Petits poèmes russes/Nékrassov

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Traduction par Catulle Mendès.
G. Charpentier et E. Fasquelle, éditeurs (p. 65-68).

NÉKRASSOV


LES SEULES LARMES




Lorsqu’aux champs de combat, pour les rois sans remords
Gisent, sanglants, les corps qu’étreint la mort jalouse,
Je ne plains pas l’ami, je ne plains pas l’épouse,

Je ne plains pas même les morts.


L’épouse s’éprendra, demain, d’un nouveau rêve,
L’ami ne saura plus le nom de son ami,
Mais il est quelque part une âme qui, parmi

Tant d’oublis, souffrira sans trêve.


Parmi l’œuvre hypocrite et les fausses douleurs,
La bassesse et la prose et toutes nos ivraies,
En l’univers humain il n’est de larmes vraies,

Ô pauvres mères ! que vos pleurs.


Elles n’oublîront point, les chères douloureuses,
Les enfants égorgés loin de leurs tendres bras,
Pas plus, Saule, que, toi, tu ne relèveras

Tes fidèles branches pleureuses !