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Perverse/05

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Antony et Cie (p. 77-85).

V

ENCEINTE

Le lendemain, Paula était à Paris.

Un appartement somptueux avait été préparé, à l’hôtel Bristol, pour la riche héritière de Johnson.

Avide de voir le Paris, si beau, du mois de juin, elle consulta les journaux pour courir où il y avait du plaisir et des fêtes.

La solitude ne l’effrayait pas ; elle ne craignait pas d’être seule quelques jours…

D’autres l’avaient déjà aimée. Elle avait un passé d’amour qui lui assurait un avenir souriant.

Craintive, d’abord, hésitante à travers la ville nouvelle et fantastique que son imagination lui montrait comme le séjour pervers et merveilleux qu’elle souhaitait, elle fit, machinalement, contre son gré pourtant, les fatales visites aux monuments célèbres, aux musées, aux promenades, obéissant au guide qui s’empare de tous les étrangers.

Elle ouvrait les yeux, partout où elle était pour voir le vice, le vice promis, le vice cherché, et elle s’étonnait de ne le point apercevoir, et, au contraire, de trouver en tous lieux une perfection de tenue qu’elle n’attendait point de la Babylone moderne.

Le temps lui parut d’une longueur désespérante, malgré les distractions de chaque instant, malgré les changements de spectacle. Elle courut les théâtres, applaudit et s’ennuya, désolée de n’avoir point à côté d’elle quelqu’un auquel elle pût faire part de ses impressions.

Un soir, elle rentra à l’hôtel, fatiguée, lasse, écœurée.

Elle ne savait pourquoi.

Tout son corps souffrait.

Elle crut d’abord que c’était la cause d’une désillusion trop pénible : le plaisir qu’elle s’était promis et qu’elle ne trouvait pas, et qu’elle ne pouvait pas cueillir.

Un étrange désir d’amour la possédait.

Tiraillée dans ses sens, elle aspirait vers un retour aux joies passées, aux quelques joies du passé où elle n’avait pourtant que peu de souvenirs.

C’est en vain qu’elle lutta. Paula était malade, vraiment. Pâlie, les traits tirés, courbaturée, elle ne pouvait vaincre les ennuis d’un poids lourd qui semblait l’écraser.

Ses nuits avaient des sommeils accablants ; ses yeux étaient cernés ; faire sa toilette était un travail pénible. Elle n’était heureuse que, lorsqu’étendue sur sa chaise longue, elle s’amusait à ne penser à rien.

Cependant elle demanda le docteur de l’hôtel.

C’était un vieil homme, d’origine américaine, qui avait fait ses études en France et y était resté.

Tout de suites souriant, il lui dit :

— Mais vous êtes enceinte, madame, simplement.

— Enceinte ! s’écria-t-elle.

— Ni plus, ni moins.

— Je suis enceinte ?

— Il faut vous ménager, moins sortir, moins marcher, et dans quelques mois… tout sera fini.

Cette situation la désola.

Paula était donc obligée, par la fatalité, d’accepter une vie qu’elle n’avait point prévue et qu’elle ne connaissait pas.

Elle sentait pourtant qu’il serait nécessaire d’instruire son père et son mari d’événements qu’ils ignoraient encore.

Pas un seul instant elle ne songea à redouter les conséquences de sa grossesse ; souverainement maîtresse, volontaire et libre, son mari ne l’effrayait point et elle ne craignait pas son père.

Et puis, elle avait si peu vécu avec son mari ! Il était si à côté d’elle !

Amaigrie par le mal de la grossesse, Paula devint vraiment laide.

Mais au lieu de s’affliger, elle regardait dans son miroir avec défi. Elle n’avait point peur.

Elle attendait maintenant l’enfant qui remuait dans son ventre.

Sa poitrine se développa ; elle fut heureuse d’avoir des seins ; elle les regardait et les caressait.

Le jour, le grand jour approcha.

Elle reçut des nouvelles de son père qui avait été malade aussi. Et, dans cette lettre, elle apprenait qu’une amie venait d’avoir un enfant. On ne lui parlait pas de son mari, chose négligeable pour son père.

Mais la lettre se terminait ainsi :

« Demain je prends le paquebot et j’irai te rejoindre. La semaine prochaine je serai donc près de toi. Retiens-moi, dans l’hôtel, des appartements. »

Paula recevait son père à son arrivée ; il fut étonné, convenablement, d’apprendre qu’il allait être bientôt grand-père. Il poussa de vrais cris de joie, et le soir-même, après avoir dit adieu à sa fille, il se faisait

conduire aux Folies-en-l’Air, où Suzanne de Chantel, érigée en étoile de première grandeur, depuis son retour d’Amérique, exécutait des pas espagnols sur des airs espagnols ; dans l’éblouissante clarté de jeux électriques, elle apparaissait couverte de diamants, si horriblement belle, si abominablement suggestive que ce Paris blasé accourait pour la voir et pour l’applaudir.

Certains disaient :

— Suzanne, c’est un bazar de diamants.

Mais d’autres disaient aussi :

— Elle est l’artiste d’amour et de volupté incomparable.

Fêtée pour son rire, aimée pour sa voix, météore ravissant, éblouissante, parée de satin d’or, elle filait sous la rampe qui l’incendiait aussi bien dans ses yeux noirs que dans ses pierreries, aussi bien dans ses cheveux crêpelés que dans le rouge troublant de ses lèvres.

La salle, émue et contemplative, tout entière, avait des tressaillements. On l’aimait de loin avant de l’empoigner en rêve. Du plancher au lustre, des senteurs de rut régnaient.

Suzanne venait alors de donner le branle à une folie de suicide qui passa sur Paris. Deux amants, pour elle, s’étaient tués de désespoir. Vingt amants les imitèrent en quelques jours, parce qu’ils n’avaient point les maîtresses voulues.

Ce fut une épidémie de morts bêtes.

On se tuait, idiotement, avec pour testament une lettre d’adieu.

Suzanne de Chantel s’écriait, désolée dans son bon cœur :

— Je ne peux pourtant pas coucher avec tout le monde… J’ai pas envie de me crever encore… C’est pas ma faute, ces pauvres petits, fallait qu’ils attendent !

Elle était la maîtresse du directeur d’un grand journal royaliste ; jamais homme ne fut plus cocu. Elle le trompait vingt fois par semaine, dans les hauts prix.

Gaston de Plombières, travesti en danseur espagnol, tenait le cordon des entrées de la dame, et posait dans le premier salon de l’hôtel de Suzanne, salon d’antichambre toujours rempli comme un cabinet de dentiste.

Correct et de bon style, il distribuait les tours, selon la cote.