Peveril du Pic/Chapitre 33

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 18p. 419-427).


CHAPITRE XXXIII.

NEWGATE.


C’est le chien noir de notre geôle. Regardez-le, si cela vous plaît, mais d’une certaine distance ; ne l’irritez pas, il n’aboie jamais avant de mordre.
Le Chien de Newgate.


La voiture s’arrêta devant ces terribles portes qui ressemblent à celles du Tartare, excepté qu’elles permettent un peu plus souvent de sortir avec honneur et sûreté, mais au prix des mêmes inquiétudes et des mêmes fatigues qu’Hercule et deux ou trois demi-dieux eurent à souffrir pour se tirer des enfers de l’ancienne mythologie ; quelquefois aussi par l’influence du rameau d’or.

Julien descendit du carrosse, soigneusement soutenu de chaque côté par ses compagnons et par un porte-clefs ou deux, que le son d’une grosse cloche placée à la porte avait appelés à leur secours. Cette attention ne provenait pas, comme on doit bien le supposer, de la crainte qu’il fît un faux pas, mais de la peur qu’il ne tentât de s’évader, ce à quoi il ne songeait guère. Des apprentis et une troupe de désœuvrés accourus du marché voisin, qui tirait un avantage considérable des nombreuses pratiques que la conspiration papiste amenait journellement à la prison, et dont les habitants étaient en conséquences de zélés protestants, le saluèrent à sa descente de voiture par les cris : Oh ! un papiste ! un papiste ! à bas le pape et tous ses adhérents !

Sous de tels auspices, Peveril fut introduit dans l’intérieur de la geôle par cette sombre porte où tant de gens à leur entrée disent pour toujours adieu à l’honneur et à la vie. La voûte obscure et triste sous laquelle il se trouva bientôt ouvrait sur une vaste cour où une multitude de débiteurs passaient le temps à jouer à la balle, à la main-chaude, au saute-mouton et à d’autres jeux, amusements pour lesquels la rigueur de leurs créanciers leur donnait tout loisir, tandis qu’elle leur ôtait tout moyen de se livrer à d’honnêtes travaux qui auraient pu réparer leurs mauvaises affaires, et préserver leurs familles de la faim et de la misère.

Mais Julien n’allait pas grossir le nombre de ces gens qui devaient leur insouciance au désespoir. Il fut conduit, ou plutôt entraîné par ses conducteurs vers une porte basse et cintrée qui, soigneusement fermée par des verroux et des barres de fer, s’ouvrit pour sa réception à un seul battant, et fut refermée avec tout le soin possible dès qu’il fut entré. On le conduisit alors par deux ou trois corridors ténébreux qui, aux endroits de leur intersection, étaient défendus par plusieurs guichets solides, un en barres de fer, et les autres en bois de chêne, garnis de bandes de fer fixées avec de gros clous du même métal. On ne lui permit pas de s’arrêter avant qu’il fût arrivé dans une petite pièce ronde et voûtée, à laquelle aboutissaient plusieurs des corridors, et qui ressemblait, par rapport au labyrinthe dont il avait traversé une partie, au point central de la toile d’une araignée, où viennent toujours se réunir les principaux fils du tissu curieux de cet insecte.

La ressemblance ne se bornait point là ; car, dans ce petit appartement voûté, dont les murailles étaient tout à l’entour tapissées de mousquets, de pistolets, de coutelas et d’autres armes, aussi bien que d’un assortiment de menottes et de fers de toute espèce, le tout disposé avec un ordre admirable et prêt à servir, était assis un homme qu’on aurait pu comparer avec assez d’exactitude à une grosse araignée bouffie et replète, placée là pour saisir la proie qui pourrait tomber dans ses filets.

