Paris ou les sciences, les institutions et les mœurs au XIXe siècle/État actuel du Muséum d’histoire naturelle

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V. — État actuel du Muséum d’histoire naturelle.


Nous avons vu le Jardin des Plantes sortir régénéré d’un vote de la Convention nationale. Cet établissement, qui avait langui durant près d’un siècle, sans réglemens fixes, sans lois précises, dont les savans, inégalement traités, n’avaient pas même le droit d’appeler auprès d’eux, à titre de coopérateurs, les hommes les plus distingués par leurs lumières ; cet établissement, dis-je, s’élève tout-à-coup du sein des ténèbres, et jette sur la marche des sciences naturelles un éclat qui s’accroît chaque jour. Un des articles du décret conventionnel avait disposé que le Muséum serait en correspondance avec tous les établissemens analogues qui existent dans les départemens. Cette loi, éclose d’une délibération de quelques heures, à la suite d’un entretien intime, au plus fort des événemens révolutionnaires, est donc, comme nous l’avons dit, celle qui régit au Jardin des Plantes, et par suite dans toute la France, on pourrait même dire dans toute l’Europe savante, les destinées de l’histoire naturelle.

Il y a, dans la force même des choses, un mouvement particulier qui consiste à isoler chaque branche d’instruction du tronc primitif de la science. C’est à ce mouvement qu’il faut attribuer les changemens survenus dans l’acte de fondation qui régla, en 1793, les destinées du Muséum d’histoire naturelle. D’anciennes chaires se démembrèrent par suite des progrès qu’avait faits l’objet de chaque enseignement ; de nouvelles se fondèrent sur les développemens qu’ont pris dans ces dernières années les idées générales ; il en résulte que le nombre des professeurs, fixé d’abord à douze, s’élève maintenant à quinze, sans qu’il soit possible de l’arrêter dans l’avenir à ce chiffre déjà très considérable[1]. Les embellissemens du jardin et du Muséum ont suivi la même marche. Chaque professeur étant tenu à administrer la partie de l’établissement qui relève naturellement de ses fonctions, ce petit monde a dû s’élever et s’accroître avec les progrès mêmes de la science. Parmi les fondations qui appartiennent à la renaissance du Jardin des Plantes, les plus importantes, sans contredit, sont celles de la ménagerie, du musée géologique, et du musée d’anatomie comparée.

L’architecture vint au secours des progrès de l’histoire naturelle pour donner à l’établissement la figure monumentale qui lui convenait. C’est en 1834, M. Thiers étant ministre, et M. Geoffroy Saint-Hilaire étant doyen des professeurs, que le gouvernement réalisa le projet utile de bâtir de nouveaux palais à la science. Aujourd’hui le Jardin des Plantes embrasse tous les règnes de la nature ; sous ses constructions de verre, aériennes et légères comme des demeures de fées, il couvre sans les cacher les arbres exotiques, et les chauffe aux plus tièdes ardeurs de notre soleil languissant ; dans les cages à barreaux de fer de sa ménagerie, il enferme les animaux féroces et soumis ; dans les vastes bâtimens du Muséum, il nous montre les dépouilles de la nature morte et conservée par la main des hommes ; dans les salles de géologie, il tient en sa puissance les trésors d’un ancien monde enfoui et retrouvé. L’établissement est une nouvelle arche de Noé où tous les êtres de la création sont représentés. Un professeur commis à chaque sorte de production naturelle veille pour en maintenir et en accroître le dépôt. Un déluge de barbares viendrait à couvrir le monde civilisé des flots de l’invasion et des ténèbres de l’ignorance, que l’univers, actuellement connu, se sauverait une seconde fois, dans l’intérieur de cette arche, et se maintiendrait au-dessus du cataclysme, tant que le Jardin des Plantes demeurerait debout.

Si nous cherchons à résumer l’histoire du Jardin des Plantes, nous verrons que cette création a eu, comme la nature, dont elle est la représentation amoindrie, de véritables époques. À chacune de ces époques se rattache un nom qui la résume et la caractérise ; nous avons ainsi l’époque Gui la Brosse, c’est celle de la fondation ; l’époque Fagon, l’établissement se régénère ; l’époque Buffon, le Jardin des Plantes grandit et se transforme ; l’époque Lakanal, le Muséum d’histoire naturelle se refonde sur une idée politique d’unité ; l’époque Cuvier, l’institution s’accroît et procède sans relâche au solennel enregistrement des choses créées ; l’époque Thiers, la magnificence des bâtimens égale en quelque sorte la majesté de la nature ; enfin, l’époque Geoffroy Saint-Hilaire ; c’est l’âge des larges conceptions et des vues raisonnées sur l’ensemble des lois qui président à l’économie universelle des êtres. Ce dernier âge ne fait encore qu’apparaître : il recevra des travaux modernes une extension croissante ; peut-être même les recherches d’hommes étrangers au Muséum doivent-elles concourir, par un autre ordre de lumières, à l’achèvement de cette philosophie de la science.

