Pausanias, Béotie-1, chapitre III

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Traduction par M. Clavier.
J.-M. Eberhart (5p. 23-28).

CHAPITRE ΙII.


Courroux de Junon. Fêtes appelées Dédales. Caverne des Nymphes Cithéronides.

ON dit que Junon irritée, on ne sait pourquoi, contre Jupiter, se retira dans l'Eubée ; Jupiter ne pouvant, à ce qu'on prétend, la déterminer à revenir, alla vers Cithaeron, alors roi de Platées, qui ne le cédait en sagesse à personne. Il conseilla à Jupiter de faire faire une statue de bois, de la voiler et de la conduire sur un char attelé de bœufs, en disant que c'était Platée, fille d'Asopus, qu'il allait épouser.

Jupiter suivit le conseil de Cithéron ; Junon instruite sur-le-champ de ce mariage, accourut promptement ; mais lorsqu'elle se fut approchée du char, et qu'elle eut déchiré le vêtement de la statue elle vit avec plaisir qu'on l'avait trompée et qu'au lieu d'une femme c'était une statue en bois ; elle se réconcilia donc avec Jupiter. Les Platéens célèbrent en mémoire de cette réconciliation, des fêtes appelées Dédales, parce qu'on donnait anciennement le nom de Dédales à toutes les statues en bois. On les appelait ainsi, à ce que je crois, même avant que Dédale, fils de Palamaon, fût né à Athènes ; je pense même qu'il n'avait pas reçu ce nom en naissant ; mais que c'était un surnom qu'on lui avait donné plus tard, à cause de son habileté à faire des statues en bois.

Les Platéens célébrent les Dédales tous les sept ans, à ce que m'a dit l'Exégète du pays ; mais à dire la vérité, ils les célèbrent plus souvent ; malgré mes recherches, il ne m'a pas été possible de déterminer au juste l'intervalle qu'il y a d'une de ces fêtes à l'autre : voici comment ils les célèbrent.

Il y a dans la Béotie à peu de distance d'Alalcomènes un bois de chênes, le plus grand qui soit dans cette contrée, on y trouve de très gros troncs de chêne ; les Platéens viennent dans ce bois et y mettent des morceaux de viande cuite ; ils ne font aucune attention aux autres oiseaux, mais ils observent avec soin les corbeaux qui s'approchent, et ils examinent sur quel arbre va se poser celui qui a pris un de ces morceaux de viande, et après avoir coupé cet arbre, ils en font le Dédale, ( c'est le nom qu'ils donnent à la statue en bois) : cette fête est particulière aux Platéens ; ils la nomment les petits Dédales ; ils ont encore les grands Dédales que les Béotiens célèbrent en commun avec eux ; ils ne les célèbrent que tous les soixante ans, parce que, disent-ils, cette fête fut discontinuée pendant un pareil espace de temps à cause de l'exil des Platéens. Ils ont quatorze statues en bois qui ont été préparées, une chaque année, dans les petits Dédales elles sont tirées au sort par les Platéens, les Coronéens, les Thespiens, les Tanagréens, les Chéroniens, les Orchoméniens, les Lébadiens et les Thébains ; car ces derniers, lorsque Cassandre, fils d'Antipater, eut rétabli leur ville, demandèrent à se réconcilier avec les Platéens, à être admis à l'assemblée commune, et à envoyer des sacrifices aux Dédales. Quant aux autres villes moins importantes, elles se réunissent plusieurs pour une statue.

Le tirage fait, ils parent ces statues sur les bords de l'Asope, et les ayant mises chacune sur un char, ils placent auprès une femme comme pour mener l'épouse au mari ; ils tirent alors de nouveau au sort pour déterminer l'ordre dans lequel chacun sera placé pour la procession ; on conduit ensuite ces chars des bords de l'Asope vers le sommet du Cithéron, où on a préparé d'avance un autel fait de la manière suivante : on arrange des pièces de bois carrées en les mettant les unes sur les autres, comme si c'était des pierres ; lorsqu'on est parvenu à une certaine hauteur, on y ajoute des broussailles et du menu bois ; les villes et les associations des petites villes, sacrifient chacune une vache et un taureau à Jupiter, et après avoir rempli de vin et de parfums les victimes, ils les brûlent sur l'autel avec les Dédales. Quant aux particuliers, les gens riches font comme les villes, ceux qui le sont moins, offrent des bestiaux d'une moindre valeur ; mais il faut que tout soit brûlé ensemble ; le feu prend à l'autel lui-même qui est consumé avec les victimes, et cela produit une flamme qui s'élève très haut et qu'on aperçoit de très loin.

Sur le même sommet où l'on érige cet autel, et en descendant environ quinze stades, on trouve l'autel des nymphes Cithéronides, qu'on nomme l'antre Sphragidium ; la tradition est que ces nymphes y rendaient autrefois des oracles.