Paris en l’an 2000/Récompenses nationales

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Chez l’Auteur et la Librairie de la Renaissance (p. 147-152).

§ 6.

Récompenses nationales.

Si le Gouvernement s’est efforcé de rendre plus rare la nécessité de punir des coupables, par contre il a multiplié les occasions de donner des récompenses nationales à ceux qui ont bien mérité.

Ces récompenses nationales sont fort nombreuses.

D’abord ce sont les prix qu’on distribue tous les ans aux jeunes élèves qui se font distinguer par leur application et leur succès dans les examens. Ces sortes de prix ont une très-grande importance, et le Ministre de l’Instruction publique veille à ce qu’ils soient décernés avec la plus scrupuleuse impartialité. Non seulement ils récompensent le travail de l’enfant studieux et l’encouragent à persister dans ses efforts, mais ils servent plus tard au jeune homme quand il s’agit de prendre un état et de faire valoir ses aptitudes à choisir telle ou telle profession.

Les prix qu’on distribue dans les écoles sont donc des récompenses nationales sérieuses, et les élèves les considèrent comme tels. Pour les obtenir, les écoliers travaillent toute l’année avec ardeur, et entre eux ils ont de l’estime pour ceux qui remportent beaucoup de succès et les regardent comme leurs chefs naturels.

Dans les ateliers-modèles on a institué de même des récompenses nationales, que l’on distribue tous les ans aux jeunes apprentis qui se sont fait remarquer par leur assiduité au travail ou leur précoce habileté. Ces prix d’apprentissage sont des outils d’honneur précieusement travaillés et où sont gravés le nom et l’âge de ceux qui les ont obtenus.


Quand les jeunes gens sont devenus des travailleurs adultes, le Gouvernement continue toujours de les traiter comme des enfants et de récompenser leur travail et leur intelligence. Seulement les prix donnés changent de forme, et ce ne sont plus des livres ou des outils qu’on offre aux vainqueurs, mais des médailles d’or, d’argent et de bronze.

Tous les ans on fait dans chaque département des concours et des expositions pour tous les produits de l’Industrie, de l’Agriculture et des Beaux-Arts. Des commissions, nommées par le Corps législatif, examinent attentivement tous les objets exposés et la valeur des nouvelles inventions. Elles recherchent surtout avec soin à qui revient réellement le mérite des produits jugés dignes de récompense, si c’est au patron, à l’ouvrier, ou à tous les deux à la fois, et les médailles sont décernées en conséquence. De simples artisans, de modestes cultivateurs obtiennent ainsi fréquemment des récompenses nationales dont ils sont extrêmement fiers, parce qu’elles témoignent de leur habileté et les placent au-dessus de leurs camarades non médaillés.

Outre les Expositions départementales, tous les ans on fait à Paris un Concours général pour quelqu’une des branches de l’Industrie : l’ameublement, l’habillement, le travail des métaux, le bétail, les céréales, etc. Ne sont admis à ces Expositions générales que ceux qui ont déjà été médaillés dans leur département. On donne aux vainqueurs de grandes médailles, dites d’honneur, médailles fort ambitionnées parce qu’elles mettent ceux qui les obtiennent à la tête du travail français.


Il est des actes de dévouement et de courage qui méritent une récompense nationale, bien que ceux qui les ont faits aient agi avec le désintéressement le plus pur. Des commissions, tirées du sein du Corps législatif, sont chargées de rechercher tous les citoyens qui se sont distingués par quelque action héroïque, et on leur remet des médailles spéciales, qu’ils peuvent attacher sur leur poitrine de façon à mettre leur courage personnel en évidence.


Mais de toutes les récompenses nationales, celle qui est la plus recherchée et la plus estimée, celle que tous désirent avoir, c’est la récompense dite : « La République. »

C’est un petit joyau en or représentant l’image de la République, et qu’on peut facilement porter sur soi en l’attachant avec un ruban de couleur rouge. Ce joyau sert à récompenser tous les citoyens qui ont bien mérité de la Patrie et se sont distingués soit par quelque œuvre d’un mérite éclatant, soit par un long dévouement aux intérêts publics. Comme toutes les autres récompenses nationales, il est décerné indistinctement aux hommes et aux femmes. La seule différence, c’est que ces dernières portent toujours le joyau même, dont elles se font une ornement, tandis que les hommes se contentent du simple ruban rouge, à moins qu’ils ne soient en tenue de cérémonie.

Pour pouvoir récompenser encore ceux qui ont obtenu « La République, » et qui néanmoins continuent à se distinguer, on a créé plusieurs sortes de décorations, qu’on reconnaît entre elles au bijou même, qui est plus ou moins orné de pierreries, et aussi au ruban, qui forme un nœud ou une rosette plus ou moins compliqués. Il y a ainsi des « Républiques » de cinq classes, que l’on ne peut obtenir que successivement et en faisant preuve d’un mérite de plus en plus grand.

Le Gouvernement veille à ce que la récompense nationale de la « République » soit distribuée avec la plus scrupuleuse équité, et l’on peut dire avec raison qu’elle est décernée par l’opinion publique elle-même.

Tous les ans, le Corps législatif nomme des commissions pour rechercher quels sont les citoyens qui ont mérité d’être décorés ; puis, en séance publique, on discute les titres comparatifs des candidats et l’on dresse une liste définitive qu’on présente au Gouvernement. Celui-ci, lorsqu’il donne la « République » à quelqu’un, ne fait donc que ratifier le choix exprimé par les Représentants du pays. Aussi, cette décoration est-elle enviée au-delà de toute expression et pour l’obtenir, les citoyens se livrent aux travaux les plus opiniâtres et rivalisent de dévouement à la chose publique.

Quelques individus rigoristes se sont cependant élevés contre les récompenses nationales en général et particulièrement contre la décoration de la « République. » Ils prétendent que récompenser les citoyens quand ils ont bien mérité, c’est les traiter en enfants et que les Républicains purs n’ont pas besoin de semblables encouragements pour faire le bien, mais se contentent du témoignage intime de leur conscience. Le Gouvernement est tout à fait de cette opinion, mais le malheur, c’est que dans la France de l’an 2000, il y a très-peu de Républicains purs et énormément de Républicains ordinaires. L’Administration est donc obligée de se conformer aux goûts de la majorité et elle persiste à décorer tous les citoyens qui le méritent.