Pendant l’orage/L’Auxiliaire

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Librairie ancienne Édouard Champion (p. 21-22).

L’AUXILIAIRE



30 octobre 1914.


C’était, avant la guerre, une position militaire sans éclat, mais de tout repos. L’auxiliaire, quel que fût son âge, était celui dont on n’a pas besoin. On le laissait donc vaquer paisiblement à ses affaires et, pourvu qu’il se présentât à certaines revues annuelles et même plus espacées, on se tenait pour satisfait. Cependant l’heure est venue où on a eu besoin de tout le monde et l’auxiliaire a été utilisé à toutes sortes de besognes, fort peu en rapport, la plupart du temps, avec ses occupations civiles. J’en connaissais un qui était professeur dans un lycée de province, myope, peut-être, mais robuste et de belle apparence. Mobilisé dès le premier jour, on le désigna pour l’emploi de fossoyeur et, depuis, mélancolique et sans gloire, à la suite des armées françaises, il creuse des tombes. J’allais dire que c’est une destinée shakespearienne, parce que je pensais à la scène d’Hamlet et du fossoyeur. C’est plutôt du Scarron ou du Lucien. C’est bien du Lucien, que la besogne qui est échue à un autre soldat auxiliaire, connu dans les lettres. Il fut soudainement mué en brûleur de café. Il fit ce que l’on voit faire dans les petites rues de Paris aux garçons épiciers : il tourne la manivelle parmi une odorante fumée. Cela dut lui paraître bien drôle les premiers jours. Je suis sûr qu’il pensait à Philippe de Macédoine devenu savetier aux enfers. Puis il languit à ce métier improvisé, devint malade, faillit mourir. Pauvre auxiliaire ! Un fusil, peut-être, lui eût mieux convenu.