Paula Monti/II/XI

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Paulin (Tome 2p. 98-107).
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Deuxième partie


CHAPITRE XI.

LE RENDEZ-VOUS.


Ce matin-là même M. de Brévannes devait rencontrer madame de Hansfeld au Jardin-des-Plantes.

Il s’y rendit vers onze heures.

La lecture du livre noir, ce mystérieux confident des plus intimes pensées de Paula, avait donné au mari de Berthe presque des espérances ; les secrets qu’il croyait avoir surpris se résumaient ainsi :

« Madame de Hansfeld se reprochait de ne pas haïr assez M. de Brévannes, meurtrier de Raphaël.

« Le prince la rendait si malheureuse, qu’elle désirait sa mort. »

Iris avait surtout recommandé à M. de Brévannes de ne faire en rien soupçonner à la princesse qu’il connaissait, pour ainsi dire, ses plus secrètes pensées.

Ce conseil servait trop les intérêts de M. de Brévannes pour qu’il ne le suivît pas scrupuleusement.

Madame de Hansfeld venait à cette entrevue avec moins de sécurité que M. de Brévannes ; elle le savait capable de la calomnier indignement ; la portée de ses calomnies pouvait être terrible et arriver jusqu’à M. de Morville.

Paula devait donc beaucoup ménager cet homme qui lui inspirait une aversion profonde, et lui témoigner une menteuse bienveillance, afin de paralyser pendant quelque temps ses médisances.

Mais madame de Hansfeld ne s’abusait pas… Du moment où M. de Brévannes se verrait joué, il se vengerait par la calomnie, et sa vengeance pouvait avoir une funeste influence sur l’amour de M. de Morville.

Le plus léger soupçon devait être mortel à cet amour idéal, désintéressé, romanesque, et surtout basé sur une estime et sur une confiance réciproques.

Madame de Hansfeld se rendit au Jardin-des-Plantes avec Iris, malgré l’horreur que lui inspiraient les crimes de cette jeune fille. Elle n’avait pu se passer d’elle dans cette circonstance.

Onze heures sonnaient lorsque Paula et la bohémienne arrivèrent au pied du labyrinthe ; le froid était vif, le jour pur et beau ; dans cette saison les promeneurs sont rares, surtout en cet endroit ; les deux femmes atteignirent le fameux cèdre sans rencontrer personne.

M. de Brévannes était depuis une demi-heure assis au pied de cet arbre immense ; il se leva à la vue de madame de Hansfeld.

Celle-ci cacha difficilement son émotion ; après plusieurs années elle revoyait un homme qu’elle avait tant de raisons de détester. Son cœur battit avec violence, elle dit tout bas à Iris de ne pas la quitter.

M. de Brévannes, vain et orgueilleux, interpréta cette émotion à son avantage ; il contemplait avec ravissement l’admirable figure de Paula, que le froid nuançait des plus vives couleurs. Sa taille charmante se dessinait à ravir sous une robe de velours grenat fourrée d’hermine.

Le mari de Berthe se laissait entraîner aux plus folles espérances en songeant qu’à force d’opiniâtreté il avait obtenu un rendez-vous de cette femme, qui réunissait tant de grâces à tant de dignité, tant de charmes à une si haute position sociale ; ce qui, pour M. de Brévannes, n’était pas la moindre des séductions de la princesse.

Plein d’espoir et d’amour, il s’approcha de Paula et lui dit respectueusement :

— Avec quelle impatience, madame, j’attendais ce moment… Combien je vous sais gré… de votre excessive bonté pour moi !

— Vous savez mieux que personne, monsieur, par qui cette démarche m’est imposée — dit amèrement la princesse en faisant allusion aux menaces de M. de Brévannes.

— Je vous comprends, madame — dit M. de Brévannes ; — mais si vous saviez dans quel égarement peut vous jeter une passion violente à laquelle on est en proie depuis des années ? Ah ! que de fois je me suis souvenu avec délices de ce temps où je vous voyais chaque jour… où, à l’abri de l’amour que je feignais pour votre tante…

— Assez, monsieur… assez… vous ne m’avez pas sans doute demandé cet entretien pour me parler d’un passé… que pour tant de raisons vous devez tâcher d’oublier.

