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Pensées de Marc-Aurèle (Couat)/09

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Traduction par Auguste Couat.
Texte établi par Paul FournierFeret (p. 183-206).
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Livre IX

1

Celui qui commet l’injustice est impie. En effet, la nature universelle a créé les êtres raisonnables les uns pour les autres[1] ; elle a voulu qu’ils s’entr’aidassent les uns les autres selon leur mérite, et qu’ils ne se fissent jamais aucun tort. Celui qui transgresse cette volonté[2] de la nature est évidemment impie envers la plus antique des divinités.

Celui qui ment est également impie à l’égard de la même divinité. En effet, la nature universelle comprend toute réalité. Or, tout être est parent[3] de toute réalité. En outre, la nature s’appelle aussi vérité ; elle est la cause première de tout ce qui est vrai. Celui qui ment avec intention est donc impie, en tant que c’est une injustice de tromper ; celui qui ment sans le savoir l’est aussi, en tant qu’il se met en désaccord avec la nature universelle et qu’il dérange le monde en entrant en lutte avec la nature du monde. Il lui fait la guerre, en effet, en se portant, même involontairement, vers ce qui est contraire à la vérité. Il a négligé les moyens[4] qu’il avait reçus de la nature de distinguer le faux du vrai, au point qu’il n’en est plus capable.

Impie aussi celui qui poursuit le plaisir comme un bien et qui fuit la douleur comme un mal. Celui-là, en effet, ne peut manquer d’accuser souvent[5] la nature [commune] de répartir injustement ses dons entre les bons et les méchants, parce que les méchants vivent souvent dans le plaisir et possèdent ce qui le procure, tandis que les bons vivent dans la douleur et sont exposés à ce qui la fait naître. En outre, celui qui craint la douleur craindra, sans doute, ce qui survient dans le monde ; or, c’est là une impiété. D’autre part, celui qui poursuit les plaisirs ne s’abstiendra pas de commettre l’injustice ; voilà encore une incontestable impiété. Ceux qui veulent suivre la nature doivent donc, d’accord avec elle, être prêts également à ce qu’elle admet également, car elle n’aurait pas créé les biens et les maux si elle ne les admettait également. Ainsi donc, celui qui n’est pas également prêt à la douleur et au plaisir, à la mort et à la vie, à la gloire et à l’obscurité, que la nature admet également[6], celui-là est évidemment impie. Je dis que la nature les admet également. Cela signifie que ces choses arrivent également à tous les êtres qui naissent et se succèdent, comme la conséquence logique[7] d’un antique décret de la Providence, qui, ayant à l’origine décidé à un certain moment d’organiser ce monde, conçut telle et telle raisons[8] et détermina telle et telle forces génératrices des êtres à venir, avec leur existence, leurs métamorphoses, leur succession, telles que nous les voyons.

2

Il serait digne d’un homme supérieur[9] de sortir du milieu des hommes sans avoir même goûté au mensonge, à l’hypocrisie, à la luxure et à l’orgueil. Il y a encore une ressource, si l’on échoue[10], c’est de mourir dégoûté de tout cela. Préférerais-tu demeurer auprès du vice, et l’expérience ne te persuade-t-elle pas encore de t’enfuir loin de cette peste ? La corruption de la pensée est une peste [en effet, et bien] plus terrible que celle qui altère et corrompt l’air dont nous sommes enveloppés. Celle-ci n’est que la peste des êtres vivants en tant qu’êtres vivants ; l’autre est la peste de l’homme, en tant qu’homme.

3

Ne méprise pas la mort ; fais-lui, au contraire, bon visage, parce qu’elle est aussi voulue par[11] la nature. La dissolution de notre être[12] est un fait naturel, tout comme la jeunesse et la vieillesse, comme grandir, être adulte, avoir des dents, de la barbe, des cheveux blancs, comme la procréation, la grossesse, l’enfantement et les autres phénomènes qui arrivent avec les saisons de la vie. L’homme se conforme donc à la raison, lorsqu’au lieu de se montrer vis-à-vis de la mort mal disposé[13], emporté, orgueilleux, il l’attend comme un des actes de la nature[14]. Et de même que tu attends en ce moment le jour où ton enfant sortira du ventre de ta femme, accueille de même l’heure où ton âme s’échappera de son élytre. Mais veux-tu une règle, sans doute assez vulgaire, capable néanmoins de fortifier ton cœur[15] ? Ce qui te rendra surtout bienveillant pour la mort, c’est d’examiner les objets qui t’entourent, et dont tu vas te séparer, c’est de te dire avec quelles mœurs ton âme ne sera plus mêlée. Ne t’irrite pas cependant le moins du monde contre ceux-ci[16] ; tu dois, au contraire, t’intéresser à eux et les traiter avec douceur, mais en te rappelant que ces hommes dont tu vas être délivré n’ont pas les mêmes dogmes[17] que toi. Un seul motif, si même il pouvait y en avoir un, était capable de t’attirer vers la vie et de t’y rattacher, c’eût été de vivre avec des hommes professant les mêmes dogmes[18]. Mais tu vois maintenant comme tu es las des désaccords qui te séparent de ceux avec qui tu vis. Tu en arrives à t’écrier : Viens plus vite, ô mort, de peur que je ne finisse par m’oublier moi-même !

4

Celui qui commet une faute la commet contre lui-même, celui qui commet une injustice la commet contre lui-même[19] en se rendant méchant.

5

On est injuste souvent par ce que l’on ne fait pas autant que par ce que l’on fait.

6

Il suffit que notre jugement présent soit et se sache vrai[20], que notre action présente soit une action de solidarité, que notre disposition présente nous fasse accueillir favorablement tout ce qui nous vient de la cause universelle.

7

Efface[21] tes représentations, contiens les mouvements de ton âme[22], étouffe tes désirs ; sois maître de[23] ton principe dirigeant.

8

Une seule âme vivante a été répartie entre les animaux dépourvus de raison, une seule âme intelligente[24] distribuée entre les animaux raisonnables. Il n’y a qu’une terre pour toutes les choses terrestres[25] ; une seule lumière nous éclaire et nous respirons le même air, nous tous qui vivons et qui y voyons.

9

Tout ce qui participe à une nature[26] commune est attiré vers son semblable. Ce qui est de nature terrestre rampe vers la terre, ce qui est humide coule vers ce qui est humide ; pareillement, ce qui est aérien. C’est à ce point qu’il faut des obstacles pour en maintenir de force la séparation. Le feu s’élève dans l’air, attiré par le feu élément[27], et il conserve sur la terre une telle aptitude à confondre sa flamme avec celle d’un autre feu que toute matière tant soit peu sèche s’enflamme aisément, et d’autant mieux qu’elle est moins mêlée d’éléments qui s’opposent à l’incandescence. Par conséquent, tout ce qui participe à une [commune] nature intelligente est aussi attiré vers son semblable, et l’est même davantage. Car plus l’intelligence l’emporte sur tout le reste, plus elle est disposée à se mêler et à se confondre avec ce qui est de même origine qu’elle. Voilà pourquoi l’on remarque déjà chez des animaux, privés de raison des essaims, des troupeaux, une éducation des petits et des espèces d’amours[28] ; c’est que déjà il y avait en eux des âmes ; c’est qu’on peut découvrir en ces êtres plus avancés un instinct qui travaillait à les réunir et qui n’existait pas encore[29] dans la plante, la pierre, ni le bois. Chez les animaux doués de raison, il y a des gouvernements, des amitiés, des maisons, des associations et, pendant la guerre, des traités et des armistices. Parmi les êtres encore plus parfaits, et qui sont éloignés les uns des autres, il y a cependant une sorte d’unité, par exemple parmi les astres[30]. Ainsi, le progrès des êtres arrive à créer entre eux la sympathie, même quand ils sont séparés les uns des autres[31]. Vois pourtant ce qui se passe autour de toi. Les êtres intelligents ont seuls oublié cette bienveillance et ces liens réciproques ; il n’y a que chez eux qu’on ne découvre pas ce concours sympathique[32]. Néanmoins, les hommes ont beau se fuir : ils sont repris ; la nature est la plus forte. Observe, et tu remarqueras ce que je viens de dire. On verrait plutôt un objet fait de terre détaché de tout élément terrestre, qu’un homme entièrement séparé de tout homme.

10

L’homme porte son fruit, comme Dieu, comme le monde[33] ; chaque être porte son fruit dans sa saison. Peu importe que l’usage n’emploie ce mot qu’à propos de la vigne ou de choses semblables. La raison a aussi son fruit commun à tous et propre à chacun[34] ; de ce fruit en naissent d’autres de même nature que la raison elle-même.

11

Si tu le peux, dissuade-les[35] ; sinon rappelle-toi que c’est pour ce cas que la bienveillance t’a été donnée. Les Dieux eux-mêmes[36] sont pleins de bienveillance pour de tels hommes ; ils sont même assez bons parfois pour leur venir en aide, soit qu’ils désirent la santé, la richesse ou la gloire. Tu peux en faire autant ; ou bien dis-moi qui t’en empêche.

12

Travaille, non comme un malheureux, non pour te faire plaindre ou admirer. N’aie point d’autre volonté que d’agir ou de te contenir[37] comme la raison l’exige pour le service de la cité.

13

Aujourd’hui même je suis sorti des difficultés qui m’embarrassaient, ou plutôt j’ai écarté ces difficultés, car elles n’étaient pas au dehors, mais au dedans de moi-même, dans mes jugements[38].