Nous ne dirons rien de la distribution ni des curiosités du jardin : on peut chercher ces détails ailleurs. Une seule circonstance attire chemin faisant notre attention, c’est l’élévation de terrain, autour de laquelle règne une allée en spirale, bordée d’arbustes, et qui conduit à un belvédère. Cette petite colline, qui fait maintenant un des ornemens du jardin, était autrefois connue sous le nom de Bute des Coupeaux : sur cette butte était un moulin à vent qui agitait ses ailes. Sauval nous apprend que ce fut de son temps qu’on enferma le champ avec le monticule dans le Jardin des Plantes. L’origine d’une telle élévation est assez curieuse pour être rapportée. L’habitude d’entasser en certains endroits des débris de tout genre, forma, avec le temps, dans la ville de Paris, des collines de gravois, des montagnes d’immondices, auxquelles on donna le nom de buttes, de voiries, de mottes, de monceaux. C’est à de semblables amas que durent leur existence la butte Saint-Roch, jadis rivale de Montmartre, aplanie ensuite sous Louis XIV ; un village entier nommé le village de Villeneuve-de-Gravois, et construit sur une hauteur, le monceau Saint-Gervais, la motte aux Papelards, et enfin la butte aux Copeaux. Ces collines artificielles, ouvrages lents et fortuits de la main de l’homme, ont eu pour résultat de changer la configuration primitive du sol de Paris. De tels changemens (et c’est la raison pour laquelle il convient de les signaler ici) présentent, dans l’intérieur de la grande ville, une faible image des formations naturelles qui, sur une bien autre échelle, et dans des temps très anciens, ont refait, bossué, accru, bouleversé la physionomie antique du globe.

À présent que nous avons jeté un regard sur l’histoire générale du Muséum d’histoire naturelle, nous allons entrer dans chacune des grandes divisions de l’établissement, qui représentent une branche de la science. Le Muséum comprend en effet dans son unité toutes les variétés des trois règnes. Au milieu des richesses de la nature dont cet établissement est pour ainsi dire le bazar, de cet ensemble d’êtres vivans ou conservés qui ont fait du Jardin des Plantes un petit monde dans le grand, l’esprit aime à se reposer avant tout sur une division morale ; Il y a une ligne qui sert de limite intermédiaire aux deux grandes époques de la création ; et cette ligne, c’est le déluge. Les naturalistes reconnaissent deux systèmes d’animaux, et, comme ils disent, deux zoologies : l’une qui s’étend depuis l’origine du monde jusqu’à la grande et dernière inondation qu’on suppose avoir recouvert le globe ; l’autre qui se montre à partir de cet événement jusqu’à nos jours. La première est la zoologie antédiluvienne ; la seconde est la zoologie moderne. L’ordre des temps et des faits nous conseille de commencer par la plus ancienne. C’est dans le musée de géologie où ont été placés les restes d’animaux aujourd’hui plus ou moins inconnus dans la nature, que nous allons suivre d’abord les événemens de l’histoire du globe, et relier la chaîne des temps anciens à celle des temps modernes de la création.

  1. Voici en quelques mots l’histoire de ces variations et de ces accroissemens dans le corps enseignant du Muséum. La première organisation était, comme nous l’avons dit, de douze chaires ; il en fut ajouté une après coup (Reptiles et Poissons), par suite du démembrement de la chair des Vertébrés : ce fut Lacépède qui l’occupa. Le nombre des professeurs revint ensuite au chiffre de douze, à cause de la suppression de la chaire d’Iconographie, confiée, dans l’origine, à Vanspaendonck, peintre du cabinet. Les officiers du jardin ayant trouvé que les artistes ne concordaient pas assez bien avec les savans, ou remplaça le titulaire mort par deux maîtres de dessin, simplement attachés à l’administration : ce furent Huet et Redouté, l’un pour les animaux et l’autre pour les végétaux. À la mort de Lamarck, on divisa la chaire des Animaux sans vertèbres en deux chaires, l’une pour histoire des Insectes et des Articulés, l’autre pour l’histoire des Mollusques et des Zoophytes : la première fut donnée à Latreille, la seconde à M. de Blainville. Voilà le nombre des professeurs du Muséum reporté à treize. Enfin, deux nouvelles chaires furent créées dans ces derniers temps, l’une de Physique pour M. Becquerel, l’autre de Physiologie comparée pour Frédéric Cuvier ; c’est celle qu’occupe maintenant M. Flourens.