— L’oublier… le puis-je ? Ce souvenir a effacé tous les souvenirs de ma vie.

— Veuillez me répondre, monsieur. En insistant avec tant d’opiniâtreté pour obtenir ce rendez-vous, quel était votre but ?

— Vous parler de mon amour plus passionné que jamais, vous intéresser… presque malgré vous, aux tourments que je souffre…

— Écoutez, monsieur de Brévannes — dit froidement Paula en l’interrompant — il y a deux ans, vous m’avez une fois parlé de votre amour… je ne vous ai pas cru… Le silence que vous avez ensuite gardé sur cette prétendue passion m’a prouvé que votre aveu était sans conséquence… Lorsqu’on m’a dit votre obstination à me rencontrer ici, j’ai attribué ce désir à un tout autre motif que celui de me parler d’un amour qui m’offense et qui me rappelle d’atroces calomnies…

— Eh bien ! je ne vous parlerai plus de cet amour… je me contenterai de vous aimer sans vous le dire… Attendant tout du temps, de la sincérité du sentiment que je vous porte, permettez-moi seulement de vous voir quelquefois… J’aurais pu demander à l’un de nos amis communs de vous être présenté ; j’ai préféré d’attendre votre agrément avant de tenter cette démarche.

— Je ne reçois que quelques personnes de mon intimité, monsieur — reprit sèchement Paula. — M. de Hansfeld vit très seul… il m’est impossible… surtout après votre étrange aveu, de changer en rien mes habitudes.

M. de Brévannes ne put réprimer un mouvement de dépit et de colère qui rappela à madame de Hansfeld qu’elle devait ménager cet homme ; elle ajouta d’un ton plus familier :

— Songez, de grâce, à tout ce qui s’est passé à Florence… et avouez qu’il m’est impossible de vous recevoir… lors même que je le désirerais.

Ces derniers mots, seulement dits par madame de Hansfeld pour adoucir l’effet de son refus, parurent à M. de Brévannes fort encourageants. Il se souvint à propos des confidences du livre noir, et prit la froideur contrainte de la princesse pour de la réserve et de la dissimulation à l’endroit d’un amour qu’elle ne voulait pas s’avouer encore ; il crut devoir ménager ces scrupules, certain qu’après quelques refus de pure convenance, Paula lui accorderait les moyens de la voir.

M. de Brévannes reprit :

— Je n’ose vous supplier encore, madame, de permettre que je vous sois présenté. Pourtant… quel inconvénient y aurait-il ? croyez-moi, loin d’abuser de cette faveur… j’en userais avec la plus extrême réserve…

— Je vous assure, monsieur, que cela est impraticable… Sous quel prétexte d’ailleurs ?… que dirais-je à M. de Hansfeld ?

— Que j’ai eu l’honneur de vous connaître en Italie… Et puis, un homme marié — ajouta-t-il en souriant — n’inspire jamais de défiance. Je pourrais même, et seulement pour la forme, avoir l’honneur de vous amener madame de Brévannes… quoiqu’elle ne soit pas digne de vous occuper un moment.

Cette proposition de M. de Brévannes frappa vivement Paula.

Sachant le prince très épris de Berthe, elle ne put dissimuler un sourire d’ironie en entendant M. de Brévannes parler de présenter sa femme à l’hôtel Lambert.

Un vague pressentiment dont madame de Hansfeld ne put se rendre compte, lui dit que cette circonstance pourrait peut-être servir un jour sa haine contre M. de Brévannes. Elle reprit avec un embarras affecté :

— Si cela était possible… j’aurais le plus grand plaisir à connaître madame de Brévannes… car j’ai beaucoup de raisons pour croire que vous la jugez trop sévèrement. Aussi, dans le cas où il me serait permis de vous recevoir, ce serait uniquement, entendez-vous bien, uniquement à cause de madame de Brévannes ; je vous en préviens, monsieur.

— Il en est toujours ainsi, les femmes n’ont pas de meilleure amie que celle à qui elles enlèvent un mari ; elle s’est trahie — se dit M. de Brévannes — et il reprit tout haut :

— Vous sentez, madame, combien je serais heureux de tout ce qui pourrait rendre mes relations avec vous plus suivies ; permettez-moi donc alors, pour l’amour de madame de Brévannes — dit-il avec un nouveau sourire — de vous la présenter en vous demandant la permission de l’accompagner quelquefois.

