Paysages et Sentiments/Promenades

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Esquisses et Souvenirs
Société du Mercure de France (p. 145-149).




PROMENADES




Je goûte encore, comme autrefois, un entretien mélancolique ou railleur avec les paysages des environs de Paris ; et nous savons, eux et moi, nous donner le mot sur plus d’une chose…

A la gare de L…, j’avais pris la diligence pour F… C’était par un de ces matins d’été où le soleil fait trembler l’ombre des feuilles sur la route.

Ce doux tremblement m’allait au cœur et je ne songeais pas à me plaindre d’une forte odeur de prise que répandaient de hauts colis, mes seuls compagnons de voyage. Ces colis étaient destinés au prochain bureau de tabac.

Nous roulions entre deux files de ces peupliers qui sont tout grâce dans leurs corselets d’argent.

Lorsque nous arrivâmes à F…, midi sonnait à l’horloge de la vieille église juchée sur un tertre, derrière un bouquet d’arbustes à la sombre verdure.

Je m’assis pour boire, devant le seuil d’un cabaret. Un pan de mur, un peu courbé, y formait angle et protégeait contre le chaud du jour.

En face s’ouvrait une large grille, qui laissait voir une cour en contre-bas, pleine de fumier. Des poules gloussaient, un coq chanta. Un chat tigré regardait devant lui, immobile. Un beau rosier grimpait sur le mur, à côté d’une échelle dressée. Des géraniums égayaient une lucarne.

Trois ou quatre vaches vinrent devant la grille, menées par une vieille à chapeau de paille. Les bêtes allaient, roulant leurs flancs, dodelinant de leurs têtes lourdes aux prunelles olympiennes.

Des bouchers, des boulangers faisaient halte, dans leurs voiturettes, devant les maisons et les boutiques. O la belle viande, le bon quignon de pain !

Une jeune servante passa, rapide, dans un char-à-bancs ; assise entre des corbeilles vides, un nœud d’écarlate dans ses cheveux.

Je n’ai point entendu, ce jour-là, crier dans sa carriole le marchand de peaux de lapin, dont la voix me berçait jadis dans mes courses, de Fontenay-aux-Roses à Saulx-les-Chartreux.

… Dans l’après-midi, le mal du passé me ramena au village de R… J’entrai dans ce jardin, — mes délices ! — et je souris amèrement envoyant comme le temps y avait rendu les arbres drus, et comme il avait renforcé leurs feuillages…

… L’autre semaine, je partis pour une douce vallée qu’illustra, au commencement du siècle dernier, le séjour d’un grand écrivain, beau ténébreux classico-romantique.

A l’auberge, des couples mangeaient et buvaient dans les kiosques et sous les charmilles. Je préférai la salle du haut où je fus seul. J’écartai les rideaux des quatre fenêtres donnant sur la route ; en face, un immense parc déployait l’écran de ses frondaisons séculaires, et je pus ainsi jouir d’une véritable pénombre verte.

Soudain des cris et des fanfares éclatèrent. C’était une bande joyeuse, en chapeaux et cocardes de carnaval, qui prenait l’auberge d’assaut. Et tous ces gens soufflaient à perdre haleine dans des buccins et des conques en carton. On eût pu les croire du cru, mais c’étaient des fourreurs de Paris, qui s’en donnaient à cœur joie.

Je les laissai pour regarder par une fenêtre, de l’autre côté.

Je vis une petite voiture arrêtée, là, contre la clôture du parc. Elle était attelée d’un jeune mulet qui faisait jouer ses oreilles de la façon la plus intéressante. Bien assuré sous ses œillères, l’animal prenait tranquillement sa pitance dans un sac qui lui emprisonnait la mâchoire…

Songez-vous quelquefois à l’âme des bêtes ?

… Une douce pluie trempe et enveloppe la nature.

Les ormes, les acacias, les platanes, le long du chemin ; à gauche, un enclos de pêchers et de poiriers ; plus loin, la lisière d’un taillis ; même les fusains, dans leurs caisses, devant l’auberge ; — tout semble respirer avec joie sous l’humidité.

Une maison de paysans laisse béer sa porte ; et, sur ce trou noir, je distingue frémir le réseau fin de la pluie.

Des charrettes passent ; des chiens, tout mouillés, le poil collé, rasent les murs.

De la banne sous laquelle je suis à couvert, l’eau s’égoutte en perles et vient troubler les flaques sur le sol…

… O Arcueil aux nobles arcs romains, ô Bièvre, riant village, j’aime à me promener à travers vos campagnes, et le souvenir de Ronsard vous rapproche davantage de mon cœur.

Plus d’une fois, dans le soleil ou dans l’ombre, confondant en mon esprit le présent avec le passé, j’ai foulé le rapide chemin qui dévale le long de l’aqueduc d’Arcueil. Il me souvient qu’un matin de septembre, c’est par un autre côté que j’ai gagné le village. J’ai longé les ruelles qui partent de la route d’Orléans. Il pleuvait. C’était une de ces douces pluies qui me prennent dans leur réseau léger, délicieusement.

L’eau coulait entre les pavés avec un murmure. Des poules picoraient au chant clair du coq. Le foin entassé dans les cours sentait l’humidité, et, sur le seuil des portes, des paysans silencieux regardaient dans le vide.

J’ai souvent aussi fait le voyage de Bièvre. Au temps où j’étais encore semblable au rapide fils de Pélée, je m’y rendais pédestrement, en partant de Malakoff. Quel plaisir j’ai goûté un jour au milieu de la route, à voir tomber autour de moi des grêlons tandis que je m’abritais sous un grand arbre aux branches et au feuillage drus ! Maintenant je prends le chemin de fer pour aller me promener mélancoliquement sur la route ombreuse qui va de Bièvre à Vauboyen. Et il m’est arrivé quelquefois de rimer, tout en marchant, des vers faciles :

Dans la vallée
Au creux charmant
La Bièvre coule
Et se déroule
Comme un ruban.