Petite pervertie/11

La bibliothèque libre.
Éditions Georges du Cayla (p. 103-112).

CHAPITRE XI

Mon mari fut très étonné en constatant le changement qui s’opérait en moi. J’étais moins mélancolique, j’avais des accès de gaieté, j’étais plus tendre avec lui. Il s’en montrait satisfait. Ma vie désormais avait un but, j’aimais intensément. Tout s’était si bien arrangé, j’avais été aussi patiente que la mule du Pape. Si je n’avais pu l’épouser, il était à moi cependant. Tout à moi.

J’abusais de la confiance de Maxwell.

Ma conscience me le reprochait, je faisais taire cette voix intérieure. Je volais vers lui. Il calmait mes remords. J’inventais mille prétextes pour le rejoindre. Pour aimer chaque jour. Je me moquais de la prudence. Je finissais par avoir toutes les audaces. Il m’initiait à toutes les caresses, je les provoquais, je les réclamais. Nous étions insatiables.

Je rentrais tard à mon domicile. Maxwell quelquefois m’attendait. Il avait l’air soucieux. Je prenais mon visage le plus innocent, croyant ainsi calmer son inquiétude. Une visite qui s’était prolongée, un essayage pénible chez le couturier.

— Dépêchons-nous de dîner, me disait-il alors, ce soir nous allons au théâtre ou en soirée.

Souvent j’annonçais une réunion quelconque afin d’être libre. Je me précipitais alors au « Poisson rouge ». Quelquefois pour me donner une contenance je téléphonais à Juju, j’évitais ainsi une mauvaise rencontre.

Lorsque la boîte fermait ses portes, nous partions Guy et moi, bras dessus, bras dessous, à travers les rues solitaires. Nous grisant de baisers, de promesses toujours les mêmes. Nous nous quittions avec regret, sachant pourtant que nous nous reverrions le lendemain.

Pauvre Guy, conséquence de notre amour, sa situation pécunière s’en ressentait. Lorsque je venais au dancing, la plupart de ses danses il me les donnait. Il déclinait les invitations des Américaines. Je compris sa gêne : Si mon égoïsme se trouvait comblé, sachant que je ne le partageais avec personne, j’eus du chagrin en comprenant que pour moi, il devait se priver. J’étais riche. Mon mari ne me refusait rien. Je proposais à Guy mon aide désintéressée. Ce fut avec indignation qu’il la repoussa. J’eus beau insister, tout fut d’abord inutile. Mais à un début de mois j’appris qu’il n’avait pas assez pour acquitter sa note d’hôtel. Discrètement je lui glissai une petite somme d’argent. Comme il l’avait acceptée, je lui fis quelques petits cadeaux. Un soir qu’il était libre, nous allâmes au spectacle, je pris les places, ce fut lui enfin qui sollicita mon aide : une vieille dette qu’un de ses camarades de dancing réclamait avec des menaces. Je lui avançai la somme. Bientôt il me demanda encore de l’argent.

Que ces mesquines questions m’étaient indifférentes ! J’étais folle, j’étais heureuse, je ne pouvais rien lui refuser, j’excusais tout de lui, je le plaignais, j’étais enfin sa débitrice. Je l’avais arraché aux Américaines, aux clientes d’une nuit. Il était tout à moi.

Devant ses appels pressants, je dus à mon tour solliciter de mon mari quelques sommes supplémentaires, je lui avouai que j’avais quelques dettes. Il me donna sans m’interroger davantage, ce que je lui demandais.

Guy avait retrouvé son élégance d’autrefois, j’aimais à le voir toujours impeccable, je me disais bien que c’était un peu grâce à moi et j’en étais presque heureuse.

J’appris également, par hasard, qu’il était membre d’un cercle. C’était donc là, qu’il se rendait les jours où nous ne pouvions nous rencontrer. D’ailleurs il dut m’avouer que les cartes ne lui étaient pas favorables, je devais de nouveau aller à son secours.