14

Tout ceci[39] est devenu banal par l’usage, la durée en est éphémère, la matière vile. Tout est maintenant comme du temps de ceux que nous avons ensevelis.

15

Les choses restent à notre porte les unes sur les autres, ne sachant et ne révélant rien d’elles-mêmes. Qui est-ce qui nous les fait connaître ? Le principe dirigeant.

16

Le bien et le mal de l’être raisonnable et sociable résident dans son activité et non dans sa sensibilité, de même que dans son activité et non dans sa sensibilité résident ses vices et ses vertus.

17

Lancez une pierre ; elle ne sent pas plus de mal à tomber que de bien à monter[40].

18

Pénètre dans leur[41] for intérieur[42], et tu verras quels juges tu redoutes, et comment ils se jugent eux-mêmes.

19

Tout est dans un changement continuel. Toi-même tu ne cesses pas de changer[43] et de mourir par quelque côté ; il en est de même de l’univers tout entier.

20

Il faut laisser là[44] les fautes des autres.

21

La fin d’une action, le repos et pour ainsi dire la mort d’un désir et d’un jugement ne sont point un mal. Repasse maintenant la suite des âges de la vie, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, la vieillesse ; tous les changements[45] de l’un à l’autre sont autant de morts. Y a-t-il là rien de terrible ? Repasse maintenant la vie que tu menais avec ton grand-père, puis avec ta mère, ensuite avec ton père ; enfin, après avoir découvert en toi bien d’autres différences, et d’autres changements, [et d’autres morts partielles], demande-toi : y avait-il là rien de terrible ? Il n’y a donc rien non plus de terrible[46] dans un arrêt, dans un repos, dans un changement de la vie tout entière.

22

Considère sans tarder ton propre principe dirigeant[47], celui de l’univers et celui de cet homme : le tien, pour t’en faire une raison pénétrée de justice[48] ; celui de l’univers, afin de te rappeler de quel tout tu fais partie[49] ; celui de cet homme, afin que tu sache s’il agit par ignorance ou avec réflexion, et que tu réfléchisses en même temps à la parenté qui vous unit.

23

Comme tu es toi-même né pour contribuer à parfaire l’organisme social, ainsi, que chacune de tes actions contribue à parfaire[50] la vie de la société. Toute action qui ne se rapporte[51] pas immédiatement ou de loin à cette fin commune est dans ta vie un élément de discorde et de sédition ; elle en rompt l’unité, de même que dans un peuple l’homme qui, pour sa part, s’écarte de l’unanime accord des volontés.

24

Colères et jeux d’enfants, petites âmes portant des cadavres[52], cela ne fait-il pas assez bien comprendre l’évocation des morts [dans l’Odyssée][53] ?

25

[Va droit[54] à la détermination du principe efficient et formel. Considère-le, abstraction faite de la matière. Suppute ensuite tout le temps que peut exister l’individu ou la chose en question][55].

26

Tu as souffert mille peines parce qu’il ne te suffisait pas que ton principe dirigeant fît ce pour quoi il a été constitué[56] : mais en voilà assez[57].

27

Les autres te blâment-ils, te haïssent-ils, parlent-ils de toi de telle ou telle manière, pénètre au fond de leurs âmes[58] et regarde ce qu’ils sont. Tu verras qu’il ne faut pas te tourmenter afin qu’ils aient de toi une opinion quelconque. Néanmoins, sois bon pour eux ; ils sont tes amis d’après la nature. Les Dieux aussi[59] les aident de toute façon, par des songes, par des oracles[60], à obtenir précisément ces biens qui leur tiennent à cœur[61].

28

Le monde tourne toujours dans le même cercle, en haut, en bas, de siècle en siècle[62]. Ou bien l’intelligence universelle se met en mouvement pour chaque objet particulier, et, s’il en est ainsi, tu dois suivre ce mouvement ; ou bien elle s’est mise en mouvement une fois pour toutes, et chaque événement est la conséquence de cette impulsion unique : et alors pourquoi te troubler ? ou enfin… Autant vaut parler des atomes, des indivisibles[63]. Bref, s’il y a un Dieu, tout va bien ; s’il n’y a que le hasard, tâche de ne pas t’abandonner toi-même au hasard.

Bientôt la terre nous recouvrira tous ; puis elle changera elle-même ; puis les choses changeront à l’infini ; puis encore à l’infini[64]. Contemple ces marées [des changements et] des métamorphoses[65] et leur marche rapide ; tu mépriseras alors tout ce qui est mortel[66].

29

La cause universelle est comme un torrent ; elle emporte tout. Qu’ils sont simples, ces pauvres hommes d’État, qui s’imaginent agir en philosophes[67] ! Les morveux[68] ! Fais donc, ô homme, si jamais tu dois le faire[69], ce que la nature réclame [maintenant][70] de toi. Entreprends l’œuvre qui t’est donnée[71] et ne regarde pas autour de toi si on le sait. N’espère pas la république de Platon. Sois satisfait si les choses font un pas en avant, et considère ce résultat comme un succès. Qui pourra, en effet, changer les principes sur lesquels se règlent les hommes ? Et pourtant, en dehors de ce changement, y a-t-il autre chose que servitude, gémissements, convictions feintes ? Et maintenant, parle-moi d’Alexandre, de Philippe, de Démétrius de Phalère. Je les suivrai[72] s’ils ont compris la volonté de la nature universelle, s’ils ont su être leurs propres pédagogues. S’ils n’ont, au contraire, été que des acteurs tragiques, personne ne m’a condamné à les imiter. L’œuvre de la philosophie est simple et modeste ; ne me pousse pas à l’orgueil.

30

Regarde de haut ces troupeaux innombrables, ces innombrables cérémonies, toutes ces traversées entreprises sur des mers orageuses ou tranquilles, cette variété de gens qui naissent, vivent autour de loi, et meurent. Pense aussi à tous les autres qui ont vécu autrefois, et à ceux qui vivront après toi, et à ceux qui vivent en ce moment chez les peuples barbares. Que d’hommes ne connaissent même pas ton nom ! Combien l’oublieront bien vite ! Combien, après t’avoir loué peut-être aujourd’hui, te dénigreront demain ! Conclus que rien n’a aucun prix, ni la mémoire des hommes, ni la gloire, ni quelque autre chose que ce soit.

31

Ne te laisse jamais troubler[73] par les événements qui proviennent de la cause extérieure[74] ; observe la justice dans toutes les actions dont la cause[75] est en toi ; je veux dire[76] que le but de toutes tes tendances et de toutes tes actions doit être précisément d’agir pour la cité, parce que cela est conforme à ta nature.

32

Tu peux supprimer nombre de causes vaines de trouble qui n’existent que dans ton jugement[77]. Tu te mettras largement à l’aise en embrassant par la pensée le monde entier, en réfléchissant à la durée éternelle, aux transformations rapides de toutes choses, en toutes leurs parties, en voyant combien est court le temps qui sépare, pour chaque être, la naissance de la dissolution, tandis que le temps antérieur à la naissance est infini, et sans terme également[78] celui qui suivra la dissolution.

33

Toutes les choses que tu vois périront bientôt et ceux qui les auront vues périr périront bientôt à leur tour. L’homme mort à l’extrême vieillesse en sera au même point que celui dont la mort aura été prématurée.

34

Que sont les âmes[79] de ces hommes ? De quoi se préoccupent-ils ? Quels sont les mobiles de leur amitié et de leur estime ? Suppose que tu vois leurs âmes toutes nues. Ils croient nuire par leurs blâmes ou se rendre utiles[80] par leurs louanges. Quelle présomption !

35

La perte de la vie n’est qu’une transformation. Ces transformations plaisent à la nature universelle dont la sagesse a fait naître toutes les choses, les a fait naître de toute éternité suivant le même type et ne cessera d’en produire de semblables à l’infini. Que dis-tu donc ? Que tout a été et sera toujours mal, et que parmi tant de Dieux il ne s’en est pas trouvé un qui eût la puissance d’y remédier, et que le monde est condamné à une suite indéfinie de misères !

36

La pourriture est le fond de la matière dont se compose chaque être vivant ; c’est de l’humeur, de la poussière, des os, de la puanteur. D’autre part, les marbres[81] ne sont que les callosités de la terre ; l’or et l’argent en sont les sédiments ; nos vêtements ne sont que des poils de bêtes ; la pourpre n’est que du sang, et de même pour tout le reste. Le souffle vital n’est, lui-même, pas autre chose ; il change en passant d’un être à l’autre[82].

37

En voilà assez de cette vie misérable, et de toutes ces plaintes, et de toutes ces singeries ! Qu’est-ce qui te trouble ? Qu’y a-t-il de nouveau dans tout cela ? Qu’est-ce qui te met hors de toi ? Le principe efficient et formel[83] ? Vois ce qu’il est. La matière ? Vois aussi ce qu’elle est. En dehors du principe efficient et de la matière, il n’y a rien. Hâte-toi plutôt d’être au regard des Dieux plus simple et meilleur. C’est la même chose d’avoir observé ce monde pendant cent ans ou pendant trois ans[84].

38

S’il a commis une faute, c’est là qu’est le mal[85]. Mais peut-être n’en a-t-il pas commis.

39

Ou bien il n’y a qu’une intelligence, source unique de tout, d’où proviennent les événements qui atteignent les choses faisant comme un corps unique[86], et il ne convient pas que la partie se plaigne de ce qui lui arrive dans l’intérêt du tout ; ou bien il n’y a que des atomes et, par suite, rien que désordre et dispersion. Pourquoi donc te troubler ? Dis à ton principe dirigeant[87] : tu n’es plus qu’une bête brute, faite pour la mort et la corruption ; tu joues ton rôle, tu fais partie du troupeau et tu te repais avec lui.

