Pensées diverses (Machiavel)

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Pensées diverses (Machiavel)
Œuvres complètes de N. MacchiavelliDesrezTome premier (p. 642-643).
PENSÉES DIVERSES.
I.

Les hommes qui, dans les républiques exercent un art mécanique ne sont jamais en état de commander en princes, lorsqu’ils sont élevés aux magistratures, parce qu’ils n’ont jamais appris qu’à obéir. Il faut donc ne confier le commandement qu’aux citoyens qui n’ont jamais obéi qu’aux rois et aux lois, comme sont ceux qui vivent de leurs propres revenus.

II.

Les Romains, sur le point de livrer bataille aux Gaulois, pour soutenir le premier choc et rendre vains les premiers coups de leurs adversaires, mirent, contre leur coutume, les lanciers en tête, afin que l’ennemi, occupé à abattre les lances, et arrêté par ce corps, perdit son ardeur et son impétuosité premières.

III.

Amilcar, pendant une marche, ayant été attaqué de deux côtés par les ennemis, changea soudainement son ordre de bataille, c’est-à-dire qu’il fit aller en queue ceux qui étaient en tête, et venir en tête ceux qui étaient en queue. Les deux divisions ennemies s’imaginant qu’Amilcar fuyait, se mirent en désordre pour le poursuivre ; mais, ayant été attaquées pendant leur marche par ceux qui changeaient de position d’après l’ordre du général, elles furent aisément vaincues.

IV.

Domitien examinait les jours de naissance des sénateurs, et faisait périr ceux dont le sort était favorable, et qui étaient susceptibles de monter à l’empire. Il aurait fait mourir Nerva, son successeur, si un astrologue, son ami, ne lui eût persuadé qu’il ne courait aucun danger, attendu que Nerva, étant déjà fort âgé, ne pouvait vivre encore longtemps ; et c’est ce qui fut cause que Nerva lui succéda.

V.

Antonin-le-Pieux répondit à un délateur : « C’est en vain que vous fatiguez les empereurs de vos délations, vous ne parviendrez jamais à leur faire tuer leur successeur. »

VI.

Quelqu’un ayant accusé Licinius devant Trajan de vouloir l’assassiner, Trajan alla seul diner chez l’accusé, et le lendemain il dit devant l’accusateur : « Hier Licinius pouvait me tuer. »

VII.

Trajan, ayant donné la charge de préfet du prétoire à Licinius, lui ceignit l’épée en disant : « Je te donne cette épée pour me défendre si je suis un bon empereur, et pour me tuer si je suis un méchant. »

VIII.

On doit exercer les sujets d’un pays dans le métier des armes, depuis dix-sept ans jusqu’à trente, et les faire ensuite émérites ; car passé cet âge les hommes deviennent indociles et ne veulent plus obéir : ils croissent en méchanceté et diminuent en force.


fin des pensées diverses et du tome premier de macchiavelli.