— Très rarement, monsieur, surtout dans les premiers temps de ma liaison avec madame de Brévannes — ajouta madame de Hansfeld après un moment d’hésitation.

— Je ne veux pas chercher les raisons qui vous obligent à agir ainsi, madame… mais je m’y soumets.

Et il pensa :

— C’est un chef-d’œuvre d’habileté sans doute ; le prince est jaloux ; elle veut d’abord éloigner les soupçons de son mari, et capter la confiance de ma femme.

— À ces conditions — reprit madame de Hansfeld en baissant les yeux — je vous permettrais de me présenter madame de Brévannes… mais il serait formellement entendu que désormais vous ne me diriez jamais un mot… d’un amour aussi vain qu’insensé.

— Je demanderais une modification à cette clause, madame… Je m’engagerais à faire tout au monde pour vous oublier… seulement, afin de m’encourager et de me fortifier dans ma bonne résolution, vous me permettriez quelquefois de venir vous instruire des résultats de mes efforts… et comme selon vos désirs je ne vous verrais que très rarement chez vous… vous daigneriez peut-être quelquefois m’accorder les moyens de vous rencontrer ailleurs ?

— Monsieur…

— Seulement pour m’entendre vous dire que je tâche de vous oublier… Le sacrifice que je fais n’est-il pas assez grand pour que vous m’accordiez au moins cette compensation ?

— C’est une étrange manière d’oublier les gens que celle-là… Mais si vous la croyez d’un effet certain, monsieur… un jour peut-être je consentirai à revenir ici.

— Ah ! madame, que de bontés !

— Mais prenez garde, si je ne suis pas satisfaite des progrès de votre indifférence, vous n’obtiendrez pas une seule entrevue de moi.

— Je crois pouvoir vous promettre, madame, que vous n’aurez pas à regretter la grâce que vous m’accordez…

Après un moment de silence, Paula reprit :

— Vous devez trouver surprenant, monsieur, qu’après ce qui s’est autrefois passé entre nous…

— Madame…

— Je n’en veux pas dire davantage… Un jour vous saurez le motif de ma conduite et de ma générosité… Mais il se fait tard, je dois rentrer… Dites-moi quelle est la personne qui me présentera madame de Brévannes ?

— Madame de Saint-Pierre, cousine de M. de Luceval. Elle avait bien voulu m’offrir ses bons offices.

— Je la rencontre, en effet, assez souvent dans le monde. Rappelez-lui donc cette promesse, monsieur… et j’accueillerai sa demande…

— Vous vous retirez déjà ?… Mon Dieu ! j’aurais tant de choses à vous dire… Encore un mot, encore… de grâce !…

— Impossible… Iris, venez…

La jeune fille revint auprès de sa maîtresse, et descendit les rampes du labyrinthe après avoir échangé un regard d’intelligence avec M. de Brévannes.

Le mari de Berthe devait être d’autant plus dupe du stratagème d’Iris au sujet du livre noir, que, par suite des révélations de la bohémienne au sujet de l’infidélité de Raphaël, Paula n’avait pas témoigné l’horreur qu’elle aurait dû ressentir à la vue du meurtrier de son fiancé.

Cette circonstance donnait une nouvelle autorité au recueil des pensées intimes de madame de Hansfeld.

M. de Brévannes, aussi glorieux que ravi de l’empressement de madame de Hansfeld à se rapprocher de Berthe, se crut le seul et véritable motif de cette liaison, qui devait sans doute, plus tard, assurer et faciliter ses relations journalières avec Paula.

En attendant avec une vive et confiante impatience le moment de connaître par le livre noir l’impression vraie que cette entrevue avait causée à madame de Hansfeld, M. de Brévannes rentra donc chez lui le cœur léger et content.

Peu de temps auparavant, Berthe était revenue de chez son père triste et accablée ; elle venait de voir M. de Hansfeld, sans doute pour la dernière fois ; il lui fallait à tout jamais renoncer aux doux et beaux rêves dont elle s’était bercée.

Apprenant que sa femme était chez elle, M. de Brévannes s’y rendit à l’instant même.