40

Ou les Dieux ne peuvent rien, ou ils peuvent quelque chose. S’ils ne peuvent rien, pourquoi les prier[88] ? S’ils peuvent quelque chose, au lieu de leur demander d’écarter de toi ceci ou cela, ou de te le procurer, pourquoi ne les pries-tu pas plutôt de faire que tu n’éprouves ni crainte, ni désir, ni chagrin, à propos de ceci ou de cela[89] ? En effet, s’ils peuvent venir en aide aux hommes, ils le peuvent aussi en ce point. Mais peut-être diras-tu : « Les Dieux m’ont accordé ce pouvoir. » Eh bien, ne vaut-il pas mieux user librement de ce qui est en ton pouvoir que de te porter[90], en t’abaissant au rôle d’un esclave, vers ce qui ne dépend pas de toi ? Qui t’a dit, d’ailleurs, que les Dieux ne nous aident pas également pour ce qui est en notre pouvoir ? Commence donc par les prier à ce propos, et tu verras. Un tel fait cette prière : Comment pourrais-je posséder cette femme ? Toi, tu feras celle-ci : Comment pourrais-je ne pas désirer posséder cette femme ? Un autre : Comment me débarrasser de ceci ? Et toi : Comment n’avoir pas besoin de m’en débarrasser ? Un autre : Oh ! si je pouvais ne pas perdre mon enfant ! Et toi : Oh ! si je pouvais ne pas craindre de le perdre ! En un mot, dirige dans ce sens tes prières et observe ce qui arrivera.

41

Épicure dit : « Quand j’étais malade, je ne m’entretenais pas des souffrances de mon[91] corps, et je ne parlais jamais de ce sujet à ceux qui venaient me voir. Je continuais comme auparavant à philosopher sur la nature[92] ; je m’appliquais à savoir comment notre pensée, tout en participant à ces mouvements intérieurs de la chair[93], pouvait demeurer tranquille et conserver ce qui est son bien propre. Je ne permettais pas non plus aux médecins de se flatter de leur importance ; ma vie était encore calme et heureuse. » Imite son exemple, dans la maladie[94] et dans toutes les autres circonstances. C’est une recommandation commune à toutes les écoles de ne point s’écarter de la philosophie au milieu de tous les accidents et de ne point partager les propos frivoles des ignorants et des profanes. Il faut être uniquement attentif à ce que l’on fait et à l’instrument avec lequel on le fait

42

Lorsque tu t’es heurté à l’impudence d’un homme, demande-toi immédiatement : est-il possible qu’il n’y ait pas d’impudents dans le monde ? Ce n’est pas possible. Ne demande donc pas l’impossible. Cet homme est, en effet, un de ces impudents qui existent nécessairement dans le monde. Fais-toi le même raisonnement à propos des scélérats, des traîtres et de toutes les espèces de gens vicieux. En te rappelant qu’il est impossible que de telles gens n’existent pas, tu seras plus bienveillant pour chacun d’eux. Il est bon aussi de te demander immédiatement quelle vertu la nature a donnée à l’homme contre tel vice. Elle lui a donné, en effet, comme contre-poison, la douceur contre l’ingratitude, et contre chaque autre vice une vertu particulière. Enfin, tu peux instruire et ramener dans le droit chemin celui qui s’en est écarté, car toute faute égare l’homme et l’éloigne du but de la vie. D’ailleurs, as-tu éprouvé un dommage ? Mais aucun de ceux contre qui tu t’irrites n’a jamais rien fait de tel que ta pensée[95] en valût moins ; or, c’est en cela seulement que consiste tout mal, tout dommage. Qu’y a-t-il donc de mauvais et d’étrange pour toi à ce que l’ignorant[96] agisse en ignorant ? Vois plutôt si tu ne devrais pas te reprocher à toi-même de n’avoir pas prévu qu’un tel homme commettrait une telle faute. La raison t’avait donné le moyen[97] de comprendre que [vraisemblablement] cet homme commettrait cette faute, mais tu l’as oublié et tu t’étonnes qu’il l’ait commise. C’est surtout lorsque tu reproches à quelqu’un son ingratitude ou son manque de foi qu’il faut faire ce retour sur toi-même. C’est évidemment ta faute ou d’avoir cru qu’un homme doué d’un tel caractère[98] garderait sa foi, ou, en lui rendant service, de l’avoir fait incomplètement et sans penser recueillir[99] immédiatement par ton action elle-même [tout] le fruit du bienfait. Que veux-tu de plus quand tu fais du bien à un homme ? Ne te suffit-il pas d’avoir agi conformément à ta nature, et cherches-tu à en tirer un salaire[100] ? C’est comme si l’œil voulait être récompensé d’y voir et les pieds de marcher. De même que ces organes ont été créés pour une certaine fonction, et qu’en la remplissant selon leur constitution [propre][101], ils reçoivent tout ce qui leur revient, de même l’homme né bienfaisant, quand il rend un service, quand il vient en aide aux autres pour des choses en elles-mêmes indifférentes[102], ne fait qu’accomplir sa fonction naturelle, et il a tout ce qui lui est dû.

  1. [Cf. supra II, 1 ; V, 16 ; V, 30 ; VII, 55 ; VIII, 59, etc.]
  2. [Couat : « Celui qui transgresse l’ordre de la nature. » — Cf. supra IV, 49, 4e note.]
  3. [Couat : « Or, toutes les parties de la réalité sont unies entre elles par des liens étroits. » — Il m’a semblé que peut-être οἰκείως voulait être traduit avec plus de précision ; ensuite que la distinction — si vague qu’elle fût — de τὰ ὅντα et τὰ ὑπάρχοντα pouvait être maintenue dans la traduction. La pensée de Marc-Aurèle est celle-ci : « L’homme ne peut pas plus être indifférent, à plus forte raison hostile, à la réalité, donc à la vérité, qu’à un allié ou à un parent. »]
  4. [D’après Stobée (Ecl., II, 162), les Stoïciens entendaient par ἀφορμὴ, le contraire de l’ὁρμή, c’est-à-dire un « mouvement de l’âme qui se détourne d’un objet ». Mais ils ont en même temps conservé l’acception usuelle et classique du mot, le sens que M. Couat lui donne ici. Sauf peut-être en un passage (XII, 17), où ἀφορμὴ n’est restitué que par conjecture, Marc-Aurèle désigne toujours ainsi (IX, 42 ; X, 12) les « moyens » de savoir la vérité ou de se conduire suivant la justice. Cf. aussi Épictète (Diss. IV, 1, 51) : ἔχεις ἀφορμὰς τῆς φύσεως πρὸς εὕρεσιν τῆς ἀληθείας.

    Les « moyens » de connaissance que Marc-Aurèle appelle ici ἀφορμαὶ sont surtout la raison et le pouvoir de suspendre son jugement. Il faut, sans doute, y joindre certaines croyances innées et communes à tous les hommes, dont le consentement universel suffit, pour les Stoïciens, à garantir la certitude, les κοιναὶ ἔννοιαι ou προλήψεις (Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 74) : ici le verbe προειλήφει en rappelle au moins le nom.]

  5. [Cf. supra VI, 16.]
  6. [Cf. supra II, 11.]
  7. [Le texte du passage est contesté. M. Couat a traduit la leçon du manuscrit A, qui est devenue celle de M. Stich : κατὰ τὸ ἐξῆς τοῖς γινομένοις καὶ ἐπιγινομένοις ὁρμῇ τινι ἀρχαιᾳ τῆς προνοίας. Dans la vulgate τοῖς manque. Coraï s’est autorisé de cette lacune pour corriger le texte de A, où l’article indispensable aurait été, selon lui, arbitrairement replacé. Il lit : τοῖς κατὰ τὸ ἐξῆς γινομένοις, ce qui fait presque un pléonasme avec les deux mots qui suivent. N’y aurait-il pas là une glose ? M. Rendall l’a pensé.

    Le sens ordinaire de κατὰ τὸ ἐξῆς dans les Pensées ne me paraît guère justifier ces deux corrections. Suivie le plus souvent d’un régime au datif (voir l’Index de M. Stich), cette expression marque moins la succession que la conséquence logique. D’autre part, les dernières lignes du présent article expriment un déterminisme absolu, qui fait tout découler d’un acte initial et unique de la Providence : ce n’est pas la première fois (voir la dernière note au livre VII) que nous rencontrons cette doctrine dans les Pensées. Il est extrêmement vraisemblable que les mots κατὰ τὸ ἐξῆς tiennent lieu ici de la formule habituelle κατ´ ἐπακολούθησιν.

    C’est du moins ainsi que les a interprétés M. Couat. — Je me demande si les mots κατὰ τὸ ἐξῆς n’ont pas été déplacés dans les manuscrits. La phrase serait beaucoup plus claire s’ils précédaient immédiatement ὁρμῇ τινι.]

