Pleureuses/07

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PleureusesErnest Flammarion (p. 31-36).


I


Elles sont mortes, ses amies,
Ses amis sont là-bas, là-bas…
Elle s’avance à petits pas
Parmi des choses endormies.

Son âme se plaint doucement,
Dans les sous-bois, près des fontaines,
Elle voit des formes lointaines
Qui vont, pleines d’apitoiement.

Devant sa pauvre âme tremblante
Tous les souvenirs sont passés,
Le soir, avec leurs dos lassés,
Et leur démarche nonchalante.


Dans son calme fauteuil de bois,
Je vois sa taille qui se penche,
Puis je vois sa figure blanche
Qui sourit parmi les sous-bois.

Ses pieds mignons foulent les mousses,
Les oiseaux ont de petits cris,
Et ses amours et ses yeux gris
Sont de vieilles histoires douces.

On eût dit qu’elle allait parler,
Ses lèvres chuchotaient entre elles,
Et l’on voyait dans ses mains frêles
L’habitude de consoler.

Mélancolique et matinale,
Quand je regarde, je la vois,
Très vieille avec sa vieille voix,
Dans les feuilles de soleil pâle.


Et ce n’est plus le beau soleil ;
C’est le soir, dans le salon tiède :
Le feu, la lampe… On cause, on cède
Aux baisers aimants du sommeil.

Au foyer une flamme rampe,
Et dans le salon qui s’endort,
Quelques amis qu’éclaire encor
La lueur faible de la lampe…

Puis, il te faudra les quitter.
Le jour souffre et revit encore :
Mais toi, la blancheur de l’aurore
Ne te fera plus grelotter.

La mort viendra sans te le dire
Toucher tes lèvres sans couleur,
Où la joie, et puis la douleur
Sont mortes dans un lent sourire ;


Puis ton cœur, maison du bon Dieu,
Où tant d’amis étaient ensemble
— Et leurs fronts dans la nuit qui tremble
Se diront vaguement adieu —

Tes yeux, où les jours sans secousse
Ont mis de la tranquillité,
Et tes épaules de beauté
Que la fatigue a faites douces.


II


La très vieille dame était morte.
Alors je suis venu vers toi,
Un jour qu’il faisait triste et froid
Et qu’il pleuvait devant ta porte.


Je vis tes longs cheveux bouclés
Et leur or pâle qui frissonne,
Et ta piété monotone
Dans tes yeux bleus et désolés.

Tu fus la clarté gracieuse
Qui m’environnait, et je sais
Qu’au fond, un peu, tu frémissais
Avec ton âme sérieuse…

Ta robe droite du dimanche
Laissait à nu ton petit cou.
Tu ne me parlais pas beaucoup,
Tu rôdais dans la maison blanche…

… J’entendais rêver des ruisseaux
Sous le repos des saules pâles.
Dans mes mains tristes et royales
J’ai tenu leurs âmes d’oiseaux…


Elles ont des rondes d’amour
Et des yeux de petites filles.
Elles ont des bouches gentilles
Et des questions, tout autour…


III


Au pays morne sans saison
Où seul je vais, lent patriarche,
Je vois s’ouvrir devant ma marche
Le grand regard de l’horizon.

Je porte en moi ma vie altière.
Le ciel est gris ; mon cœur se fond
Dans mon orgueil vide et profond
Comme un bonheur dans la lumière.