peuvent en être privés que par une décision de la justice alors qu’ils ont violé les lois du pays. Les femmes ne sont pas admises à voter ; mais elles prennent leur revanche en usant de leur influence pour diriger le vote de leurs maris, de leurs parents et de leurs connaissances, et en fait, bien qu’elles ne participent point au scrutin, ce sont elles qui font les élections et choisissent tous les membres du Gouvernement.


Les élections pour le Corps législatif ont lieu tous les ans et s’effectuent de la manière suivante.

Dans chaque circonscription électorale, les citoyens votent à bulletin ouvert pour les candidats de leurs choix.

Lorsque l’un de ceux-ci a réuni ainsi 1000 suffrages, il est déclaré élu et l’on cesse aussitôt de voter pour lui. Quant aux candidats qui à la fin du scrutin se trouvent avoir moins de 1000 voix, ils sont soumis à des ballotages jusqu’à ce que les plus heureux aient obtenu le nombre de suffrages nécessaire pour être nommés. Enfin, si après les ballotages il reste encore dans la circonscription plus de 500 électeurs n’ayant élu personne, ils peuvent par faveur choisir un député à eux 500 exactement comme s’ils étaient 1000.

En somme les députés de la République sociale sont nommés par 1000 électeurs seulement, électeurs dont ils connaissent les noms, la personne et la demeure et avec qui ils peuvent se mettre en rapport fréquent. Il leur est donc facile de consulter sur chaque question le sentiment de leurs commettants et de voter en conséquence.

C’est ce qu’ils ne manquent jamais de faire, aussi peut-on dire que le Peuple est réellement représenté par les membres du Corps législatif, et, quand ceux-ci ont voté une loi, c’est exactement comme si les citoyens l’avaient votée eux-mêmes.

Sous l’ancien régime, lorsque les législateurs étaient nommés au scrutin secret et par 35,000 votants, il en était tout autrement. Dans ce temps-là, les électeurs, n’étant pas connus personnellement par leur mandataire, ne pouvaient pas causer avec lui et lui faire connaître leur manière de voir sur chaque question. Aussi qu’arrivait-il ? C’est que les députés agissaient tout à fait à leur guise, et votaient suivant leur opinion à eux et non suivant celle de leurs électeurs. Avant le scrutin, ils faisaient les promesses les plus libérales pour s’attirer la faveur du public, mais une fois nommés, ils oubliaient tout et ne se souciaient plus guère de la volonté et des intérêts des citoyens dont ils se disaient les représentants.

Les députés de la République sociale, sont nommés pour une année seulement, mais ils sont indéfiniment rééligibles, et, comme ils s’efforcent de bien mériter de leurs électeurs, en fait ils sont presque toujours réélus et conservent leur mandat toute leur vie.

Les députés reçoivent de l’État un traitement convenable, mais il leur est interdit de remplir aucun autre emploi ni d’exercer aucune industrie tant que dure leur mandat. Chargés de représenter le Peuple, ils doivent se vouer entièrement à cette tâche et lui consacrer absolument tout leur temps. Tout cumul quel qu’il soit leur est donc défendu, et, quand les citoyens s’aperçoivent qu’un député remplit négligemment ses fonctions et ne leur accorde ni les soins ni le temps nécessaires, ils cessent de le nommer et en choisissent un autre plus diligent.

Une fois élus, les députés de la province ne viennent pas à Paris, mais ils restent dans leurs départements, bien à portée de leurs électeurs, et se rendent au chef-lieu où ils forment une Assemblée délibérante. Ces Assemblées provinciales ont exactement les mêmes droits que celle nommée par les habitants de Paris et résidant dans cette ville. Toutes délibèrent sur les affaires publiques, votent les lois d’intérêt général et possèdent au même degré la puissance législative dont elles sont partie intégrante.

Quand il s’agit d’une question intéressant le pays entier, le Gouvernement la soumet à tous les députés français, puis il compte les votes pour ou contre et suivant que la majorité a accepté ou repoussé la proposition, celle-ci passe ou est rejetée. Si au contraire il s’agit de lois purement locales, la discussion reste circonscrite dans l’Assemblée du département intéressé et les autres Corps législatifs ne s’en occupent pas.

Grâce au mode d’élection et à la constitution du Corps législatif national, celui-ci représente exactement la volonté du Peuple souverain et toutes les décisions qu’il prend sont inspirées par l’intérêt général et le désir d’assurer la prospérité du pays. Mais les députés ont encore d’autres fonctions presque aussi importantes que celle de faire des lois.

En rapport continuel avec leurs électeurs, ils en écoutent les réclamations et les portent à la connaissance du Gouvernement. Ainsi, quand un citoyen a une pétition à faire ou qu’il croit avoir à se plaindre de l’Administration, vite il s’adresse à son député qui prend fait et cause pour lui, expose ses griefs en pleine Chambre et donne à l’affaire toute la publicité désirable.

D’un autre côté, lorsque le Gouvernement a besoin de consulter l’opinion publique sur un sujet quelconque, il s’adresse au Corps législatif et le prie de nommer une commission. Celle-ci ouvre aussitôt une enquête, et son rapport, qui réfléchit toujours le véritable état des esprits, sert de ligne de conduite à l’Administration.

Une multitude de questions, qui autrefois étaient laissées à l’arbitraire du Pouvoir, sont soumises de cette façon au tribunal de l’opinion publique. Loin de s’en plaindre et de regretter ses attributions perdues, le Gouvernement multiplie ces enquêtes, trop heureux de diminuer ainsi sa responsabilité et de partager avec quelqu’un la lourde tâche d’administrer un grand peuple en contentant tout le monde.

Enfin, pour assurer la libre manifestation de l’opinion publique dont le Corps législatif est l’organe officiel, les citoyens ont toute liberté de se réunir et d’exprimer leurs pensées par la voie de la Presse.

Sans autorisation préalable, sans surveillance d’aucun commissaire, ils peuvent faire des réunions publiques et y discuter toutes les questions de la religion, de la politique et de l’économie sociale. Loin d’apporter aucun obstacle à ces assemblées, le Gouvernement les favorise au contraire en mettant des salles vastes et commodes à la disposition du public.

Dans la République sociale, la Presse jouit également d’une entière liberté. On n’y connaît ni les cautionnements, ni les droits de timbre et de poste, et chacun peut fonder un journal et y écrire ce qu’il veut sans crainte d’être condamné à l’amende ou à la prison.

Grâce à cette liberté, les feuilles politiques sont fort nombreuses, à très-bon marché, et pourtant très-bien faites. Rédigées en général par les députés du Corps législatif qui trouvent là un moyen commode de se mettre en rapport quotidien avec leurs électeurs, elles sont remplies jusqu’à la fin par des articles instructifs et intéressants et ne contiennent pas une seule annonce.

Ce sont elles qui représentent véritablement l’opinion publique, et, comme tous les citoyens sont abonnés au moins à un journal et lisent les autres dans les cabinets de lecture, le Peuple connaît parfaitement les affaires du pays et exerce réellement les pouvoirs exécutif et législatif qu’il a délégués à ses mandataires.