Ce fonctionnaire public avait été originairement un homme très-vigoureux, large et même de grande taille ; mais alors il était devenu tellement replet par excès de nourriture et peut-être aussi faute d’exercice, qu’il ne ressemblait pas plus à ce qu’il avait été jadis, qu’un bœuf engraissé pour la boucherie ne ressemble à un taureau sauvage. Aucune créature humaine n’est d’un aspect plus repoussant qu’un gros homme sur le visage duquel un caractère dur a fini par laisser habituellement son empreinte. Il semble avoir démenti le vieux proverbe, et s’être engraissé sous l’influence des plus ignobles penchants. Nous pourrons accorder à un joyeux mortel un peu d’emportement ; mais il semble contre nature qu’un bon vivant soit taciturne et brutal. Or, les traits sourcilleux de cet homme, son teint couleur de suif, ses membres épais et disproportionnés, son énorme et disgracieux embonpoint, donnaient à penser qu’après s’être un jour introduit dans cette retraite centrale, il s’y était engraissé comme la belette de la fable ; qu’il y avait mangé à tort et à travers, au point de devenir incapable de se retirer par aucun des étroits passages qui aboutissaient à sa cellule, et qu’il était forcé d’y rester comme un crapaud emprisonné sous une froide pierre, aspirant l’air fétide des cachots qui l’entouraient, et qui aurait été pestilentiel pour tout autre qu’un habitué du lieu. Devant ce monstrueux échantillon d’obésité, on voyait placés de gros registres à fermoirs de fer, annales de ce royaume de misères, où il commandait comme premier ministre ; et si Peveril eût pénétré dans cette prison sans intérêt personnel, son cœur se serait soulevé en considérant la masse épouvantable de calamités humaines entassées dans ces tristes volumes. Mais son propre malheur lui pesait trop sur l’esprit pour qu’il se livrât à des réflexions générales de cette nature. Le constable et l’officier ventru s’entretinrent à voix basse, après que le premier eut remis au second la sentence d’emprisonnement portée contre Julien. À voix basse n’est pas l’expression convenable, car leur conversation se fit moins en paroles qu’en regards et en gestes significatifs, moyens par lesquels les hommes, dans toutes les situations semblables, apprennent à suppléer au langage, et ajoutent ainsi du mystère à ce qui est déjà suffisamment redoutable pour un captif. Les seuls mots que Peveril put entendre furent prononcés par le geôlier, ou, comme on l’appelait alors, le capitaine de la prison : « Un autre oiseau à mettre en cage ? — Et qui sifflera : Gentil pape de Rome, avec tous les étourneaux confiés à vos bons soins, » répondit le constable d’un air facétieux, mais retenu pourtant par le respect dû à la présence du supérieur devant lequel il se trouvait.

Les traits farouches du capitaine se relâchèrent au point de laisser paraître un sourire, lorsqu’il entendit l’observation du constable ; mais reprenant aussitôt la gravité sombre dont il s’était départi un instant, il regarda fièrement son nouvel hôte, et prononça d’un ton emphatique, mais à demi-voix, un mot unique et fort expressif : « Étrennez ! »

Julien Peveril répondit avec un calme affecté, car il avait ouï parler des coutumes usitées en pareils lieux, et il était résolu à s’y conformer, afin d’obtenir, s’il était possible, la faveur de voir son père, faveur qu’il pensait avec raison devoir lui être plus aisément accordée s’il satisfaisait l’avarice du geôlier. « Je suis prêt, dit-il, à me conformer aux usages du lieu où j’ai le malheur de me trouver. Vous n’avez qu’à dire ce qu’il vous faut, et je vous le donnerai à l’instant. »

À ces mots, il tira sa bourse, et en même temps s’estima heureux d’avoir gardé sur lui une somme assez considérable. Le capitaine en remarqua les dimensions et le volume avec un sourire involontaire, qui agita sa lèvre inférieure pendante comme une babine, et la moustache grasse et luisante qui couvrait celle d’en haut ; mais ce sourire fut réprimé par la fâcheuse pensée que certaines règles mettaient des bornes à sa rapacité, et l’empêchaient de fondre sur sa proie comme un milan, pour tout saisir d’un seul coup.

Cette désagréable réflexion attira à Peveril une réponse faite avec humeur : « Il y a différents taux ; les gens choisissent eux-mêmes suivant leur goût. Je ne demande que mon dû. Mais la civilité, murmura-t-il, doit se payer aussi. — Et je la paierai, si on peut l’obtenir en la payant, répliqua Peveril ; mais le prix, mon cher monsieur, le prix ? »

Il parlait avec un ton méprisant, qu’il cherchait d’autant moins à déguiser, qu’il voyait que, même dans cette prison, sa bourse lui donnait une influence indirecte, mais puissante sur le geôlier.