  8. [Couat : « en conçut l’ordre logique et détermina la loi des puissances génératrices des êtres à venir. » — Évidemment, le mot λόγους et la périphrase qui l’accompagne, δυνάμεις γονίμους, désignent ici les « raisons séminales », que j’ai définies à la seconde note de l’article IV, 14.]
  9. [Sur le sens de χαριέστατος, cf. la 4e note à la pensée VI, 14.]
  10. [Le proverbe δεύτερος πλοῦς (cf. Platon, Phédon, 99 D), dont les mots « si l’on échoue » ne donnent qu’une traduction bien terne, désigne la navigation à la rame, lorsque le vent contraire ne permet pas de tendre les voiles, et par suite tout expédient qui, à défaut du meilleur moyen, permet encore de se tirer d’affaire. — Couat : « Il y a encore une bonne manière de les quitter. »]
  11. [Var. : « parce qu’elle est aussi une des lois de la nature. »]
  12. [Couat : « de notre corps. »]
  13. [Couat : « téméraire. » — C’est ὁλοσχερῶς que M. Couat essaye de traduire ainsi. Pierron avait écrit « méprisant » ; Barthélemy-Saint-Hilaire « oublieux » ; M. Michaut « préoccupé ». Ὁλοσχερῶς ne signifie ni l’un ni l’autre ; il ne signifie rien ici. J’ai admis la conjecture de M. Rendall, δυσχερῶς.]
  14. [Cf. supra III, 7.]
  15. [Couat : « de fortifier particulièrement ton cœur. » — L’adverbe que j’ai supprimé semble traduire pour la seconde fois ἰδιωτικόν, qui l’a été très exactement — et suffisamment — par les mots « assez vulgaire » (cf. supra II, 10, en note).]
  16. [Couat : « contre les hommes. » — Renan (Marc-Aurèle6, p. 480) : « Ce n’est pas qu’il faille te brouiller avec eux ; loin de là. » Sur cet emploi assez fréquent du pronom αὐτῶν, αὐτοῖς, αὐτοὺς dans les Pensées, cf. supra VI, 6, en note. Marc-Aurèle ne désigne ainsi « que d’une manière vague ceux qu’il a en vue. Il paraît bien, ajoute Renan (l. l.), que Commode était du nombre. »]
  17. [Couat : « croyances. » — De même un peu plus bas. Cf. supra VIII, 47, 1re note ; III, 16, note finale (en Appendice) ; VIII, 14, etc.]
  18. τὰ τοιαῦτα δόγματα. C’est avec raison que Gataker a substitué à cette leçon τὰ αὐτὰ δόγματα.
  19. [Cf. supra IV, 26.]
  20. [Couat : « Il suffit de juger et de comprendre actuellement les choses, d’agir actuellement dans un esprit de solidarité, d’être actuellement disposé à accueillir… » Sur le sens de καταληπτικός, cf. supra VII, 13, 3e note.]
  21. [Cf. supra VII, 29.]
  22. [Couat : « tes tendances. » — Cf. supra VIII, 7, 3e note.]
  23. [Var. : « tiens la bride à. »]
  24. [Sur la distinction de l’« âme » et de l’« âme raisonnable », cf. supra III, 16, 1re note. À la fin de la présente pensée, le mot ἔμψυχα est au verbe ἀναπνέομεν dans le même rapport qu’ὁρατικὰ au verbe ὁρῶμεν. On peut donc préciser ici — en ajoutant « vivante » — la traduction de ψυχή, d’autant plus qu’en d’autres passages le même mot signifie « la raison ».]
  25. [Voir la pensée suivante.]
  26. [Var. : « Tout ce qui provient d’une origine commune. » — Cf. supra IV, 4, et la seconde note.]
  27. [Marc-Aurèle, comme on l’a vu (VI, 17, en note rectifiée aux Addenda), distingue le « feu élément » du feu « artiste » ou éther, qui l’entoure et l’emporte dans son mouvement. Le feu terrestre ne se distingue du feu élément que par sa direction.]
  28. [J’ai cité en note à la pensée IV, 22, un texte de Chrysippe qui refusait aux animaux toute « passion », parce que la passion est toujours l’œuvre d’un principe dirigeant. Marc-Aurèle, qui a admis cette doctrine (XI, 20 ; cf. la fin de la 1re note à la pensée III, 16, reportée en Appendice), devait considérer l’amour soit comme le mouvement normal d’une âme raisonnable (supra III, 16, 3e note), soit comme une « passion ». Les animaux ont, d’ailleurs, des instincts qui peuvent — de loin — rappeler les nôtres. Cf. Sénèque (De Ira, I, 3) : « Muta animalia humanis affectibus carent ; habent autem similes illis quosdam impulsus. Alioqui, si amor esset, et odium esset, etc. » Pierron, qui cite ce passage, observe très justement qu’« il n’y a qu’un pas de la théorie des Stoïciens à celle de Descartes sur l’organisation des animaux ».]
  29. [Var. : « c’est que déjà il y avait en eux des âmes et une force qui travaillait à réunir les êtres en ce qu’ils ont de meilleur, telle qu’elle n’existe pas dans la plante… » Cette traduction de τὸ συναγωγὸν ἐν τῷ κρείττονι ἐπιτεινόμενον εὑρίσκετο pourrait, semble-t-il, s’appuyer sur l’expression ἡ ἐπὶ τὸ κρεῖττον ἐπανάϐασις qu’on trouvera plus loin, à condition qu’on l’interprétât comme M. Couat. Mais je doute que la préposition ἐν puisse remplir le rôle de κατὰ ou d’un simple accusatif de relation, et je m’en tiens à la version du premier manuscrit, qui rattache à εὑρίσκετο les mots έν τῷ κρείττονι, et les oppose, comme ένταῦθα, à ἐπὶ φυτῶν κτλ. — Sur la hiérarchie des êtres, cf. supra VI, 14, et les notes.]
  30. [Les astres (cf. VIII, 19) sont des dieux pour les Stoïciens.]
  31. [Couat : « Ainsi le désir de s’élever à un degré supérieur crée une sorte de sympathie même entre des êtres qui sont séparés les uns des autres. » — Le mot ἐπανάϐασις signifie « ascension, progrès », mais non « désir de s’élever » ; et rien, dans les phrases qui précèdent, n’implique l’idée d’un tel désir. Marc-Aurèle s’y arrête successivement aux divers degrés de l’échelle des êtres : plus il s’élève, plus il trouve développé l’instinct de sociabilité. C’est là tout ce qu’exprime la présente phrase. Seulement, au lieu d’écrire qu’« au progrès des êtres correspond le développement de la sympathie », Marc-Aurèle, préférant un tour plus hardi et plus rapide, a dit que « le progrès des êtres développait la sympathie ».

    Nous retrouvons ici, dans une acception nouvelle, un mot auquel Marc-Aurèle (V, 26, 4e note ; VII, 66, note finale rectifiée aux Addenda) a déjà donné deux sens bien distincts : l’un vulgaire, l’autre proprement stoïcien. Les Stoïciens prétendaient, au rapport de Sextus Empiricus, que la « sympathie » ne saurait exister qu’entre les parties d’une unité simple, non entre les unités d’un même total : je traduis ici très librement les motsἡνωμένα, συναπτόμενα, ἐκ διεστώτων, dont on trouvera une définition plus exacte dans une note (la 1re) à la pensée VII, 13. Voici, d’ailleurs, le texte de Sextus (adv. Math., IX, 80) : ἐπὶ μὲν τῶν ἐκ συναπτομένων ἢ διεστώτων οὐ συμπάσχει τὰ μέρη ἀλλήλοις·… ἐπὶ δὲ τῶν ἡνωμένων συμπάθειά τις ἔστιν. Cette première définition est illustrée par de clairs exemples : on disait dans l’École, ajoute Sextus, que le corps tout entier pâtit d’un doigt coupé, tandis que la mort de dix mille hommes dans une bataille n’atteint pas les soldats survivants.

    Or la « sympathie » dont il est question dans la présente pensée est toute différente de celle que nous venons de définir. Marc-Aurèle le reconnaît, en écrivant ici les trois mots καὶ ἐν διεστῶσιν (« quand même ils sont séparés »). Pourtant cette « sympathie » des âmes entre elles est naturelle et légitime. Marc-Aurèle n’est d’ailleurs pas seul à l’affirmer, et la démonstration qu’il en donne ne lui appartient pas en propre ; comme lui, tous les Stoïciens ont conçu la cité des intelligences. D’autres que lui ont même pensé que la « sympathie » pouvait rendre compte de faits très particuliers, et insolites. Ainsi, on lui demandait, dit Plutarque (Plac. phil., V, 12), d’expliquer la ressemblance de l’enfant avec une personne étrangère à la famille, ou avec une œuvre d’art : on disait dans ce cas que la pensée de la mère avait dû être touchée non certes par une « image » détachée d’ailleurs, mais par un « courant », un « rayon » droit et continu (ἀκτίς, cf. supra VIII, 57), qui, émanant de l’âme d’une autre personne ou du principe formel d’une statue ou d’un tableau, l’avait unie à cette forme, ou à cette âme ; et dans l’École cette union temporaire et accidentelle s’appelait encore « sympathie ».

    Comment les Stoïciens ont-ils pu concilier et désigner du même nom deux choses en apparence si différentes : l’union des parties d’un même vivant, l’union des intelligences ? Si l’on admet avec eux que l’univers n’est qu’un vivant, la définition même qu’a rapportée Sextus permet d’affirmer avant toute autre, avant celle d’une âme individuelle pour son corps ou des membres de ce corps entre eux, la « sympathie universelle », même celle de toutes les parties de la matière inerte, en tant qu’elles sont animées et organisées par une raison unique (cf. Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 133, note 2) : a fortiori celle de toutes les intelligences qui émanent de cette raison.]