Trouvant qu’il était dangereux de toujours réclamer de nouveaux fonds à Maxwell, je choisis parmi mes bijoux ceux, que sans crainte je pouvais vendre. Puis je dus me décider à échanger contre quelques billets d’autres auxquels je tenais.

Certains m’avaient même été donnés par mon mari. Craignant qu’il ne s’en aperçoive, je prétendais tantôt une perte et je jouais alors la comédie du désespoir, ce qui m’en valait un nouveau le lendemain, tantôt une réparation ou un nettoyage chez le bijoutier.

La vie continuait ainsi. Un secret de plus nous liait l’un à l’autre.

Le châtiment hélas, n’était guère loin.

Une après-midi comme je traversais l’île de la Cité, allant retrouver mon amant, il me sembla que j’étais suivie. Cette poursuite m’ennuyait. Encore un désœuvré ! pensais-je. J’avais conscience qu’il était dangereux que même un inconnu, puisse ainsi apprendre et surprendre mon rendez-vous, je me retournai afin de le dévisager.

— Bonjour, ma tante ! Comme vous êtes jolie par cette belle journée de printemps. Où ce pas délibéré, comparable au vol d’une sylphide, peut-il vous conduire ?

Guy Dimier, mon neveu maintenant, le Guy numéro deux était à mes côtés.

— Mon oncle est impardonnable, continuait-il, d’abandonner ainsi sa jeune femme au hasard des mauvaises rencontres. Si j’étais à sa place, je ne la quitterais jamais. Une femme doit suivre son mari. Quelquefois un mari doit suivre sa femme.

Dans mes yeux il dut lire un profond étonnement. Que voulait-il insinuer ? J’interrogeais sa figure toujours impassible. Il se contentait de me détailler avec une certaine insolence.

Puis, sans que je daigne le lui demander, il me déclara :

— Je continue ma route vers mon idéal artistique. Peindre pour découvrir la beauté sensuelle et si féminine. En distiller toute la substance, pouvoir en composer la femme de rêve, issue de la pensée d’un artiste et d’un poète.

Et il ajouta :

— Hélas, je n’ai plus de modèle !

J’allais me séparer de sa charmante compagnie lorsqu’il m’attrapa par le bras.

— Irène, vous souvenez-vous de cet atelier. De nos belles ivresses. De notre passion. Ne voulez-vous plus y revenir ?

— Je ne me souviens de rien. Je suis maintenant Madame Maxwell, la femme de votre oncle. Je crois que mon neveu est un galant homme !

Il sursauta. Je surpris une hésitation. Deux sentiments contraires se disputaient sa pensée. Le plus mauvais l’emporta.

— N’essayez pas de jouer avec moi. Irène, depuis votre mariage, je vous ai observée. J’ai appris et j’ai vu bien des choses. Je ne peux pas être un galant homme, car je vous aime. Je vous aime comme un fou. J’aime votre corps, j’aime votre perversité. J’avais rêvé de vous modeler suivant mes conceptions sensuelles. Je vous veux encore ! ! ! Vous reviendrez.

— Vous êtes fou !

— Oui, fou de vous. Vous n’aimez pas Maxwell. Vous ne pouvez l’aimer. Vous l’avez épousé par intérêt. C’était votre droit, je sais que vous avez un amant. Ce Guy de Saivre. Homme du monde dans la débine. Donnant pour donnant. Vous reviendrez chez moi. Vous poserez pour moi. Ou…

— Ou quoi ?

— Je saurai éveiller la méfiance de mon cher oncle.

— Vous êtes un misérable.

— Peut-être. Un misérable qui ne reculera devant rien pour vous avoir encore.

La menace était grave. Maxwell apprenant la vérité, c’était ou ma séparation avec Guy ou avec lui. Je ne songeais qu’à mon amant d’abord. Pour lui, Maxwell devait tout ignorer. Guy également. Il était capable de se livrer contre Dimier aux pires extrémités. Je devais alors tromper doublement mon mari, tromper aussi mon amant.

Le lendemain je retournais dans l’atelier de mon misérable neveu.