Le capitaine sembla éprouver le même sentiment ; car, tandis que Julien parlait, il ôtait presque involontairement une espèce de vieux bonnet fourré qui lui couvrait la tête ; mais les doigts se révoltant d’un acte de politesse si extraordinaire, se mirent à s’en dédommager en grattant sa nuque grisonnante, tandis qu’il murmura d’une voix semblable au grognement adouci qu’un dogue fait entendre lorsqu’il a cessé d’aboyer après un intrus qui paraît n’avoir pas peur de lui : « Il y a différents taux. Il y a la petite aise, au taux d’une couronne : c’est un peu sombre, et le grand égout passe par-dessous ; puis certaines personnes n’aiment pas la compagnie qu’on y rencontre, toute composée de filous et de voleurs. Ensuite nous avons le côté du maître : la dépense se monte jusqu’à une pièce d’or, et tous les gens qui y logent sont au moins accusés pour un meurtre. — Dites-moi votre plus haut prix, monsieur, et vous allez le recevoir, » interrompit Julien d’un ton sec.

« Trois pièces d’or pour le bâtiment du chevalier, répondit le gouverneur de ce Tartare terrestre. — En voici cinq, et mettez-moi avec sir Geoffroy, » répliqua Julien en jetant son argent sur le bureau devant lequel était assis le geôlier.

« Avec sir Geoffrey ! Hum ! Diable ! Avec sir Geoffroy ! » dit le capitaine, comme réfléchissant à ce qu’il devait faire ; « Ah ! bien des gens ont déjà payé pour voir sir Geoffrey, mais peu l’ont fait aussi généreusement que vous, pourtant… Aussi vous êtes sans doute le dernier qui le verrez ; ah ! ah ! ah ! »

Julien ne put comprendre des exclamations interrompues, qui se terminèrent par un éclat de rire assez semblable au hurlement de joie que pousse un tigre lorsqu’il dévore sa proie ; et, pour toute réponse, il renouvela sa demande d’être placé dans la même cellule que sir Geoffrey.

« Oui, maître, dit le geôlier ; n’ayez pas peur, je vous tiendrai parole, attendu que vous semblez savoir ce qui convient à votre situation et à la mienne. Mais écoutez-moi bien, Jem-Glink vous attachera les darbies. — Derby ! s’écria Julien. Est-ce que le comte ou la comtesse… — Comte ou comtesse !… ah ! ah ! ah ! » dit le geôlier en riant encore, ou plutôt en grognant de nouveau : « À quoi votre cervelle songe-t-elle donc ? Vous êtes un grand personnage sans doute, mais ici on ne connaît que l’égalité. Les darbies sont les menottes, les poucettes, mon garçon ; et si vous regimbiez le moins du monde, je pourrais y ajouter un bonnet de nuit en acier, et même un excellent ami du cœur, pour vous tenir la poitrine chaude par une nuit d’hiver. Mais ne craignez rien ; votre conduite a été honnête, et nous ne recourrons pas aux grands moyens envers vous. Et quant à l’affaire qui vous amène chez nous, il y a dix à parier contre un que ce ne sera rien : un duel sans préméditation, un meurtre tout au plus ; mieux vaut un doigt brûlé que le cou tordu, toujours en supposant qu’il n’y a point de papisme dans votre fait, car alors je ne réponds de rien. Emmenez Sa Seigneurie, Clink. »

Un des porte-clefs qui avaient conduit Peveril en présence de ce cerbère, l’emmena alors en silence ; et, guidé par lui, le prisonnier parcourut un nouveau labyrinthe de corridors, de chaque côté desquels étaient différentes cellules, pour se rendre à celle qui devait le recevoir.