  32. [Couat : « À peine découvre-t-on chez eux ce concours sympathique. » — Il faut ajouter une négation à la phrase grecque pour en tirer ce sens (τὸ σύρρουν ὧδε μόνον οὐχὶ οὺ βλέπεται). Les mots μόνον οὐ signifient « presque », et non « à peine ». La seule interprétation qu’impose le texte lorsqu’on ne veut pas le modifier est celle que j’ai admise, à la suite des autres traducteurs : on disjoint les mots μόνον οὐ, pour grouper le premier avec ὧδε, le second avec βλέπεται.]
  33. [Cf. supra VIII, 15 : ὁ κόσμος τάδε τινὰ φέρει, ὧν ἐστι φορός.]
  34. [Les mots « à tous » et « à chacun » ne sont pas exprimés dans le texte grec, dont M. Couat n’a pu que très légèrement forcer le sens, en les ajoutant. Marc-Aurèle veut dire apparemment que l’ordre que chacun de nous reçoit de sa raison doit être valable pour tous les êtres raisonnables ; que l’action droite — qui est le fruit de la raison — intéresse et son auteur et l’humanité. Le commentaire du mot κοινὸν est, à la pensée VII, 9, la définition de la loi : λόγος κοινὸς πάντων τῶν νοερῶν ζῴων ; le commentaire du mot ἴδιον est, à la pensée XI, 3, dans les mots τὸν καρπόν ὃν φέρει αὐτὴ καρποῦται, « le fruit que porte l’âme raisonnable, c’est elle-même qui le cueille. »]
  35. [Cf. supra V, 28, et VIII, 59.]
  36. [Cf. supra VII, 70.]
  37. [Couat : « de rester en repos. » — Pour comprendre les verbes κινεῖσθαι et ἴσχεσθαι, il est nécessaire de se reporter à la définition du mot ὠφέλεια, que nous a conservée Stobée, et que j’ai citée un peu plus haut (VII, 74, en note). Je n’en retiendrai que les derniers mots : εἶναι γὰρ τὸ ὠφελεῖν ἴσχειν κατ΄ ἀρετήν, καὶ τὸ ὠφελεῖσθαι κινεῖσθαι κατ΄ ἀρετήν. Le véritable intérêt de l’être moral étant dans son action (κινεῖσθαι), il est impossible qu’ἴσχειν, dans la définition rapportée par Stobée, puisse signifier « arrêter » ; par suite, qu’ἴσχεσθαι veuille ici dire « rester en repos ». Ce n’est pas en empêchant mon action qu’on peut m’être utile, c’est en l’empêchant de devenir mauvaise. La passion (πάθος), qui n’est jamais bonne, n’est autre chose qu’un mouvement de l’âme qui n’a pas subi cette retenue salutaire (ὁρμὴ πλεονάζουσα : supra III, 16, 3e note). Au reste (supra VII, 7, et surtout VIII, 16), l’aide d’autrui ne nous enlève ni notre initiative ni le mérite de notre action : c’est ce que les Stoïciens expriment en définissant ὠφελεῖν non par ἴσχειν καὶ κινεῖν, mais par ἴσχειν seul. Au contraire, pour marquer que l’aide d’autrui ne peut nous servir que si nous ne cessons de nous aider nous-mêmes, les Stoïciens définissent ὠφελεῖσθαι, comme ici, par les deux verbes κινεῖσθαι καὶ ἴσχεσθαι κατ΄ ἀρετήν, dont le premier au moins est pour eux un réfléchi, non un passif, et dont le second (voir le texte de Stobée) ne leur semble même pas nécessaire. — Les mots ὡς ὁ πολιτικὸς λόγος ἀξιοῖ, qui terminent la pensée, attestent une fois de plus que l’« utilité » de l’agent moral ne se distingue pas de celle de l’univers.]
  38. [Cf. supra II, 15 ; IV, 7 ; V, 2, etc.]
  39. [Couat : « Tout ce qui nous entoure. » — Cf. supra VII, 2, note 2.]
  40. [Cf. supra VIII, 20.]
  41. [Cf. supra IV, 16 ; IV, 38 ; VI, 6 ; VI, 50 ; VII, 34, et les notes.]
  42. [Cf. supra VIII, 61, et la note.]
  43. [M. Couat traduit par un même mot les deux mots grecs μεταϐολῇ et ἀλλοιώσει : et en effet ils semblent être ici rigoureusement synonymes. On les retrouvera encore associés à la dernière phrase de l’article IX, 29. Voir supra IV, 3, note finale, le sens propre d’ἀλλοίωσις.]
  44. [C’est-à-dire « là où elles sont ». — Cf. supra VII, 29, dernière phrase.]
  45. [Cf. supra IX, 19 ; infra X, 7, etc.]
  46. [Marc-Aurèle ne compte ici pour rien la personne. Cf. supra, les dernières lignes du livre II ; infra, la note finale à la pensée X, 7.]
  47. [Couat : « ta conscience, celle de l’univers… »]
  48. [Couat : « la tienne (= ta conscience), pour qu’elle guide ton intelligence d’après la justice. » Var. : « afin de lui inspirer la justice. » — Cette seconde traduction s’accompagne de la note suivante :

    « ἴνα νοῦν δικανικὸν αὐτὸ (ou αὐτῷ) ποιήσῃς est la leçon des manuscrits. Le sens général en est assez clair, à condition toutefois de changer δικανικόν, qui est absurde ici, en δικαϊκόν : ce dernier mot, synonyme de δίκαιον, se rencontre une fois dans les Pensées (V, 34). Mais cette correction, qui s’impose, ne paraît pas encore suffisante. Il doit y avoir une autre tache dans le texte. Gataker a écrit ποιήσῃ, qui ne rend pas l’explication plus facile. L’altération doit être dans le mot νοῦν, qui ne se comprend pas ici ; la conjecture γοῦν, proposée par Coraï, est la meilleure. »

    La conjecture de M. Rendall (Journal of Philology, XXIII, p. 149), νῦν, que M. Couat n’a pu connaître, vaut celle de Coraï, — et ne s’impose pas davantage. Νῦν et γοῦν ont ici l’air de chevilles. À tout prendre, peut-être autant vaut-il garder la leçon traditionnelle. L’identité du sens des mots ἡγεμονικὸν et νους pour les Stoïciens est attestée par une foule de textes. Elle ressort en particulier de la seule comparaison de ces deux énumérations : σαρκία, πνευμάτιον, ἡγεμονικόν (supra II, 2), — et σωμάτιον, πνευμάτιον, νοῦς (infra XII, 3). Des expressions composées réunissent assez souvent dans les Pensées les deux mots ἡγεμονικὸν et νοῦς, ou un synonyme de l’un avec un dérivé de l’autre : διάνοια κυϐερνῶσα (VII, 64) ; λογικὸν ἡγεμονικόν (VII, 28) ; νοῦς ἡγέμων (III, 16) ; νοῦς ἡγεμονικός (XII, 14). Dans la phrase ἴνα νοῦν δικαϊκὸν αὐτὸ ποιήσης, où αὐτὸ représente le principe dirigeant (ἡγεμονικόν), νοῦν n’est donc pas illogique ; mais il est parfaitement inutile, bien que certains exemples atténuent la singularité de ce pléonasme. C’est plutôt αὐτὸ que je serais tenté de corriger, et d’autant plus que ce mot n’est pas sûr. Les meilleurs manuscrits donnent αὐτῷ, au datif. Si l’on veut lire σεαυτῷ, il me semble que toutes les obscurités sont dissipées.]

  49. ἄγνοια ἢ γνώμη. Ces deux substantifs restant au nominatif sont le sujet d’un verbe qu’il n’est pas aisé de suggérer. Au contraire, s’ils sont au datif (ἀγνοίᾳ ἢ γνώμῃ), ils deviennent le complément indirect d’un verbe tel que ἀμαρτάνει, si fréquent dans Marc-Aurèle. [La seconde orthographe est celle de Gataker.]
  50. [Sur le sens de συμπληρωτικός, cf. supra IV, 2, en note.]
  51. [Sur le sens d’ἀναφορά, cf. supra III, 11, 5e note ; VII, 4, 2e note.]
  52. [Nous savons par Marc-Aurèle lui-même (IV, 41) que ces mots sont une citation d’Épictète.]
  53. J’ai conservé le texte et le sens généralement adoptés, mais sans les trouver satisfaisants. — [Var. : « La vie humaine ne montre que colères et jeux d’enfants, petites âmes portant des cadavres, comme pour confirmer l’exactitude des peintures de la Nékuia. »]
  54. [Dans le premier manuscrit de M. Couat, cette pensée est ainsi traduite : « Examine la qualité de la forme en la séparant de la matière ; puis détermine le temps que peut durer ce qui a cette qualité particulière. » Ensuite, une rature a couvert ces lignes, qui n’ont pas été remplacées dans le second manuscrit. — M. Couat s’est arrêté devant les mots τὴν ποιὀτητα τοῦ αἰτίου, dans lesquels il s’est refusé à voir une tautologie, mais dont il n’a pas eu le temps de découvrir le rapport. Ce n’est pas du seul texte des Pensées qu’il l’eût pu déduire : le nom de la ποιότης n’y reparaît plus qu’une fois, et en compagnie des mots ἡ ἀξία, « la valeur » (VI, 3). Ils témoignent que l’acception de ποιότης, en cet autre passage, est tout abstraite. Par contre, on trouvera, en dehors des Pensées, certaine explication matérialiste de la « détermination » ou « qualité », qui semble pouvoir définir aussi bien le « principe efficient » ou la « forme ». C’est celle que rapporte Plutarque (de Stoïc. repugn., 43), et que j’ai traduite dans une note antérieure : τὰς δὲ ποιότητας πνεύματα οὔσας καὶ τόνους ἀερώδεις, οἱς ἂν ἐγγένωνται μέρεσι τῆς ὕλης εἰδοποιεῖν ἕκαστα καὶ σχμηματίζειν (supra, page 110 ; voir la partie de la note rectifiée aux Addenda).

