Petites Misères de la vie conjugale/2/Préface

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DEUXIÈME PARTIE




SECONDE PRÉFACE


Si vous avez pu comprendre ce livre… (et l’on vous fait un honneur infini par cette supposition : l’auteur le plus profond ne comprend pas toujours, l’on peut même dire ne comprend jamais les différents sens de son livre, ni sa portée, ni le bien ni le mal qu’il cause), si donc vous avez prêté quelque attention à ces petites scènes de la vie conjugale, vous aurez peut-être remarqué leur couleur…

— Quelle couleur ? demandera sans doute un épicier, les livres sont couverts en jaune, en bleu, revers de botte, vert-pâle, gris-perle, blanc.

Hélas ! les livres ont une autre couleur, ils sont teints par l’auteur, et quelques écrivains empruntent leur coloris. Certains livres déteignent sur d’autres. Il y a mieux. Les livres sont blonds ou bruns, châtain-clair ou roux. Enfin ils ont un sexe aussi ! Nous connaissons des livres mâles et des livres femelles, des livres qui, chose déplorable, n’ont pas de sexe, ce qui, nous l’espérons, n’est pas le cas de celui-ci, en supposant que vous fassiez à cette collection de sujets nosographiques l’honneur de l’appeler un livre.

Jusqu’ici, toutes ces misères sont des misères infligées uniquement par la femme à l’homme. Vous n’avez donc encore vu que le côté mâle du livre. Et, si l’auteur a réellement l’ouïe qu’on lui suppose, il a déjà surpris plus d’une exclamation ou d’une exclamation de femme furieuse :

— On ne nous parle que des misères souffertes par ces messieurs, aura-t-elle dit, comme si nous n’avions pas nos petites misères aussi !…

Ô femmes ! vous avez été entendues, car si vous n’êtes pas toujours comprises, vous vous faites toujours très-bien entendre !…

Donc, il serait souverainement injuste de faire porter sur vous seules les reproches que tout être social mis sous le joug (conjungium) a le droit d’adresser à cette institution nécessaire, sacrée, utile, éminemment conservatrice, mais tant soit peu gênante, et d’un porter difficile aux entournures, ou quelquefois trop facile aussi.

J’irai plus loin ! Cette partialité serait évidemment du crétinisme.

Un homme, non écrivain, car il y a bien des hommes dans un écrivain, un auteur donc, doit ressembler à Janus : voir en avant et en arrière, se faire rapporteur, découvrir toutes les faces d’une idée, passer alternativement dans l’âme d’Alceste et dans celle de Philinte, ne pas tout dire et néanmoins tout savoir, ne jamais ennuyer, et…

N’achevons pas ce programme, autrement nous dirions tout, et ce serait effrayant pour tous ceux qui réfléchissent aux conditions de la littérature.

D’ailleurs un auteur qui prend la parole au milieu de son livre fait l’effet du bonhomme dans le Tableau parlant, quand il met son visage à la place de la peinture. L’auteur n’oublie pas qu’à la Chambre on ne prend point la parole entre deux épreuves. Assez donc !

Voici maintenant le côté femelle du livre ; car, pour ressembler parfaitement au mariage, ce livre doit être plus ou moins androgyne.