Tandis qu’ils cheminaient dans cette triste région, le porte-clefs laissait de temps à autre échapper des exclamations : « Ma foi ; il faut que monsieur soit fou ! il aurait pu avoir la meilleure chambre pour moitié moins cher, et il paie le double pour partager le sale réduit de sir Geoffrey. Ah ! ah ! sir Geoffrey vous est-il parent, s’il est permis de vous faire cette question ? — Je suis son fils, » répondit Peveril avec hauteur, espérant ainsi mettre un frein à l’impertinence du drôle ; mais celui-ci ne fit que rire plus fort qu’auparavant.

« Son fils ! Oh ! voilà le meilleur de l’affaire : vous qui avez une si belle taille, vous jeune homme de cinq pieds six pouces, fils de sir Geoffrey !… Ah ! ah ! ah ! — Trêve d’insolences ! dit Julien ; ma situation ne vous donne pas le droit de m’insulter. — Eh ! je ne vous insulte pas, » répondit le porte-clefs, modérant sa gaieté, peut-être parce qu’il se rappelait que la bourse du prisonnier n’était pas vide ; « je riais seulement de ce que vous disiez être fils de sir Geoffrey. Du reste, peu m’importe : il est savant l’enfant qui connaît son père. Mais voici la cellule de sir Geoffrey ; vous pouvez donc arranger ensemble cette affaire de paternité. »

En parlant ainsi, il le fit entrer dans une cellule eu plutôt dans une chambre servant de prison, mais assez propre, où l’on voyait quatre chaises, un lit à roulettes, et deux ou trois autres objets d’ameublement.

Julien chercha son père des yeux avec empressement ; mais, à sa grande surprise, la chambre lui parut absolument vide. Il se tourna vers le porte-clefs avec colère, et l’accusa de s’être moqué de lui ; mais le gaillard répliqua : « Non, non, maître, je vous ai tenu parole. Seulement votre père, si c’est le nom que vous lui donnez, est tapi dans quelque coin. Un petit trou lui suffit pour se cacher ; mais je vais vous le dénicher en un instant. Holà ! hé ! arrivez donc, sir Geoffrey ! Voici… Ah ! ah ! ah !… Votre fils, ou le fils de votre femme (car je pense que vous n’y avez pas beaucoup mis du vôtre), qui vient vous tenir compagnie. »

Peveril ne savait comment s’expliquer l’impertinence de cet homme. À vrai dire, l’inquiétude et la crainte de quelque étrange méprise se mêlaient trop à sa colère pour ne pas en neutraliser les effets. Il regarda encore de côté et d’autre, jusqu’à ce qu’enfin il aperçût quelque chose qui se tenait pelotonné dans un coin obscur, et qui ressemblait plutôt à un paquet de drap cramoisi qu’à une créature vivante. Aux cris du porte-clefs, l’objet sembla néanmoins prendre vie et mouvement, se développa peu à peu, et, après quelques efforts, parvint à se mettre debout, encore couvert de la tête aux pieds du manteau de drap cramoisi dans lequel il s’était empaqueté. Julien au premier coup d’œil crut ne voir qu’un enfant de cinq ans ; mais la voix aiguë de ce petit être, et le ton particulier de cette voix, lui apprirent bientôt qu’il se trompait.

« Geôlier, » dit ce bizarre personnage, « que signifie tout ce vacarme ? Avez-vous encore des insultes à entasser sur la tête d’un malheureux qui a toujours été en butte à la malignité de la fortune ? Mais j’ai une âme capable de résister à tous les revers, elle est aussi grande qu’aucun de vos corps. — Oh ! sir Geoffrey, est-ce de cette manière que vous accueillez votre fils, répliqua le porte-clefs ; mais vous autres gens de qualité, vous savez comment vous devez vous conduire. — Mon fils, s’écria le nain. Insolent !… — Il y a ici quelque étrange méprise, dit alors Peveril ; je voulais voir sir Geoffrey… — Et vous le voyez devant vous, jeune homme, » dit le pygmée avec un air de dignité, en jetant sur le plancher son manteau cramoisi, et en se redressant avec toute la fierté compatible avec sa taille de trois pieds six pouces. « Je suis le serviteur favori de trois souverains, qui ont successivement porté la couronne d’Angleterre : maintenant j’habite ce cachot, et je sers de jouet au brutal qui en est le geôlier. Je suis sir Geoffrey Hudson. »