    J’ai déjà indiqué incidemment (supra IV, 14, note 2) la différence que je croyais apercevoir entre la ποιότης et l’αἴτιον. Je dois ici préciser et justifier cette doctrine, en l’appuyant, autant que possible, sur le témoignage même de Marc-Aurèle, et, à défaut de celui-ci, sur des textes qui ont été déjà cités au cours de ces notes et confrontés avec les Pensées. Je n’en ajouterai que deux, empruntés au même auteur. L’un est une définition de la ποιότης, celle qu’on peut considérer comme la plus précise et la plus exacte, et dont les autres, et en particulier celle que je rappelais tout à l’heure, ne seront que les corollaires. Elle paraît distinguer nettement les notions de la « détermination » et du « principe efficient et formel », sans pourtant les opposer comme irréductibles entre elles ; les définitions par corollaire dont il vient d’être question sortiront en effet de la conciliation de ces deux concepts :

    Οἱ δὲ στωϊκοὶ τὸ κοινὸν τῆς ποιότητος τὸ ἐπὶ τῶν σωμάτων λέγουσι διαφορὰν εἶναι οὐσίας οὐκ ἀποδιαλήπτην καθ΄ αὐτήν, ἀλλλ΄ εἰς ἓν νόημα καὶ ἰδιότητα ἀπολήγουσαν, οὔτε χρόνῳ οὔτε ἰσχύϊ εἰδοποιουμένην, ἀλλὰ τῇ ἐξ αὐτῆς τοιουτότητι καθ΄ ἣν ποιοῦ ὑφίσταται γένεσις (Scholia in Aristotelem, dans Brandis, t. IV, p. 69 a, ligne 30).

    J’ai dû, avant de l’interpréter, transcrire en entier ce long texte grec, à cause de l’abondance des termes abstraits qui s’y trouvent, et dont je ne pouvais donner qu’une traduction approchée. « Les Stoïciens, dit Simplicius dans son commentaire des Catégories d’Aristote, définissent ainsi dans les êtres corporels la catégorie de la ποιότης : c’est ce qui distingue toute matière, mais n’existe pas en soi et indépendamment de cette matière. Elle se ramène à l’unité du concept d’une propriété, et n’est spécifiée ni par son intensité ni par sa durée, mais par le fait que la matière est ce qu’elle est, et que l’individu que la ποιότης détermine a été formé ainsi. » Simplicius ne manque pas de relever « l’étrangeté d’une définition qui refuse à la ποιότης toute réalité indépendante, et n’en fait qu’une pure abstraction », et d’y opposer la proposition de Plotin (Ennéades, VI, I, 10, p. 575) qui ramène la « détermination » à la « force » : ὤστε εἵη ἃν ἡ ποιότης δύναμις προστιθεῖσα ταῖς σὐσίαις μεθ΄ ἑαυτὰς τὸ ποιαῖς εἶναι. Or, pour Marc-Aurèle, les deux notions de la « force » et du « principe efficient » sont connexes (cf. infra X, 26 et les notes) ; d’ailleurs, le nom même de ce que nous appelons la « cause » donné (nous verrons — IX, 31, 2e note — par quel détour de sens) au principe efficient interne exprime clairement la réalité de chacun de ces deux termes, opposés et solidaires comme la cause et l’effet : le principe efficient et la matière inerte. Parce que la définition conservée par Simplicius ne sépare pas de l’ὕλη, la ποιότης, parce qu’elle rapporte celle-ci à celle-là, mais ne les oppose pas l’une à l’autre, parce qu’elle nous donne enfin la ποιότης pour un pur concept, dirons-nous donc que cette notion et celle que Marc-Aurèle exprime par les mots αἰτία, αἴτίον, αἰτιῶδες sont contradictoires ? Simplicius eût trouvé la définition moins « étrange » (ἀτοπώτερον), s’il se fût rappelé une autre assertion des Stoïciens, qu’il avait rapportée lui-même quelques pages plus haut, et peut-être empruntée au même endroit ; ce sera le second texte que j’ai annoncé. Là (dans Brandis, l. l., t. IV, p. 67 a, ligne 6), Simplicius, après avoir dit que pour les Stoiciens la ποιότης d’un être corporel est toujours corporelle, observe que les philosophes se sont partagés sur l’explication de celle-ci, les uns soutenant qu’elle est non seulement le principe efficient des êtres et de leur individualité distinctive (τοῦ ποιοῖς εἶναι), mais qu’elle se détermine elle-même à les déterminer ainsi (οὓτως δὲ καὶ αὑταῖς τοῦ εἶναι τοιαύταις τὴν αἰτίαν ἐπιφέρουσιν, αὐτοσὐστατοι οὖσαι καὶ εἰς ἑαυτὰς ἐνεργοῦσαι), — les autres qu’elle dépend elle-même d’un autre principe (αἰτία), et celui-ci d’un troisième, et ainsi de suite à l’infini. La première de ces explications, qui affirme l’immanence de la cause, est panthéistique, donc stoïcienne : et l’on y peut voir les notions de l’αἰτία et de la ποιότης si étroitement unies que le nom de l’une y sert à expliquer l’autre. Il est naturel, en effet, que le principe qui organise ou qui maintient soit le même qui définisse. Si, dans le dernier texte que je viens de rappeler, la ποιότης paraît être confondue avec ce principe même et douée d’une activité ou d’une puissance propre, au lieu d’être donnée seulement pour le concept de cette activité, c’est par un abus de langage dont j’aurai à rendre compte. Mais on peut fort aisément corriger cet abus et restituer ainsi une définition moyenne où se concilient les deux que nous a conservées Simplicius, sans en avoir aperçu la parenté. On arriverait à peu près au même résultat en se bornant à changer dans la traduction de l’autre texte « matière » en « principe efficient », et « individu » en « principe efficient de l’individu ». Ces substitutions sembleront légitimes a quiconque aura pris le mot « matière » (οὐσίας) dans son acception la plus large, et se souviendra que pour les Stoïciens le principe efficient lui aussi est matériel. Elles permettront de préciser la nature et la portée de la définition encore toute logique que Simplicius a trouvée étrange pour s’être trop pressé d’identifier une catégorie avec un principe métaphysique : Le moment de la doctrine où elle trouve sa place est antérieur à toute spéculation métaphysique. — Mais lorsque Marc-Aurèle réunit les mots ποιότης τοῦ αἰτίου, ce moment est passé : αἰτίου l’atteste. La définition de la ποιότης que l’on pourrait déduire de cette syntaxe est précisément celle qui fait transition entre les deux que rapporte Simplicius : Marc-Aurèle, en effet, a su garder ici au mot ποιότης son acception propre et première. Non seulement il a séparé, conformément à la définition fondamentale, les deux notions de la détermination et de la durée ; mais le mot ποιότης, ici comme plus haut (VI, 3), n’exprime rien de plus qu’une abstraction, dont toute la réalité est dans son substrat, l’αἲτιον, et dans l’esprit qui la conçoit. Je serais même presque tenté de considérer ici l’expression ποιότης τοῦ αἰτίου comme équivalente à une phrase où pourrait disparaître le mot ποιότης, par exemple à ποῖόν ἐστι τὸ αἲτιον. Quel peut donc être le principe efficient ? Une simple détermination, une nature, une âme ? La hiérarchie des êtres que Marc-Aurèle a fondée plus haut (VI, 14 : voir la seconde note rectifiée aux Addenda) sur l’αἲτιον qui les fait être ou la ποιότης qui les définit me paraît fournir le commentaire naturel de ce passage.

    Il resterait à montrer comment d’autres Stoïciens que Marc-Aurèle ont pu confondre la ποιότης et l’αἲτιον, c’est-à-dire l’attribut et son sujet, et définir la première comme une réalité concrète, et comme une matière. On expliquerait la chose assez aisément en distinguant deux groupes d’objets ou d’êtres individuels : d’abord les êtres qui croissent et vivent, ceux que Marc-Aurèle désigne quelque part (supra VI, 40 : voir la 3e note rectifiée aux Addenda) par les mots (τὰ ὑπὸ φύσεως συνεχόμενα, et qui ont toujours porté en eux-mêmes le principe efficient qui les fait être et croître et qui les conduit à leur fin ; ensuite les objets « dont le fabricant est loin » (ibid.), les œuvres des hommes, auxquelles on pourrait joindre les déchets de la nature, et la pierre, et le bois. L’auteur de ces choses, homme ou nature, qui en est le véritable αἲτιον, a dû, disent les Stoïciens, enfermer en elles et intimement mêler à leur matière un souffle qui les maintient, qui en garde la forme et toutes les qualités, et que l’on appelle fort improprement αἲτιον, parce que dans les vivants et dans les plantes on nomme ainsi le principe de vie opposé à la matière inerte. Or ici la ποιότης exprime toujours exactement toute l’action de cet αἲτιον. Ils sont, en quelque sorte, également immobiles, et ne disparaissent, l’une avec l’autre, qu’à la volonté d’un modeleur qui « changera en chien le cheval de cire : et ce sera pourtant toujours la même cire » (cf. supra, page 141, note 1). — Dans un système matérialiste, on admettra donc aisément la substitution du premier de ces termes au second, c’est-à-dire la conception matérielle de la ποιότης : et même l’inexactitude pourra sembler moindre qu’à donner le nom de « cause » à quelque chose qui ne cause rien.