Julien, quoiqu’il n’eût encore jamais vu cet important personnage, n’eut pas de peine à reconnaître, d’après la description qu’on lui en avait faite, le célèbre nain d’Henriette-Marie, qui avait survécu aux dangers de la guerre civile et des querelles particulières, au meurtre de son royal maître, Charles Ier, et à l’exil de sa veuve, pour succomber dans ces temps malheureux sous une des nombreuses accusations relatives au complot papiste. Il salua le pauvre vieillard, et se hâta de lui expliquer, ainsi qu’au porte-clefs, que c’était la prison de sir Geoffrey Peveril, du château de Martindale, dans le comté de Derby, qu’il avait demandé à partager.

« Vous auriez dû dire cela avant de vous débarrasser de votre poussière d’or, mon maître, répliqua le porte-clefs ; car l’autre sir Geoffrey est un homme gros, grand et à cheveux gris, qui a été la nuit dernière envoyé à la Tour : le capitaine croira vous avoir assez tenu parole, en vous logeant avec le sir Geoffrey que voici, et qui est assurément le plus remarquable des deux. — Allez, je vous prie, dit Peveril, expliquer cette méprise à votre maître, et dites-lui que je demande à être envoyé à la Tour. — À la Tour ! Ah ! ah ! ah ! repartit le drôle. La Tour est pour les lords et les chevaliers, et non pour des écuyers de bas étage ; pour les crimes de haute trahison, et non pour des égratignures faites dans la rue avec une rapière et un poignard ; et il faut un ordre du secrétaire d’état pour y envoyer les gens. — Du moins, que je ne sois point à charge à monsieur, dit Peveril. Il est tout à fait inutile de nous loger ensemble, puisque nous ne nous connaissons même pas : allez prévenir votre maître de cette méprise. — En vérité, j’irais bien, » répondit Clink en grimaçant encore, « si je n’étais pas certain qu’il le sût déjà. Vous avez payé pour être mis avec sir Geoffrey, et il vous a mis avec sir Geoffrey. Vous êtes couché en conséquence sur le registre, et il ne raie jamais personne. Allons, allons, consolez-vous, je vous donnerai des fers légers et peu gênants… C’est tout ce que je puis faire pour vous. »

La résistance et les supplications auraient été également inutiles. Peveril se laissa donc attacher au-dessus de chaque cheville une paire de fers qui lui laissaient la liberté d’aller et de venir dans la chambre.

Durant cette opération, il réfléchit que le geôlier, qui avait pris avantage de l’équivoque entre les deux sirs Geoffrey, devait avoir agi comme on le lui donnait à entendre, et par conséquent l’avoir trompé avec préméditation, puisque le mandat d’emprisonnement portait qu’il était fils de sir Geoffrey Peveril. Il était donc à la fois inutile et humiliant de faire des représentations à un tel homme sur ce sujet. Julien se soumit à son destin, lorsqu’il vit qu’aucun effort ne pouvait l’y soustraire.

Le porte-clefs lui-même fut presque touché de sa jeunesse, de sa bonne mine et de la patience avec laquelle, après la première effervescence du désappointement, le nouveau prisonnier se résignait à son sort. « Vous me semblez un brave jeune homme, dit-il ; vous aurez au moins un bon dîner, et pour coucher une aussi bonne paillasse qu’on peut en trouver entre les murs de Newgate… Et vous, maître sir Geoffrey, qui n’aimez pas les hommes de haute taille, vous devez faire cas de maître Peveril ; car je vous dirai qu’il est ici pour avoir fait une entaille à Jack-Jenkim, cet échalas que vous savez, le maître en fait d’armes, l’homme le plus grand de Londres enfin, excepté cependant le portier du roi, M. Évans, qui vous portait dans sa poche, sir Geoffroy, comme tout le monde l’a ouï dire. — Retire-toi, drôle, répliqua le nain ; je te méprise. »

Le porte-clefs ricana, sortit et referma la porte.