    Dans les plantes et les êtres, au contraire, le principe efficient, nature ou âme, est toujours en action ; et, tout en agissant, il se renouvelle sans cesse, par la transpiration, la respiration, la transformation des aliments : cette instabilité est formellement proclamée par Marc-Aurèle en plusieurs passages, et notamment à l’article V, 23 (voir la seconde note), et à la fin de la pensée X, 7. Mais en même temps, il est contraint de reconnaître pour un moment, pour l’espace d’une vie, la persistance en nous de quelque chose (τι : X, 7, fin) en quoi réside notre identité. Peut-être même — car le texte n’est pas sûr — a-t-il aussi donné le nom d’ἰδίως ποιὸν à ce principe stable, et presque retrouvé la proposition de Posidonius (Stobée, Ecl., I, 436 = supra, page 56, en note) : παραμένει ἡ ποιότης ἀπὸ τῆς γενέσεως μέχρι τῆς ἀναιρέσεως.

    Il serait malaisé de dire si dans une telle phrase ποιότης désigne encore le concept de notre identité et de tous les attributs qui nous définissent pendant le temps de notre vie, ou si déjà il exprime le fond de notre être, et comme l’âme de notre âme. Il est en revanche assez facile d’expliquer le passage de la première acception à la seconde : il suffira d’invoquer ici encore l’impropriété du mot αἲτιον, — incapable cette fois d’exprimer un principe stable.

    Pour Marc-Aurèle, qui, dans celles de ses Pensées dont le texte est sûr, semble avoir évité de donner à ποιότης un sens concret, il a préféré au moins une fois appeler κατασκεύασασα δύναμις (supra VI, 40) « ce qui est et demeure en nous ».]

  55. [Beaucoup de textes stoïciens (cf. Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 95 sqq., et notamment p. 96, note 1) nous donnent les deux expressions ἰδία ποιότης et ἰδίως ποιὸν comme synonymes. Mais τὸ ἰδίως ποιὸν avait aussi un sens concret, et s’employait aussi bien pour désigner l’individu déterminé que la détermination de l’individu. C’est le sens que prend celle locution ici même, où elle se distingue si nettement de ποιότης ; c’est celui qu’elle a probablement (voir la note) à la dernière phrase de l’article X, 7 ; celui que lui donne encore notre auteur la troisième fois où il l’emploie (XII, 30).
  56. [Couat : « créé. » — Cf. supra VI, 44, note 4.]
  57. Le texte donne ἀλλὰ ἁλις, que j’ai traduit littéralement. Mais je crois que ce texte est altéré, et que la conjonction ἀλλὰ annonce la contre-partie de ce qui précède. On peut supposer qu’il y avait : « mais tu lui demandais autre chose. » Je ne propose, d’ailleurs, aucune correction.
  58. [Cf. supra IX, 18, etc.]
  59. [Cf. supra VII, 70, et IX, 11.]
  60. [Marc-Aurèle lui-même, à la fin du livre I, remercie les dieux des avertissements qu’il en a reçus en songe. — Sur leur intervention dans les affaires humaines, cf. supra VII, 75, et la note rectifiée aux Addenda.]
  61. [Couat : « ces biens qu’ils recherchent en s’agitant de tout côté. » — Cette traduction m’a paru forcer le sens de διαφέρεσθαι. — Cf. supra VI, 32, note 1.]
  62. [Ici, Marc-Aurèle affirme avec assurance une doctrine dont il a parfois douté, et qu’il a même contestée (cf. supra V, 13, note finale, complétée aux Addenda).]
  63. [Couat : « toute chose provient d’une autre ; le monde, en effet, ne peut qu’être composé d’atomes ou former un tout indivisible. » — Le texte grec : καὶ τὶ ἐν τινί est inextricable ; Pierron déclare le passage désespéré. Le dernier, à ma connaissance, qui s’y soit attaqué est M. Rendall (Journal of Philology, XXIII, p. 150). De καὶ τὶ ἐν τινί· τρόπον γάρ τινα ἂτομοι, ἢ ἀμερῆ, il tire le verbe que nous jugeons sous-entendu dans la phrase précédente : κατεκτείνει. Puis, s’offensant de la redondance ἄτονοι ἢ ἀμερῆ, il se refuse à voir une glose dans les mots ἢ ἀμερῆ, parce qu’ἄτομοι n’a pas besoin d’explication, et qu’il est d’ailleurs plus usuel et plus clair qu’ἀμερῆ. Finalement, il corrige ce dernier mot en εἰμαρμένη. Ainsi restauré par lui, le passage peut avoir le sens suivant : « et cette impulsion unique, elle (l’intelligence universelle) la développe dans tous les événements ultérieurs, qui en sont la conséquence : le monde, en effet, ne peut qu’être composé d’atomes ou régi par une destinée. » On peut objecter à cette lecture, d’abord que le verbe κατεκτείνει, si régulièrement formé qu’il soit, si admissible même dans la langue d’un auteur qui semble affectionner les verbes composés de deux prépositions, n’existe pas ailleurs : M. Rendall lui-même l’a reconnu ; ensuite, que Marc-Aurèle, à l’ordinaire, oppose par les deux mots ἤτοι… ἢ… (VII, 75 ; VII, 32 ; XII, 14, et ici même, dans la première partie de la pensée), plutôt que par un simple (cf. pourtant VII, 50) deux alternatives qui s’excluent ; ensuite, que τρόπον… τινὰ, les corrections faites, n’a plus de sens ; enfin, que le mot εἰμαρμένη n’exprime que la seconde des deux hypothèses stoïciennes exposées ici par Marc-Aurèle. — Ces deux dernières objections s’adressent aussi à la conjecture de M. Couat, qui a dû corriger ἀμερῆ en ἀμερές. Comment, d’ailleurs, ce mot pourrait-il désigner le monde ? Il contredit tous les textes qui nous définissent comme des « parties » ou des « membres » du tout. J’ajoute enfin qu’il me paraît impossible de donner un sens à τὶ ἐν τινί.

    Ces mots avaient été ingénieusement corrigés par Coraï en καὶ τί ἐντείνῃ. La même correction, proposée par le même savant, a paru évidente à M. Stich au cours de la pensée X, 31, et M. Polak se demande, non sans raison, pourquoi elle lui a semblé inadmissible ici (Hermès, XXI, p. 332). Je l’ai reprise et traduite. J’ai supposé ensuite la chute de toute une ligne, où devait être exprimée une troisième hypothèse, déjà envisagée par Marc-Aurèle dans une pensée analogue (supra VI, 44 : « ou bien il y a des dieux, mais ils ne délibèrent sur rien »), et qui devait se terminer par les mots : οὗτοι δὲ τί εἰσιν ἐν τίνι ; ou simplement : οὗτοι δὲ τί ἐν τίνι ; — c’est-à-dire par cette idée : « Mais alors, qu’est-ce que le monde et qu’est-ce qu’ils y font ? » La phrase qui suit, où j’ai pu traduire τρόπον τινά, se rattache logiquement à celle-ci. On comprend, d’ailleurs, comment une ligne a pu disparaître entre deux groupes de sons identiques : τί ἐντείνῃ et τί ἐν τίνι. Ce genre de fautes est assez commun.

    Pour la doctrine, comparer surtout les pensées XII, 14, et VII, 75 ; voir la note à cette dernière et la rectification aux Addenda.]

  64. [Comme l’a reconnu Marc-Aurèle lui-même à la fin de la pensée V, 13, l’idée de ces transformations à l’infini n’est nullement contradictoire avec celle des révolutions périodiques auxquelles il faisait (voir la première note) tout à l’heure allusion.]
  65. [Cf. supra IX, 19, en note, et IV, 3, note finale.]
  66. [Ici s’arrête le second manuscrit de M. Couat.]
  67. [Couat : « Combien vulgaires sont toutes ces questions politiques, et pour qui pense en philosophe, toutes ces affaires humaines ! » — M. Couat a dû lire : ὡς οἲεταί τις φιλοσόφως, ἀνθρώπεια πράγματα. La correction ne s’imposait pas.]
  68. [Couat : « quelle sécrétion parasitaire ! » — J’ai préféré le sens de Pierron et de M. Michaut, celui aussi de Renan, qui développe en une phrase le μηξῶν μεστά : « ce sont des bambins dont on débarbouille le nez avec un mouchoir » (Marc-Aurèle et la fin du monde antique6, p. 52).
  69. [Au lieu de τί ποτε, dont le sens est peu satisfaisant, M. Couat a lu εἴ ποτε. — Je préfère cette conjecture à celle de M. Rendall (Journal of Philology, XXIII, 151) qui prétend corriger une digraphie en lisant : τί ποτε ποιῇς ὃ νῦν…, au lieu de : τί ποτε ; ποίησον, ὃ νῦν… Que signifierait dans la leçon de M. Rendall νῦν en face de τί ποτε ?]
  70. [Le mot νῦν, oublié par M. Couat, me semble avoir ici la même importance que les mots παρούσῃ, et παροῦσα aux pensées VII, 57, et IX, 6, où ils sont chacun exprimés trois fois.]
  71. [La conjecture de M. Couat est ici celle même de M. Rendall (ibid.) : ὄρμησον ὃ ἂν διδῶται, au lieu de : έὰν διδῶται.]
  72. [Couat : « qui sait s’ils ont compris… ? » — Je ne puis retrouver la correction que suppose cette traduction. Le texte (ὄψονται εἰ εἶδον) me semble d’ailleurs inintelligible. J’ai admis la lecture de M. de Wilamowitz, ἔψομαι. Un peu plus haut, en écrivant : « qui pourra changer les principes ? », ce qui suppose la correction dans le texte de μεταϐάλλει en μεταϐαλεῖ, M. Couat s’était rencontré avec lui.]
  73. [ἀταραξία entraîne l’ἀνάθεια : pas de trouble, pas de passions, — et l’absence de passions, c’est la vertu. — Voir la même recommandation au début de la pensée VIII, 5.]
  74. [Couat : « d’une cause extérieure. » — L’article est exprimé en grec ; cette « cause extérieure », c’est la cause universelle, opposée à notre principe efficient ou à notre activité propre, que Marc-Aurèle désigne ici du même nom d’αἰτία (cf. supra V, 23, note 2). L’antithèse de la « cause extérieure » et de la « cause interne » peut aider à relier les divers sens de ce mot. Sauf les cas où il signifie « motif » ou « raison d’agir », nous ne voyons pas que Marc-Aurèle l’ait jamais distingué d’αἴτιον, bien que Chrysippe (dans Stobée, Ecl., I, 338) ait opposé les deux termes en faisant exprimer au premier « la raison qui est dans le second » : αἰτίαν δ΄ εἶναι λόγον αἰτίου, ἢ λόγον περὶ τοῦ αἰτίου ὡς αἰτίου. Nous pouvons donc d’abord définir αἰτία comme tous les Stoïciens ont fait αἴτιον. Zénon, Chrysippe, Posidonius (dans Stobée, ibid.) voient dans la « cause » le pourquoi des choses, ou plutôt le « par quoi », τὸ δι΄ ὄ. L’antécédent invariable peut ainsi porter le nom d’αἴτιον ; mais les exemples que donnent les maîtres du Stoïcisme de la relation de causalité sont moins ceux d’un antécédent et de son conséquent que ceux d’un sujet, ou, comme ils disent, d’un corps (σῶμα), et de son verbe (κατηγόρημα : sur le sens du mot, cf. Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 89, note 2), c’est-à-dire d’une action ; puis d’une qualité du sujet, c’est-à-dire encore d’un corps (supra IX, 25, 1re note), et de l’action qui la manifeste. Ainsi, dit Zénon (dans Stobée, l. l., p. 336), « la sagesse est cause de l’action d’être sage. » On voit comment l’âme a pu être désignée du nom d’αἰτία : elle est, en effet, le principe efficient et formel de l’individu humain, elle est « cause » qu’il est ; et elle est, en outre, la « cause » de ses actions. Nous avons vu dans une note antérieure (IX, 25) comment les Stoïciens avaient été conduits à reconnaître aussi un « principe efficient et formel » dans les choses inertes.

    Ainsi, la « cause » qui intéresse surtout les Stoïciens est la cause interne, dans laquelle ils ont, comme on l’a vu, intégré la forme (IV, 21, note finale). Leur système panthéiste leur a même permis de ramener toutes les causes externes à une seule cause interne totale (supra VII, 10), celle qu’ils appellent ici la « cause extérieure », sans qu’ils perdissent jamais pourtant, chaque fois qu’ils écrivaient le mot αἴτιον, la notion très nette de l’opposition de deux termes, aussi distincts que peut l’être pour nous une cause de son effet. Nous avons vu encore (IX, 25, 1re note) comment le concept de l’αἴτιον avait pu d’abord par là se différencier pour eux de celui de la ποιότης.

    Le terme opposé à la cause, ou « l’effet », s’appelait dans l’École, nous dit Stobée, ἀποτέλεσμα ou συμϐεϐηκός. Quand l’effet est rapporté à la cause universelle, on l’appelle plutôt συμϐαῖνον : ce mot peut ainsi désigner les « circonstances extérieures », qui sont la « matière » de notre action, et servir d’antithèse au mot ἐνέργεια (cf. supra, page 161, note 3).

    Tandis qu’αἴτιον et αἰτία dans les Pensées désignent indifféremment le « principe efficient interne » et la cause extérieure, le mot αἰτιῶδες n’y est employé que dans le premier sens, et toujours en opposition avec le nom du principe matériel.]

  75. [Le sens que nous sommes ici contraint de donner à παρὰ (ἐν τοῖς παρὰ τὴν ἐκ σοῦ αἰτίαν ἐνεργουμένοις) est tout à fait insolite. Faut-il lire διά ? ou remplacer τὴν… αἰτίαν par τῆς… αἰτίας ?]
  76. [Couat : « je veux dire que tes désirs et ton activité doivent tendre au bien commun, conformément à ta nature. »]
  77. [Couat : « ta pensée. » — Cf. supra, IV, 7 ; VIII, 40, etc.]
  78. [Cf. supra V, 23, note 3.]
  79. [Couat : « les consciences. »]
  80. [Couat : « ou rendre service. » — Sur le sens du verbe ὠφελεῖν, cf. les notes aux pensées VII, 74, et IX, 12.]
  81. [Voir supra VI, 13 ; VIII, 24 et 37, des développements analogues.]
  82. [Var. : « il vient de l’humeur et retourne à la pourriture. » — Le début de la pensée, où il n’est question que d’humeur et de pourriture, permet cette interprétation des mots ἐκ τούτων εἰς ταῦτα μεταϐάλλον : mais, outre que ce sens est un peu cherché, la seconde traduction de M. Couat s’accorde mieux, ce me semble, avec un autre passage (II, 2) où Marc-Aurèle a voulu avilir le souffle vital.]
  83. [Couat : « la forme. » — De même à la ligne suivante. — Cf. supra IV, 21, note finale ; IX, 25, 1re note ; IX, 31, note 2.]
  84. [Cf. supra VII, 1 ; infra XI, 1 : « un homme de quarante ans a vu tout ce qui fut et tout ce qui sera. »]
  85. [Même idée et même expression, VII, 29, et IX, 20. Ici. Marc-Aurèle ajoute une restriction admirable.]
  86. [Sur cette doctrine, cf. notamment les notes aux pensées IV, 4, et IX, 31 ; sur le dilemme, cf. VII, 75, et la note rectifiée aux Addenda.]
  87. [Couat : « à ta conscience. » — On a adopté ici la conjecture de Coraï, λέγε, au lieu de λέγεις.]
  88. [Même argument VI, 44 (entre les notes 2 et 3).]
  89. [Cf. une doctrine analogue, à la fin de l’article IV, 49 ; cf. surtout Diogène Laërce, VII, 124 : εὒξεται ὁ σοφός αἰτούμενος τὰ ἀγαθὰ παρὰ τῶν θεῶν. — Voici la définition de la prière « libre », dont a déjà parlé Marc-Aurèle à la pensée V, 7 (voir la note rectifiée aux Addenda) : le mot « librement » se trouvera, d’ailleurs, trois lignes plus bas. — Sur les rapports de Dieu et de l’homme, cf. la note finale du livre VII, rectifiée aux Addenda.]
  90. [Couat : « te porter de côté et d’autre. » — Cf. la note finale à l’article IX, 27.]
  91. [Couat : « du corps. »]
  92. [Couat : « Je continuais à philosopher sur les principes de la nature. » — Sur le sens de τὰ προηγούμενα, voir la note à la pensée IV, 1. — Φυσιολογεῖν ne désigne pas ici, comme à l’article VIII, 13, une partie seulement de la philosophie, mais la philosophie tout entière. On sait que le poème de l’épicurien Lucrèce est intitulé De rerum Natura ; que le maître lui-même, Épicure, n’avait pas composé moins de trente-sept traités sur la Nature (Diogène, X, 27), où, apparemment, devait tenir toute sa doctrine.]
  93. [Nous avons vu (supra V, 26, avant-dernière note) qu’Épicure, comme Marc-Aurèle, attribuait la sensation au corps, et la ramenait aussi à un mouvement. Dans la langue d’Épicure, συμμεταλανβάνειν doit signifier ce que signifie συμπαθεῖν dans celle de Marc-Aurèle.]
  94. [M. Couat, sur les indications de M. Stich, a supprimé les mots ἐν νόσῳ, inutiles devant ἐὰν νοσῇς.]
  95. [Couat : « n’a jamais rien fait qui pût rendre ton âme pire qu’elle n’était. »]
  96. [Cf. supra, p. 140, note 2.]
  97. [Cf. supra, p. 184, note 1.]
  98. [Sur le sens de διάθεσις, cf. supra, p. 92, note 2, et p. 153, note 3.]
  99. [Voir les derniers mots de la pensée VII, 13. Peut-être faudrait-il, ici au lieu de μὴ καταληκτικῶς (« incomplètement »), écrire, comme en cet autre passage : καταληπτικῶς (« sans réfléchir ni comprendre »). — Couat : « et comme si tu ne recueillais pas immédiatement. »]
  100. [Cf. Sénèque, De Beneficiis, IV, 12 : quid reddat beneficium ?… si quicquam praeter ipsas (virtutes), ipsas non expetis.]
  101. [Couat : « selon leur conformation. » — Sur le sens de κατασκευή, cf. supra IV, 44, note 4. Je n’ai pas eu la moindre hésitation à garder, quatre lignes plus bas, les mots « fonction naturelle », traduisant πρὸς ὃ κατεσκεύασται.]
  102. [M. Couat semble avoir corrigé ἄλλως — qui n’a guère de sens, il faut l’avouer — en ἄλλοις. — Nous devons aider le prochain, même pour des choses moralement indifférentes (τὰ μέσα, cf. supra, p. 143, note 4), comme font les dieux (supra IX, 27) par les songes qu’ils envoient aux hommes ou par leurs oracles.]